En retraçant les limites des domaines et leurs usages légaux possibles, en changeant les procédures de ventes et d’acquisition des terres, en redéfinissant les régimes de propriétés de même que les statuts et les droits des populations occupant préalablement ces espaces, l’autorité au pouvoir est en mesure de renverser sa position de dominant spoliateur en celle d’un ayant droit face à des populations « autochtones » en situation d’illégalité, transformés en hors-la-loi sur leurs terres, et qu’il s’agit de sanctionner [1]
Comment justifier de la propriété de la terre face à l’arsenal juridique mis en place par Israël ?
L’histoire du village d’Al Araqib montre comment lois et réglementations israéliennes participent pleinement au projet de dépossession des Palestinien·nes et à leurs déplacements forcés. Dans ce processus, la communauté bédouine est particulièrement menacée.
En refusant les preuves traditionnelles de propriété, la Cour suprême israélienne prive les Bédouins de leur place de propriétaires des terres de leur village, tout en s’offrant une façade de légalité, de légitimité et d’équité ! Car, comment pourraient-ils soumettre des documents attestant d’un titre de propriété à l’administration, alors que dans leur histoire et leur culture, il n’y a pas d’enregistrement ?
Quels sont les dispositifs majeurs mis en œuvre ?
– La loi sur la propriété des absents et les propriétés abandonnées (1950), fut une des premières de l’édifice légal institutionnel encadrant les dépossessions et le transfert des propriétés des « absents », c’est-à-dire des Palestiniens réfugiés, au nouvel État.
– La loi du retour (1950).
– La loi d’acquisition foncière (1953), qui permet de donner rétrospectivement une validité juridique aux expropriations de terres appartenant à des Palestiniens en légalisant le transfert de la propriété juridique des propriétaires initiaux, à l’État d’Israël.
– Le régime militaire officiellement en place jusqu’en 1966, qui permet la légalisation des expropriations, tout en empêchant les Palestinien·nes de revenir.
– Les quelque 125 ordonnances qui définissent les zones militaires à partir de 1973, utilisées pour chasser les habitant·es d’un territoire, quand dans le même temps l’État favorise l’installation et l’extension de kibboutz, qui s’approprient d’abord la terre, avant que la légalisation permette de légaliser leur situation.
– L’existence de villages non reconnus. C’est-à-dire inexistants !
– L’aide des structures para-étatiques, dont le Fonds national juif (FNJ), qui ont une grande importance dans le processus de colonisation et d’accaparement des terres.
Dès sa fondation, l’État d’Israël a conçu un système juridique et une planification de l’espace sous son contrôle… La requalification de l’espace par la planification, l’élaboration progressive d’un corpus juridique régissant le foncier et un éventail de procédures complexes permirent de rationaliser et de légitimer par le droit une politique de dépossession et d’expropriation massive aux dépens des Palestiniens et en même temps de masquer la violence et l’arbitraire de cette politique, tout en garantissant à Israël l’image d’un État de droit [2]
Cependant, paradoxe de la situation, si les Bédouins ne sont pas chez eux, comment peut-on les exproprier ?!
Exproprier ? Le mot n’existe pas ! Il y a regroupement de Bédouins dans des bidonvilles (avec chômage, drogues, crimes). La déstructuration de la société est à l’œuvre. Cette situation est particulièrement dramatique pour les femmes.
Des enjeux multiples
– La situation « individuelle » des « présents-absents ». Dont quelques personnes qui n’ont pas d’existence reconnue et n’ont pas de carte d’identité.
– La situation « collective », des Bédouins qui ont découvert dans les années 70 que l’État israélien demandait des titres de propriété qu’ils ne peuvent fournir. Faire disparaître les Palestinien.nes en créant des espaces qui n’ont pas d’existence officielle !
Dans ce contexte dramatique, des villages s’opposent au processus de colonisation. La question n’est pas seulement de légaliser la misère en reconnaissant les villages, mais aussi celle de la propriété de la terre.
Comment vivre et bâtir légalement dans un village non reconnu ? Exemple du combat d’Al Araqib
La présence palestinienne sur ces terres remonte à plus de deux siècles. En 1951, les membres de la tribu ont été déplacés « temporairement », leur terre confisquée et déclarée « terre d’État ». Prenant le risque, ils sont revenus clandestinement.
« Le processus de colonisation dans le Naqab est le même que celui qui existe en Cisjordanie. Une colonie en Israël, c’est toujours une terre volée dans le cadre de ce processus » Gadi Algazi [3]
En 1972, Israël permet à des citoyens de faire des demandes d’enregistrement des terres. Les familles d’Al Araqib les font, inutilement.
