La Cour suprême israélienne a suspendu, mercredi 19 août, la mesure de détention administrative pesant sur le prisonnier palestinien Mohammed Allan. Il ignore cependant cette décision, puisqu’il a été plongé dans le coma à l’hôpital Barzilaï d’Ashkélon (Ouest d’Israël) en raison de son état de santé critique. Le 18 juin, Mohammed Allan, emprisonné depuis novembre 2014, a entamé une grève de la faim pour protester contre sa détention administrative. Il y a mis fin ce jeudi 20 août. Ce régime d’incarcération permet à Israël d’emprisonner une personne pendant six mois, renouvelables indéfiniment, sans lui notifier d’inculpation.
Mohammed Allan est un cas très sensible pour Israël. Le pays est tiraillé entre le souci de ne pas céder à son "chantage" et le risque d’une nouvelle escalade de violence que pourrait provoquer sa mort, son sort ayant fortement mobilisé l’opinion palestinienne. Selon les services pénitentiaires israéliens, 340 autres Palestiniens sont actuellement placés en détention administrative. Mohammed Allan, avocat et défenseur des prisonniers palestiniens à Naplouse (Nord de la Cisjordanie occupée), est présenté par les autorités comme un membre du Djihad islamique, que l’État hébreu considère comme terroriste.
Depuis juillet, une loi israélienne suscite également de vives critiques de la part des Palestiniens. Elle prévoit de nourrir de force les détenus en grève de la faim et dont la vie est en danger. La ministre de la Culture, Miri Regev, a ainsi dénoncé sur Twitter la décision de la Cour suprême qui répondrait au « chantage du terroriste » plutôt que d’appliquer cette loi.
Avant la décision de la Cour suprême, Gilad Erdan, ministre de la Sécurité intérieure, estimait, lui, que la libération de Mohammed Allan risquerait d’encourager des grèves de la faim massives parmi les détenus palestiniens dans le but de faire pression sur Israël.
Michel Tubiana, de la Ligue des droits de l’Homme, répond à trois questions pour clarifier le régime de détention administrative.
Que pense la LDH du cas de Mohammed Allan ?
Nous partons du principe que la détention administrative n’est pas acceptable. Elle a concerné jusqu’à plus d’un millier de personnes, voire au-delà il y a quelques années. Il s’agit d’une parodie de justice : cette procédure consiste à pouvoir maintenir en détention quelqu’un de manière illimitée, sans contrôle réel du juge. La défense n’a pas accès aux pièces communiquées au magistrat, lequel prend sa décision à partir de trois gribouillis sur un morceau de papier. C’est totalement insupportable du point de vue des normes internationales.
Ce n’est pas parce que les Israéliens reproduisent ce que les Britanniques ont fait pendant la guerre de Boers en Afrique du Sud (à la fin du XIXe siècle), puis appliqué en Palestine à l’époque du mandant britannique (1920-1948), que c’est satisfaisant. Ce n’est d’ailleurs pas plus satisfaisant lorsqu’il s’agit de ressortissants israéliens, puisque l’État hébreu a mis en application la détention administrative contre quelques extrémistes. Cela en dit long sur la déliquescence et la préoccupation que l’on a du fonctionnement de la démocratie en Israël.
A cela s’ajoute la situation générale des prisonniers palestiniens qui n’est pas plus acceptable, d’autant plus que nombre d’entre eux ont été jugés par des juridictions militaires dans des conditions ne respectant aucune des prescriptions internationales en matière de procès équitable.
Théoriquement, les prisonniers peuvent rester des années en détention administrative, sans jamais savoir pourquoi.
Qu’en est-il de la loi adoptée en juillet prévoyant de nourrir de force les détenus grévistes de la faim ?
Je n’en pense que du mal. D’ailleurs, l’Ordre des médecins en Israël ne souhaite pas appliquer cette nutrition forcée. Sauf que les services israéliens sont malgré tout susceptibles d’en trouver puisque dans la passé, des médecins avaient accepté de contrôler des centres de tortures.
Nous avons d’ailleurs eu accès aux fiches médicales rendant compte de ces tortures. Toutes ces choses que les Américains ont d’ailleurs très bien reproduit à Guantanamo et dans leurs prisons secrètes. Israël et les États-Unis partagent, sur ce le terrain de la torture, le même combat.
Pourquoi lèvent-ils aujourd’hui la détention administrative de Mohammed Allan ?
Parce que le rapport de force pousse Israël, en plein milieu de la réprobation internationale sur l’extrême-droite, à faire un calcul d’opportunité politique.
Ce n’est certainement pas par grandeur d’âme. Il suffit de lire la décision hypocrite de la Cour suprême pour s’en rendre compte. Elle consiste à dire qu’il n’y a pas lieu de maintenir Mohammed Allan en détention administrative puisqu’il n’est pas dangereux, vu son état de santé. C’est d’un cynisme effrayant.