Image : Mike Mc Quade - Foreign Affairs
Avant le 7 octobre 2023, il semblait que la vision des États-Unis pour le Moyen-Orient se concrétisait enfin. Washington était parvenu à un accord implicite avec Téhéran sur son programme nucléaire, en vertu duquel la République islamique d’Iran suspendait effectivement son développement en échange d’une aide financière limitée. Les États-Unis travaillaient sur un pacte de défense avec l’Arabie saoudite, qui devait à son tour amener le royaume à normaliser ses relations avec Israël. Enfin, Washington a annoncé son intention de créer un ambitieux corridor commercial reliant l’Inde à l’Europe en passant par le Moyen-Orient, afin de contrebalancer l’influence croissante de la Chine dans la région.
Bien sûr, il y a eu des obstacles. Les tensions entre Téhéran et Washington, bien que moins fortes que par le passé, restaient élevées. Le gouvernement israélien, ouvertement de droite, était occupé à étendre les colonies en Cisjordanie, ce qui suscite la colère des Palestiniens. Mais les responsables états-uniens ne voyaient pas l’Iran comme un trouble-fête ; après tout, il avait récemment rétabli des liens avec plusieurs gouvernements arabes. Et les États arabes avaient déjà normalisé leurs relations avec Israël, même si ce dernier ne faisait pas de concessions significatives aux Palestiniens.
Puis le Hamas a attaqué Israël, jetant la région dans la tourmente et bouleversant la vision des États-Unis. L’assaut massif du groupe militant depuis la bande de Gaza, au cours duquel ses combattants ont franchi un mur frontalier de haute technologie, se sont déchaînés dans les villes du sud d’Israël, ont tué environ 1 200 personnes et pris plus de 240 otages, a clairement montré que le Moyen-Orient reste une région profondément explosive. L’attaque a suscité une réponse militaire féroce de la part d’Israël, qui a provoqué une catastrophe humanitaire à Gaza, avec un grand nombre de morts et de déplacés palestiniens, et a augmenté le risque d’une guerre régionale plus large. Le sort des Palestiniens est à nouveau au centre de toutes les préoccupations et un accord israélo-saoudien est irréalisable. Étant donné que le soutien iranien explique la résistance et les capacités militaires du Hamas, les capacités militaires régionales de l’Iran semblent désormais très puissantes. Téhéran semble également s’affirmer. Bien que peu enclin à un conflit plus large, l’Iran a tout de même profité de la démonstration de force du Hamas et, depuis, a fait monter les enchères lorsqu’Israël a échangé des tirs avec la milice libanaise Hezbollah et lorsque d’autres groupes soutenus par l’Iran ont lancé des roquettes sur les troupes américaines.
L’influence des États-Unis sur le Moyen-Orient est toujours aussi importante. Mais leur soutien à la guerre d’Israël a décidément compromis leur crédibilité dans la région. (Ce soutien a également nui à la position de Washington dans le Sud global de manière plus générale, en particulier lorsque la revendication d’autodéfense d’Israël s’est transformée en punition collective des civils palestiniens). Cela signifie que les États-Unis devront élaborer une nouvelle stratégie pour le Moyen-Orient, une stratégie qui tienne compte des réalités qu’ils ont longtemps ignorées. Washington, par exemple, ne peut plus négliger la question palestinienne. En fait, il devra faire de la résolution de ce conflit la pièce maîtresse de ses efforts. Il sera tout simplement impossible pour les États-Unis de s’attaquer à d’autres questions dans la région, y compris l’avenir des relations israélo-arabes, tant qu’il n’y aura pas de voie crédible vers un futur État palestinien viable.
Washington doit également s’attaquer à la montée en puissance de Téhéran, qui a ébranlé le Moyen-Orient. Si les États-Unis veulent apporter la paix dans la région, ils doivent trouver de nouveaux moyens de contraindre l’Iran et ses mandataires. Tout aussi important, les États-Unis doivent réduire leur désir de remettre en cause l’ordre régional. Ils auront surtout besoin d’un nouvel accord qui stoppe la marche de l’Iran vers la fabrication d’armes nucléaires.
Pour atteindre ces objectifs, les États-Unis ne doivent pas renoncer à tout ce pour quoi ils ont travaillé. En fait, ils peuvent - et doivent - s’appuyer sur les éléments de l’ordre qu’ils ont précédemment envisagé. En particulier, Washington doit ancrer son nouveau plan pour la région dans son partenariat avec l’Arabie saoudite, qui entretient des relations de travail avec l’Iran, Israël et l’ensemble du monde arabe. Riyad peut user de son influence pour relancer les négociations israélo-palestiniennes et aider les États-Unis à conclure un accord nucléaire avec l’Iran. Et ensemble, Riyad et Washington peuvent créer le corridor économique du Moyen-Orient dont les États-Unis ont besoin pour faire contrepoids à la Chine.
Ce nouveau grand accord ne sera pas aussi simple que celui que les États-Unis négociaient avant le 7 octobre. Il ne commencera pas par une normalisation israélo-saoudienne et ne se terminera pas par une alliance israélo-arabe contre l’Iran. Mais contrairement aux accords passés, ce nouveau cadre est réalisable. Et s’il est bien fait, il permettra de réduire les tensions régionales et d’instaurer une paix durable. […]
Traduction : AFPS