En 1990, craignant le vol de leurs terres par le FNJ, le chef du village Sheikh Sayyah et 45 familles décident de s’installer en construisant des maisons, sans permis.
« … J’ai grandi ici. Je pensais que le gouvernement israélien allait nous donner des droits. Mais il a voté en 1953 une loi qui nous a confisqué nos terres sans que nous le sachions. Nous ne l’avons découvert qu’en 1990. C’est de la ségrégation ! Même en comprenant qu’il y avait un problème, nous avons continué à vivre au village… Ils n’ont jamais négocié pour essayer de trouver une solution pour que nous vivions ensemble » (S. Sayyah).
1999 marque un changement de politique et le début de la « guerre contre les Bédouins ». Depuis l’enjeu est de rester malgré les nombreuses agressions à Al Araqib :
1999, 2001, 2002, 2003 : attaques au Roundup, entraînant le décès de personnes par cancer, de 200 têtes de bétail et la destruction des cultures. Des actes dont l’État israélien nie les effets sur la santé.
Dès 2005 ce sont les bulldozers qui arrivent. C’est le début de la confiscation des terres avec la plantation d’arbres par le FNJ – occuper le terrain « pour faire refleurir le désert » – et l’installation d’un avant-poste, puis d’une colonie, d’abord camouflée par la forestation artificielle, le FNJ façonnant le terrain afin qu’il soit impossible de construire et de circuler pour les Bédouins, puis suit une deuxième phase, de déforestation, afin de permettre l’implantation d’une nouvelle colonie… Ce qui montre que l’argument de protection de l’espace « naturel » par Israël n’est qu’une étape de la colonisation.
En 2010 arrivée de 1000 soldats et policiers qui détruisent 57 maisons, arrachent 4000 arbres fruitiers, dévastent le travail de la terre, alors que les villageois étaient autonomes, vivant de leur production agricole organique.
Les Israéliens reviennent en 2011, 2013, et 2014 pour une seconde vague de destructions : mosquée détruite, cimetière visité.
En 2016 le village est isolé pendant plus de 3 mois, avec menaces de « nettoyer la terre ».
Depuis Al Araqib a été détruit 199 fois. Arrachage des tentes, confiscation des biens (voitures, lits, vêtements). Soit 9 attaques par an ! Les soldats reviennent régulièrement pour casser ce qui reste debout. En 2010, on comptait 573 habitant·es. Aujourd’hui 86 et 22 familles, dont 4 gardent les lieux « à tour de rôle ». Ils ne sont tranquilles que pendant Shabbat.
Cela fait maintenant sept années qu’elles et ils ont décidé de résister et de porter leur lutte auprès de la Cour suprême pour y faire (r)établir leurs droits sur deux points :
– La reconnaissance du droit de propriété du peuple indigène. Qui comprend la question des preuves recevables puisque les Bédouins qui représentent un tiers de la population du Naqab n’ont pas de « titre de propriété ».
– La légalité (ou non) de l’expropriation au regard de la loi des absents. Si la Cour reconnaît que les Bédouins étaient là avant 1948 et qu’ils ont subi des déplacements forcés avant de revenir à Al Araqib, l’acte d’expropriation pourrait être invalidé. Ce qui serait un pas vers la reconnaissance de leurs droits et pour leur dignité.
Au village, les habitant·es sont des résistant.es qui acceptent ces conditions de survie. Elles et ils vivent aujourd’hui dans des vans, ou sous tentes dans l’enceinte du cimetière, sans le moindre confort, sans infrastructure, dans des conditions sanitaires difficiles.
Depuis 2013, la Palestine se mobilise en soutien au peuple bédouin et on note quelques victoires par rapport à leur marginalisation.
Aujourd’hui, les projets israéliens pour le Neguev restent d’en chasser la population palestinienne. Pour tenter de parvenir à cet objectif, différentes étapes :
– Y déplacer des bases militaires, les premiers colons étant souvent les soldats, en continuité avec 1967 et selon le même processus qu’en Cisjordanie.
– Y implanter une population juive par l’incitation à l’installation des plus précaires.
– Développer des infrastructures (train, autoroutes).
– Créer des zones industrielles (Ar’arat), près des Bédouins qui ont été déplacés et offrent une main-d’œuvre captive.
Malgré ces moyens de « recolonisation », Israël n’arrive toujours pas à occuper et contrôler tout le Naqab - Neguev.