Tandis que la quatrième armée du
monde infligeait aux Libanais,
en ces mois de juillet et d’août,
la démonstration de sa terrible puissance
de feu, les habitants des territoires palestiniens
occupés subissaient plus de morts,
de blessés, d’arrestations et de destructions
que jamais. Sans doute les militaires
israéliens qui occupent la Cisjordanie
et encerclent la Bande de Gaza
ont-ils trouvé avantageux que l’attention
des médias et des chancelleries aient alors
été tournée vers le Liban.
Mais leurs opérations et le net accroissement
qu’elles ont connues cet été, s’inscrivent
dans le droit fil de la politique
menée par le gouvernement israélien
depuis le retrait unilatéral de la Bande
de Gaza : mater la population de ce territoire
palestinien pour avoir les mains
libres en Cisjordanie et y accélérer l’extension
des colonies et la construction du
Mur, dont Israël souhaite faire sa future
frontière. C’est en tout cas ce qui ressort
de l’examen des rapports dressés par les
ONG palestiniennes traitant des violations
des droits humains : les rapports
trimestriels de Al Haq pour la Cisjordanie
et les rapports hebdomadaires du
PCHR qui est basé à Gaza et s’occupe de
l’ensemble des Territoires palestiniens
occupés..
Le plus lourd tribut a donc été payé par
la Bande de Gaza et son million et demi
d’habitants (dont plus de la moitié sont
des enfants). C’est le 28 juin qu’ont débuté,
sous le nom bucolique de « Pluies d’été »,
des opérations militaires israéliennes de
grande envergure que l’ensemble des
médias a présentées comme des « représailles
» à la capture, effectuée trois jours
plus tôt, du tankiste israélien Gilad Shalit
par des combattants palestiniens (comme
si tout le monde avait oublié que les représailles
constituent un grave crime de
guerre quand elles ciblent des populations
civiles). Plusieurs médias occidentaux,
naïfs ou complices, ont même parlé
à propos de ces opérations de tentatives
pour récupérer le soldat Shalit.
La « tragédie de Gaza »
C’est en ces termes que les différentes
agences des Nations unies travaillant
dans les Territoires palestiniens occupés
ont dénoncé le véritable déluge de feu
qui s’est alors abattu sur les Gazaouis.
Dans le rapport qu’elles ont publié le 3
août, elles relèvent que cette petite bande
de terre très peuplée a été l’objet entre le
28 juin et fin août de 220 bombardements
aériens et qu’elle reçoit en moyenne
200 à 250 pièces d’artillerie par jour.
Plusieurs milliers d’habitants des localités
du nord de la Bande de Gaza (Beit
Hanoun et Beit Lihia notamment) et de
Rafah se sont réfugiés pour des périodes
plus ou moins longues dans les écoles de
l’UNRWA ; ses quatre écoles situées
dans le secteur nord de Jabalya hébergent
en permanence 1350 personnes. Les
chars israéliens postés tout le long de la
frontière tirent en effet sur les localités voisines
et sur leurs cultures, tout en procédant
de plus en plus souvent à des incursions
meurtrières. Mais ce sont les avions
qui font le plus de morts, de blessés et
de dégâts, et quand ils ne larguent pas de
bombes ou de missiles, leurs pilotes prennent
manifestement un malin plaisir à
franchir le mur du son et à lancer des
bombes sonores, de préférence en pleine
nuit.
Le PCHR a dressé le 16 août dernier le
bilan, arrêté à cette date, de six semaines
d’activités militaires israéliennes dans la
bande de Gaza.
