Cette année, le FSM a rassemblé 155 000 participants provenant de 135 pays avec 2 300 événements et 500 manifestations culturelles organisés autour de onze thématiques d’intervention matérialisées par des espaces distincts dans le « village alternatif » créé pour l’occasion et qui nécessitaient de parcourir environ six kilomètres pour aller d’un espace thématique à un autre. Cette nouvelle édition a marqué aussi la fin des grandes plénières, sorte de grands-messes, pour créer de véritables lieux de débats et de propositions dans le cadre de conférences à taille plus réduite [1] .
Ainsi, il s’agissait pour la Plateforme des ONG françaises pour la Palestine de participer à cet espace de réflexion et d’échanges collectifs où se retrouvent parmi d’autres les mouvements de solidarité avec la Palestine du monde entier afin d’approfondir et de renforcer la coordination de leurs actions. L’implication de la Plateforme Palestine a pu se faire avant tout à partir de la forte mobilisation de certains de ses membres dans ces processus, notamment le CCFD (Comité catholique contre la faim et pour le développement), le Cedetim et le réseau IPAM (Initiatives pour un autre monde), le Secours Catholique-Caritas France, Terre des Hommes France... tous rassemblés dans la coordination du CRID [2] qui anime, depuis plusieurs années, l’implication des ONG françaises dans la dynamique des forums sociaux.
Une place de choix pour la Palestine
Les associations palestiniennes ont toujours participé à ces rencontres et leur nombre s’est accru depuis la guerre en Irak et la création des mouvements anti-guerre. Cette année, une importante délégation palestinienne s’était organisée tout spécialement pour le FSM autour d’une coordination de dix associations palestiniennes [3], intitulée OPGAI (Occupied Palestine and Syrian Golan Heights Advocacy Initiative) ne représentant cependant que partiellement l’ensemble des organisations palestiniennes. Un appel commun à ces associations avait été rédigé pour demander aux mouvements présents au FSM de renforcer leurs actions de solidarité en mettant en place une campagne globale de boycott, de désinvestissement et de sanctions à l’encontre d’Israël sur le modèle des campagnes mises en place par le passé contre l’apartheid en Afrique du Sud.
De nombreux séminaires ont été organisés pour lancer l’appel aux sanctions et au boycott contre Israël avec l’appui des associations de Palestiniens du Brésil. Une grande tente Palestine a été installée dans l’espace consacré aux
« Droits humains et à la dignité pour un monde juste et égalitaire », l’un des plus fréquentés du forum et devant laquelle un mur de dix mètres de long a été érigé avec des photos des exactions et destructions commises par Israël pour construire le Mur dans les Territoires. Quotidiennement, des marches scandant la fin de l’occupation furent aussi organisées jusqu’au dernier jour quand les manifestants ont symboliquement démoli le mur du forum. Moustapha Barghouti, grand adepte de ces rencontres, ne s’est pas déplacé cette année au FSM. En revanche, la présence de Leïla Khaled, ancienne résistante et combattante palestinienne au Liban des années 70, à de nombreuses interventions publiques contre l’impérialisme américain a suscité bien des étonnements et a attiré beaucoup d’auditeurs.
Beaucoup d’autres Palestiniens et de pacifistes israéliens étaient également présents à l’invitation des organisations de solidarité internationales, à l’instar de la Plateforme, qui avaient aussi organisé des débats et des ateliers sur la question tout en finançant la venue des partenaires. Dans le cadre de ces événements, le sujet de la Palestine revenait souvent auprès de celui de l’Irak, illustré particulièrement par un séminaire avec Michel Warshawski et Ilan Halevi, invités par la confédération syndicale italienne (CGIL) à faire part de leur analyse des occupations palestinienne et irakienne. Les rares moments qui permirent l’échange entre Palestiniens et Israéliens ont été les séminaires et l’atelier organisés par la Plateforme Palestine. Les militants israéliens pour la paix n’ont pas l’habitude de venir aux forums sociaux, pourtant le public est toujours très intéressé de connaître les actions qu’ils mènent en soutien aux Palestiniens. La venue cette année de Lin Chalozin-Dovrat de la « Coalition des Femmes pour la Paix » et de Zohar Shapira, frère du pilote refuznik Jonathan Shapira, lui aussi refuznik, a permis pour beaucoup de mieux comprendre l’impasse dans laquelle se trouve la société israélienne et l’importance de soutenir ces militants très minoritaires chez eux. De même, les séminaires des CCIPPP et de la Coordination européenne des Comités Palestine (CECP) ont permis d’aller plus avant dans la définition de stratégies d’actions communes à mener pour renforcer le mouvement de solidarité avec la Palestine et accroître les pressions politiques contre l’Etat israélien avec l’implication d’autres réseaux de la société civile, notamment les syndicats à travers les interventions de Sophie Zafari de la FSU et de Paul Nicholson de « Via Campesina ».
