Il est choquant pour moi, et pour tout Palestinien, de voir la vague croissante d’images humaines et sympathiques des Ukrainiens, qui se battent à juste titre pour leur patrie, sur les plateformes médiatiques américaines et occidentales, comparée à notre réalité palestinienne.
Malgré des décennies de couverture médiatique biaisée et unilatérale, il est toujours douloureux, voire déconcertant, d’assister à la présentation des Ukrainiens comme des "combattants de la liberté" dont les territoires ont été "injustement envahis". Les injustices commises à l’encontre des Ukrainiens continuent d’être publiquement condamnées, à juste titre, et les torts commis à leur encontre exposés pour ce qu’ils sont : des crimes contre l’humanité.
Les dommages irréparables, les Ukrainiens déplacés et leurs morts tragiques continuent d’être signalés, tandis que les Palestiniens, qui luttent contre des maux et des injustices similaires depuis plus de sept décennies, continuent d’être écartés et minimisés par des techniques de conditionnement médiatique occidentales soigneusement choisies.
Cette divergence flagrante est la raison pour laquelle j’ai participé à la création de We Are Not Numbers (WANN) il y a sept ans.
Je n’avais que 19 ans lorsqu’Israël a lancé l’opération "Bordure protectrice" sur Gaza. Ce n’était pas la première guerre déclarée par Israël, et certainement pas la dernière, mais c’est celle qui a le plus changé ma vie.
Ce schéma systématique d’exclusion, d’omission, de sélectivité des informations présentées a été pratiqué de manière routinière sur les Palestiniens. Ce schéma de fausse information a ancré la fausse idée que le public occidental se fait de la Palestine et a alimenté les vagues d’hostilité que nous continuons à voir en ligne et hors ligne.’’
Pendant Bordure protectrice, Israël a tué plus de 2 200 Palestiniens, dont 600 enfants. Mon frère, Ayman, et beaucoup de mes amis proches étaient parmi ceux qui ont été tués. Les tragédies humanitaires commises lors de cette guerre n’ont pas été correctement documentées et encore moins dans les médias occidentaux. Au lieu de cela, les médias se sont principalement concentrés sur le nombre de victimes et ont cherché à donner un contexte et à justifier les crimes israéliens commis contre nous.
La perte de mes proches m’a plongé dans une profonde dépression qui a persisté des mois après la fin de la guerre. Une écrivaine américaine, Pam Bailey, que j’avais rencontrée plus tôt cette année-là, a remarqué la différence dans mon activité sur Facebook et m’a contactée. Elle m’a demandé comment j’allais, ce à quoi j’ai répondu : "bien". Elle m’a pressé : "Dis-moi quelque chose de vrai...". Lorsque les vannes se sont ouvertes, elle m’a encouragée à écrire un hommage à Ayman, pour commémorer son héritage dans ma famille et notre communauté.
Pendant trois mois, en travaillant sur mon essai, l’histoire d’Ayman en tant que frère et fils s’est déroulée ainsi que celle d’Ayman en tant que fervent défenseur de la liberté et de l’identité. Pam a dit qu’il s’agissait d’une histoire à laquelle les Occidentaux étaient rarement exposés - les récits humains qui se cachent derrière la question "pourquoi lancent-ils des roquettes ?".
Pam a ensuite soumis mon article pour publication et j’ai été submergé par le nombre de questions et la sympathie qui ont suivi. Ma dépression a commencé à s’estomper alors que je commençais simultanément à reconnaître le pouvoir de mes mots et mon rôle dans la représentation des voix de mon peuple.
C’est cette expérience qui a inspiré WANN, que Pam et moi avons fondé avec le soutien d’Euro-Med Monitor. Nous jumelons des écrivains professionnels anglais du monde entier avec des journalistes et des essayistes palestiniens en herbe pour les aider à partager leurs vérités avec le monde. Notre mission est d’amplifier les récits des Palestiniens, en brisant les stéréotypes et en remettant en question la version de l’histoire et de l’actualité telles que présentées par les médias occidentaux.
Par exemple, la mort de Shireen Abu Aklehs aux mains d’un sniper israélien a été à peine mentionnée par les gouvernements occidentaux mais un nombre croissant de médias rapportent les faits, à savoir : un meurtre pur et simple. J’aime à penser que ce changement progressif est en partie dû au travail de WANN qui insiste sur l’existence d’un autre récit.
Nous écrivons également sur le talent, l’amour et la famille des Palestiniens - toutes les nuances qui se cachent derrière les chiffres des nouvelles et qui sont laissées de côté. À ce jour, nous avons recruté 400 écrivains et publié plus de 1050 articles, commentaires, poèmes et essais.
Pendant les manifestations de la Marche du retour, lorsque des centaines de milliers de Palestiniens de Gaza ont protesté contre le blocus israélien de Gaza et exigé leur droit au retour conformément à la résolution 192 des Nations unies, mon équipe et moi-même avons travaillé sans relâche. Nous avons écrit les histoires humaines des personnes impliquées, produit de courts documentaires et lu des poèmes à voix haute.
Nous voulions confronter la couverture déformée du sujet et les Palestiniens ont vu là une chance de contester et de démanteler les fausses représentations publiées.
De plus, deux ans plus tard, lorsque - grâce au travail que je fais au WANN - j’ai obtenu une bourse pour étudier mon master en journalisme international au Royaume-Uni, j’ai concentré mes recherches sur la couverture de la Marche du retour par les médias occidentaux. Si la conclusion n’était pas très surprenante, ce qui m’a le plus frappé, c’est l’ampleur internationale de la mauvaise couverture de la Palestine. Cela se reflétait à la fois dans le contenu inclus et dans les informations exclues de la couverture.
Ce schéma systématique d’exclusion, d’omission, de sélectivité des informations présentées a été pratiqué de manière routinière sur les Palestiniens. Ce schéma d’information erronée a renforcé l’idée erronée que le public occidental se fait de la Palestine et a alimenté les vagues d’hostilité que nous continuons à observer en ligne et hors ligne.
Au cours des 74 dernières années, la couverture médiatique occidentale de la Palestine a été déshumanisante. Elle donne plus de pouvoir aux politiciens, aux soldats et aux citoyens israéliens, en leur offrant des plateformes pour justifier leurs crimes contre le peuple palestinien aux dépens de ceux qu’ils ciblent activement.
L’observation de cette couverture injuste de la Palestine sans perspective de changement fait de notre priorité et de notre responsabilité morale d’inventer de nouveaux canaux de communication et de livrer la vérité toute nue.
Chez WANN, nous contestons ce système d’omission, de silence délibéré et de déshumanisation systématique, un récit à la fois.
Traduction et mise en page : AFPS /DD