En voici les chiffres :
– 187 morts, dont 43 enfants et 10 femmes ;
– 715 blessés, dont 194 enfants, 4 paramédicaux
et 4 journalistes 26 femmes ;
– destruction d’une grande partie des
infrastructures, notamment de la principale
centrale électrique qui couvre 45 %
des besoins de la population, de 6 ponts
empruntés par les routes reliant la ville
de Gaza au centre et à l’est de la Bande,
routes elles-mêmes très endommagées ;
– destruction des bâtiments du ministère
de l’Intérieur, du ministère des Affaires
étrangères, du ministère de l’Economie,
ainsi que des bureaux du Premier ministre ;
– destruction de centaines de donums de
terres cultivées et de douzaines de maisons
; l’armée israélienne utilisait dernièrement
un procédé que dénonce le
Bureau des Nations Unies pour la coordination
des affaires humanitaires (OCHA,
une agence des Nations unies très présente
dans les territoires occupés) dans un récent
rapport sur la Bande de Gaza : ce procédé
consiste pour les militaires israéliens
à avertir par téléphone des habitants
de ce que leur maison va être bombardée
incessamment, avertissement qui provoque
la panique dans tout le voisinage.
Vingt-cinq maisons ont en tout cas été détruites selon un tel mode opératoire.
Par ailleurs l’approvisionnement des habitants
de Gaza en biens essentiels est gravement
perturbée par la fermeture quasipermanente
des passages d’Eretz, de
Karni et de Rafah, la rétention par Israël
des taxes palestiniennes et le gel de l’aide
internationale les privant en outre de 20%
de leur produit intérieur brut.
A l’instar des agences des Nations unies
travaillant sur le terrain, le représentant
spécial de l’ONU au Proche-Orient,
Alvaro de Soto, s’alarme de « la grave crise
sanitaire » dans laquelle se trouve la
Bande de Gaza. Dans un communiqué
de presse du 3 août, Médecins du Monde
met en regard « les blessures de plus en
plus graves infligées par l’armée israélienne
à une population déjà fragilisée par
l’embargo économique imposé depuis
février 2006 par Israël et la communauté
internationale » et d’autre part
« un système de santé qui s’effondre, malgré
le dévouement des soignants palestiniens
qui travaillent depuis six mois
sans salaire, leurs hôpitaux, de plus en
plus surchargés, étant les premières victimes
de l’arrêt des aides internationales
et du blocus quasi-total mis en place sur
l’entrée de matériel ».
La Cisjordanie non épargnée
Là aussi la répression militaire israélienne
s’est aggravée cet été, mais elle y
a pris d’autres formes que dans la Bande
de Gaza. C’est des incursions militaires,-une cinquantaine par semaine-, que les
habitants des villes et des camps de réfugiés
ont été victimes, surtout ceux de
Naplouse et des camps avoisinants. Ces
incursions s’accompagnent d’assassinats
ciblés (pratique unanimement condamnée
par les défenseurs des droits humains,
qu’Israël avait abandonnée quelque temps
avant de s’y livrer à nouveau depuis le
début de cette année), de destructions de
maisons et même de bâtiments publics,
comme ce fut le cas les 18, 19 et 20 juillet
pour la mairie de Naplouse et plusieurs
bâtiments administratifs voisins. Outre
les raids effectués dans un hôpital de
Naplouse et les trois hôpitaux d’Hébron,
ces incursions sont généralement l’occasion
de fouilles de maisons, de brutalités
exercées sur leurs occupants ou les passants,
de tirs blessant les enfants qui jettent
des pierres, et surtout d’arrestations.
Plus de 80 personnes en moyenne ont
ainsi été arrêtées chaque semaine de
juillet, pas seulement lors des incursions,
mais aussi aux checkpoints dont le nombre
a augmenté.
Parmi les 64 responsables du Hamas arrêtés
figurent 27 membres du Conseil législatif,
dont son président, et 8 ministres,
dont le vice-Premier ministre Nasser
Shaer, arrêté à son domicile de Ramallah
dans la nuit du 18 au 19 août et libéré
le 28 septembre après cinq semaines
d’incarcération.
