Bientôt un 194e pays dans le « club » mondial des Nations unies ? Après le Sud-Soudan le 14 juillet dernier, l’admission de la Palestine constituerait un véritable coup de tonnerre. Sur le site Internet de l’ONU, c’est dans la catégorie des « Etats non membres », aux côtés du Vatican, qu’on la trouve aujourd’hui, sous la rubrique : « Entités auxquelles a été adressée une invitation permanente à participer en qualité d’observateur aux sessions et aux travaux de l’Assemblée générale et ayant un bureau permanent au Siège de l’ONU. » Un intitulé alambiqué que l’Organisation de libération de la Palestine (OLP) et les dirigeants de l’Autorité nationale (ANP) voudraient voir disparaître lors de la 66e session de l’Assemblée générale des Nations unies qui s’ouvre le 13 septembre à New York. « Le peuple palestinien a, comme les autres, un droit inaliénable à la liberté et à l’autodétermination, résume Safwat Ibraghith, premier conseiller au sein de la Mission de Palestine en France [1]. Et c’est sur la base de ce droit que les Palestiniens cherchent à établir leur Etat et à le faire reconnaître. Pour nous, l’ONU est le forum le plus naturel pour une telle démarche. » Le 13 août, Mahmoud Abbas a fait savoir qu’il présenterait cette demande d’adhésion d’un Etat de Palestine aux Nations unies le 20 septembre.
Une démarche à haute charge symbolique, politique, historique : le 29 novembre 1947, la résolution 181 consacrait le partage de la Palestine mandataire en deux Etats [2]. Moins de deux ans plus tard, après une guerre conclue par la Nakba et la déclaration d’indépendance israélienne (en mai 1948), l’ONU accueillait Israël comme Etat membre, le 11 mai 1949. L’OLP, elle, a dû attendre 1974 pour être admise au sein de l’organisation en tant que mouvement de libération nationale et observateur. « Une reconnaissance de l’Etat palestinien en septembre vaudrait application, soixante-quatre ans plus tard, de la résolution 181, souligne Dominique Vidal, journaliste, historien, co-auteur des 100 clés du Proche-Orient [3]. C’est à dire la naissance d’un Etat souverain avec des droits égaux à ceux des autres Etats, ce qui serait un fait majeur dans l’histoire du conflit. »
Le veto des États-Unis
Au sein de l’Assemblée générale, les Palestiniens ne devraient avoir aucun mal à réunir les 128 votes nécessaires à cette reconnaissance (voir encadré). Mais, les Etats-Unis, membres du Conseil de sécurité, ont fait savoir qu’ils opposeraient leur veto à une éventuelle admission. Une promesse qui n’a pas suffi à rassurer en Israël. Le quotidien Haaretz révélait début juin que le ministère israélien des affaires étrangères mobilisait ambassades et diplomates pour qu’ils exercent des pressions au plus haut niveau afin de contrecarrer l’offensive palestinienne à l’ONU [4]. Et, fin juillet, le même Haaretz faisait part de l’étude par le Conseil de sécurité nationale, un organisme consultatif, d’une possible abrogation des accords d’Oslo en représailles.
« Cette mobilisation, comme celle que l’on peut observer en France sur le site du CRIF (Conseil représentatif des institutions juives de France, ndlr) devrait achever de convaincre les sceptiques, souligne Dominique Vidal : si le gouvernement israélien et ses alliés dépensent tant d’énergie contre ce vote, c’est bien que l’enjeu est important. » Pourtant, quelle que soit la décision de l’ONU, les négociations n’en seront que très peu impactées à court terme. Les dossiers clefs du conflits – tracé des frontières, démantèlement des colonies et du mur, droit au retour des réfugiés, statut de Jérusalem – devraient rester bloqués pour quelque temps encore. Un blocage toujours dû à la politique du gouvernement israélien (coalition droite / extrême-droite), qui continue de coloniser la Cisjordanie, Jérusalem, et dont le chef Benyamin Netanyahou a fait savoir le 23 mai qu’il refusait tout retour aux frontières de 1967.