Le mouvement de solidarité à l’heure des propositions d’actions communes
Au-delà de créer les espaces d’échanges avec les visiteurs du forum à travers les ateliers et les séminaires, il s’agissait de profiter de la présence de l’ensemble des organisations du mouvement de solidarité avec la Palestine pour prendre ensemble le temps du dialogue autour des campagnes et des actions à mener. Trois soirs de réunions étaient planifiés à la fin de chaque journée d’activités avec les Palestiniens et les Israéliens présents pour poursuivre les rencontres et le travail initié au forum social européen 2004 de Londres sur les stratégies d’actions à mener pour 2005 autour de la campagne de sanctions reprise dans la déclaration des mouvements sociaux du FSE de Londres [4].
Il n’a pas toujours été aisé de trouver des terrains d’entente sur la question des sanctions et du boycott entre les acteurs présents aussi variés. Leïla Khaled était souvent sourde aux arguments européens soulevant les difficultés qui existent en Europe d’associer la défense des revendications des Palestiniens et la dénonciation de l’occupation à des demandes de boycott. Fort de l’exemple sud-africain, les Palestiniens présents avaient beaucoup de mal à concevoir le contexte différent qui existe par rapport à l’Etat israélien. Nahla Chahal, des CCIPPP, Michel Warschawski de l’AIC et Pierre Galand du CECP ont également rappelé que les sanctions et le boycott ne pouvaient être un objectif et une fin en soi mais qu’ils s’agissait avant tout de rassembler et de mobiliser davantage d’acteurs de la société civile autour des acquis de nos actions, en premier lieu la décision de la Cour internationale de Justice du 9 juillet 2004 et autour des campagnes déjà lancées pour la suspension de l’Accord d’association entre l’Union européenne et Israël.
In fine, ces échanges ont surtout permis de se mettre d’accord sur la rédaction d’une proposition de texte pour l’appel final des mouvements sociaux. Outre la reprise de la campagne de sanctions lancée au FSE de Londres, l’appel demande aux mouvements sociaux de se mobiliser pour les désinvestissements des multinationales qui soutiennent l’occupation israélienne et les boycotts dans une acception qui permette de les relier à la politique coloniale israélienne, à la construction du Mur et pour l’embargo sur l’armement. C’est d’ailleurs avec émotion que Jamal Juma, coordinateur de l’Anti-Apartheid Wall Campaign, a lu le texte (voir encadré) à la tribune de l’Assemblée des mouvements sociaux, le dernier jour du forum.
Renforcer les alliances en France
Le véritable bilan de cette rencontre ne peut se tirer qu’après quelque temps car ce qui importe réellement est la dynamique lancée dans le cadre de ces échanges et ensuite ce sur quoi elle parvient à déboucher sur le moyen et le long terme. Dans l’immédiat, il est certain que les réflexions devront être menées en France et en Europe au vu de ce qui a été l’objet principal des débats dans ce FSM, à savoir les campagne de sanctions et de boycotts, qu’il s’agira nécessairement d’articuler avec la campagne contre le Mur. Il nous appartient aussi de rebondir sur les alliances qui ont pu se bâtir à Porto Alegre, avec les syndicats notamment, pour élargir de façon pérenne les réseaux déjà existants et impliqués dans nos différentes campagnes.
Le travail à poursuivre se situe également dans le cadre des forums sociaux locaux. En France, de nombreux forums sociaux locaux [5] sont organisés chaque année et il s’agit donc de mettre en place, à l’échelle locale, les stratégies d’alliances avec les mouvements sociaux et les syndicats pour donner toujours plus d’écho à la question palestinienne et renforcer les pressions sur nos interlocuteurs politiques.
Rabab Khairy