Tandis que de nouvelles terres sont chaque
jour confisquées (dernièrement à l’ouest
d’Hébron et près de la colonie d’Ariel
au sud-ouest de Naplouse), des cultures
abrasées et des maisons démolies (près
de Qalqilya et de Bethléem) pour la
construction du Mur, de nouveaux checkpoints
s’installent, notamment autour de
Naplouse et de Ramallah. Ces checkpoints
sont l’occasion pour les militaires
israéliens d’humilier les Palestiniens qui
les empruntent et doivent d’abord y patienter
des heures durant, malgré la présence
des femmes israéliennes de Mahsom
Watch et de volontaires internationaux.
Ces checkpoints et les pans du Mur qui
se rejoignent et étranglent de plus en plus
Jérusalem-Est, réduisent évidemment la
liberté de mouvement des habitants de
Cisjordanie et l’accès à leur capitale.
Qu’en était-il avant le début de l’opération « Pluies d’été » ?
Les rapports hebdomadaires des violations
des droits humains que dresse le
PCHR pour la Bande de Gaza et la Cisjordanie,
s’articulent autour de plusieurs
rubriques : morts, blessés, arrestations,
incursions militaires, destruction de maisons
et de cultures, activités des colons.
S’agissant de cette dernière rubrique qui
ne concerne évidemment que la Cisjordanie,
on relève que les attaques menées
par des colons contre les villageois palestiniens
voisins de leurs colonies ont fait
en moyenne 3 blessés et endommagé 5
maisons, durant chacune des semaines
précédant et suivant le 28 juin.
Durant les sept semaines ayant précédé
le 28 juin, c’est-à-dire à partir du 11 mai,
les villes de Cisjordanie ont subi en
moyenne 45 incursions hebdomadaires
de la part de l’armée israélienne ; les
principales villes visées étaient déjà
Naplouse, mais aussi Jénine dont plusieurs
habitants ont été victimes d’assassinats
ciblés.
La lecture des rapports hebdomadaires
du PCHR pour ces sept semaines précédant
le 28 juin, fait ressortir que les Palestiniens
ont eu en moyenne à déplorer,
chaque semaine, 8 morts et 24 blessés.
Pour obtenir cette moyenne, il faut mettre
de côté la semaine du 7 au 14 juin, une
semaine au cours de laquelle les morts et
blessés palestiniens se sont en effet élevés
à 28 et 76. Parmi les 28 morts figurent
27 habitants de Gaza, dont 19 victimes- collatérales ou pas - d’assassinats
ciblés et 7 membres de la famille Ghalia
(le père, la mère et 5 de leurs enfants)
une famille de Beit Hanoun qui piqueniquait
sur la plage et dont la BBC et
d’autres médias ont immortalisé l’image
du sixième enfant et seule survivante de
cette famille, la jeune Houda, découvrant
l’horreur alors qu’elle les rejoignait. Parmi
les 76 blessés de cette semaine du début
juin, 20 sont des enfants et 67 des
Gazaouis.
Comme l’explique l’historienne israélienne
Tanya Reinhart, le 16 juillet, dans
un article du journal italien Il Manifesto,
l’armée israélienne a en fait commencé
le 8 juin une attaque qu’elle prévoyait
depuis plusieurs semaines et qui avait
pour objectif de détruire l’infrastructure
du Hamas et de son gouvernement au
moyen de bombardements massifs de la
Bande de Gaza. Le gouvernement israélien,
qui avait donné son feu vert, a dû faire
marche arrière devant les réactions internationales
suscitées par l’assassinat des
parents et des frères et soeurs de Houda
Ghalia. Mais le répit n’a duré que deux
semaines et l’historienne souligne que
la capture du soldat Shalit a servi de prétexte
à l’armée israélienne pour reprendre
ses opérations, la destruction de la centrale
électrique de Gaza et l’arrestation
de plusieurs dizaines d’élus et de ministres
membres du Hamas ayant notamment
été programmée depuis longtemps dans
les moindres détails.
Christiane Gilmann, 3 septembre 2006