« Mais c’est le cadre global des négociations qui se trouverait changé par cette admission, considère Dominique Vidal. Car on ne serait plus dans une situation mettant face à face un Etat et un mouvement de libération nationale, mais bien dans un schéma avec deux Etats souverains, avec toutes leurs prérogatives et tenus de négocier sur la base des résolutions de l’ONU... »
« En cas d’admission, les Palestiniens pourraient activer le chapitre VII de la charte (qui prévoit une « Action en cas de menace contre la paix, de rupture de la paix et d’acte d’agression », ndlr), les dirigeants palestiniens bénéficieraient d’une immunité diplomatique, la Palestine pourrait adhérer à des organisations internationales, etc., ajoute une source proche de l’ANP souhaitant garder l’anonymat. Il est clair que cette admission ouvrirait des possibilités intéressantes, c’est bien pour cela qu’Israël se mobilise. Sauf que cela n’aura pas lieu, puisque que les Etats-Unis ne reviendront pas sur leur veto... » Sur ce point, l’historien américain- palestinien Rashid Khalidi confirme : « Il n’y a aucune chance pour qu’Obama revienne sur sa décision. On est dans une période pré-electorale aux Etats-Unis, à quatorze mois des présidentielles, et le seul agenda qui vaille ici reste celui de la politique intérieure. Cela écrase toutes les considérations de politique extérieure. » Pour autant, selon Dominique Vidal, Barack Obama y réfléchira à deux fois avant de confirmer son veto : « Dans le contexte des intifadas arabes, et alors qu’il essaie depuis le début de son mandat de séduire les opinions publiques arabes, cela pourrait avoir des conséquences fâcheuses pour lui dans la région. Il y a, on le sait depuis quelques années, de vrais débats au sein de l’administration américaine sur la politique proche-orientale et la relation avec Tel-Aviv. Il faut donc être prudent et fin dans l’analyse de la situation... Les positions peuvent évoluer. » Insistant sur l’importance du « basculement actuel des rapports de force mondiaux », avec notamment le poids grandissant des puissances émergentes, le journaliste spécialiste de la région estime que « tous les acteurs du conflit au Proche- Orient ont une conscience aiguë de ce basculement, notamment Israël, qui, depuis 1948, n’a jamais été aussi isolée sur la scène diplomatique et dans l’opinion mondiale ».
Négociations stériles
Pour Rashid Khalidi, la démarche de l’ONU a pour principal intérêt de signifier que les Palestiniens cessent de « tout miser sur les négociations ». De quoi satisfaire cet historien accusant l’ANP et le Hamas de se fourvoyer dans des impasses stratégiques (négociations permanentes et stériles des premiers, « pseudo-résistance » armée inefficace des seconds) depuis vingt ans. Il espère aussi que, entre autres effets positifs, le Printemps arabe conduira « les dirigeants arabes à prendre leurs distances avec les Etats-Unis ». Cette prise de distance, notre source anonyme l’observe au niveau de l’ANP : « Depuis quelques mois, il y a une érosion de la relation exclusive de l’ANP avec les Etats-Unis et l’Europe, et l’Autorité se retourne vers les pays arabes. C’est d’ailleurs aussi comme ça qu’il faut lire la demande palestinienne d’admission à l’ONU : une tentative de créer du mouvement, un peu à l’aveugle, dans un contexte modifié. Potentiellement intéressant, mais le résultat est très improbable et cela génère un risque : fin septembre, si l’Etat n’a pas été admis, les Palestiniens vont demander des comptes à l’ANP. Que répondra-t-elle ? Quel sera son projet ? Il y a des gens sérieux au sein de l’Autorité, mais, globalement, elle regroupe aujourd’hui une nomenklatura qui vit des financements de la communauté internationale et n’a pas envie que cela cesse. Sauf que la perspective de deux Etats s’éloigne. Et les nouvelles réflexions autour de la construction d’un Etat binational ou d’une Confédération viennent plutôt du côté des Arabes israéliens (Palestiniens devenus citoyens israéliens après la guerre de 1948, ndlr) ou de la société civile palestinienne. Les alternatives sont là, pas dans les organisations politiques, poussiéreuses aux yeux des 20 - 40 ans. »
Une analyse partagée par Rashid Khalidi : « L’ANP est une autorité sans souveraineté, sans juridiction et sans autorité réelle, puisque, en Cisjordanie, les Israéliens peuvent arrêter n’importe qui, quand ils veulent, où ils veulent... Les Palestiniens voient bien qu’il n’y a plus rien à attendre des négociations. Et les mobilisations comme à Bilin, à Jérusalem prouvent qu’ils ont compris que c’est sur le terrain que l’on s’attaque réellement à ce qui reste le fond du problème : l’occupation. »
La solution pour les Palestiniens viendra-t-elle de ces mobilisations menées par de nouvelles générations, dans un contexte régional et international plus favorable ? Difficile d’y répondre. En attendant, Safwat Ibraghith se raccroche au futur très proche : « L’approbation (l’admission, ndlr) par les Nations unies de l’Etat palestinien est importante pour garder vivantes les perspectives d’une solution à deux Etats ». Perspective encore « sauvable » ? Réponse le 20 septembre.