Au terme d’un long débat, parfois tendu, entre l’Elysée et le Quai d’Orsay, le gouvernement français a finalement annoncé mardi qu’il voterait "oui" à l’admission de la Palestine comme "Etat observateur non-membre" des Nations unies. Pendant la visite en France de Benjamin Netanyahou, François Hollande avait clairement montré qu’il était réservé, voire hostile à un soutien à la demande palestinienne en déplorant "la tentation pour l’Autorité palestinienne d’aller chercher à l’Assemblée générale de l’ONU ce qu’elle n’obtient pas dans la négociation".
Alignée sur la position constante d’Israël et des Etats-Unis, cette attitude constituait un recul par rapport à celle défendue par Nicolas Sarkozy à New York, en septembre 2011, devant l’Assemblée générale de l’ONU, puis un mois plus tard, lors de l’admission de la Palestine à l’Unesco, obtenue avec le soutien de Paris.
Elle était très divergente, voire en contradiction par rapport à la position traditionnelle de la France, favorable à une solution négociée du conflit israélo-palestinien reposant sur la coexistence pacifique, sur le territoire de l’ancienne Palestine mandataire, de deux Etats - Israël et l’Etat de Palestine. Ce dernier restant à créer, avec Jérusalem-Est comme capitale, dans les frontières définies par la Ligne d’armistice (Ligne verte) de 1949. Elle était aussi en contradiction flagrante avec le 59e des 60 engagements pour la France du candidat François Hollande, qui indiquait : "Je soutiendrai la reconnaissance de l’Etat palestinien".
138 pays ont voté le texte palestinien
Considérée par certains diplomates comme un retour aux années de la SFIO, lorsque les socialistes français défendaient de manière exclusive le jeune Etat d’Israël, y compris en équipant son armée, cette position de l’Elysée était en rupture avec la politique suivie par les gouvernements successifs depuis des décennies. Elle était jugée indéfendable par les collaborateurs de Laurent Fabius. Surtout au moment où les rapports de force stratégiques sont en train de changer au Moyen-Orient, au point d’inciter les Etats-Unis à envisager une mise à jour de leurs choix dans la région.
Même assortie de réserves – sur la saisine de la Cour internationale de justice, par exemple – et d’un appel formel "à la reprise de négociations sans conditions", alors que ces "négociations" n’existent plus, cette prise de position a été saluée par les Palestiniens. A leurs yeux, cet engagement de Paris devait inciter d’autres capitales européennes à franchir le pas et à soutenir leur candidature. Le texte a finalement été adopté par 138 voix pour, 9 contre et 41 abstentions, sur les 193 pays membres des Nations Unies.
Les Européens, comme d’habitude, se sont divisés entre partisans du "oui", partisans du "non" et abstentionnistes. Treize membres de l’Union européenne - dont la France, l’Italie, l’Espagne, la Suède, la Belgique, le Danemark, l’Autriche, l’Irlande et la Finlande ont voté oui. L’Allemagne, que les dirigeants israéliens esperaient voir se joindre à la liste des pays votant non, s’est abstenue, comme le Royaume Uni, les Pays Bas, la Pologne ou la Hongrie. Un seul pays de l’UE - la République tchèque - a voté non, en compagnie du Canada, des Etats-Unis, d’Israël, des Iles Marshall, de la Micronésie, de Nauru, de Palau et du Panama.
En d’autres termes, malgré sa générosité dans le soutien financier apporté à l’Autorité palestinienne – qui a reçu 5,4 milliards d’aide européenne depuis 1994 –, l’UE s’avère incapable d’adopter une position et une attitude cohérentes face au conflit israélo-palestinien lorsqu’elle est placée devant l’exigence d’une décision politique concrète.
L’Europe a – théoriquement – une politique commune…
Ce n’est pas faute, pourtant, de disposer d’un arsenal de textes définissant, depuis plus de 30 ans, la position commune de l’Europe sur ce conflit et sur les moyens d’y mettre un terme. Le premier date du 13 juin 1980. Dans la "Déclaration de Venise", adoptée ce jour-là, 13ans avant les Accords d’Oslo, le Conseil européen estimait que "le peuple palestinien, qui a conscience d’exister en tant que tel, doit être mis en mesure, par un processus approprié défini dans le cadre du règlement global de paix, d’exercer pleinement son droit à l’autodétermination".
Le même document rappelait "la nécessité pour Israël de mettre fin à l’occupation territoriale qu’il maintient depuis le conflit de 1967". "Les Neuf [chefs d’Etat et de gouvernement], poursuivait le texte, sont profondément convaincus que les colonies de peuplement israéliennes représentent un obstacle au processus de paix au Moyen-Orient. Ils considèrent que ces colonies de peuplement ainsi que les modifications démographiques et immobilières dans les Territoires occupés sont illégales au regard du droit international".
Cette position commune a-t-elle changé avec l’élargissement de l’Union européenne, passée depuis la Déclaration de Venise de 9 à 27 membres ? Officiellement, non. À de multiples reprises, au cours des trente dernières années et en particulier depuis la signature des Accords d’Oslo, en 1993, l’Union européenne a rappelé son soutien à une solution négociée fondée sur la création d’un Etat palestinien en Cisjordanie, à Gaza et à Jérusalem-Est, vivant en paix aux côtés de l’Etat d’Israël.
De manière tout aussi récurrente les dirigeants européens ont répété que ce processus de paix reposait sur la fin de l’occupation israélienne et sur l’arrêt de la colonisation, jugée illégale, et en contravention avec les Conventions de Genève. Inscrits – parmi d’autres – dans la Feuille de route, parrainée depuis mai 2003 par les Etats-Unis, la Russie, les Nations unies et…l’Union européenne, ces principes ont été rappelés année après année, dans les rapports que les Chefs de mission diplomatique des pays de l’Union européenne à Jérusalem et à Ramallah adressent à Bruxelles.
L’attitude contradictoire de l’UE
Généreuse avec l’Autorité palestinienne, l’Union européenne, en d’autres termes, considère que les colonies ne sont pas seulement "illégales" au regard du droit international, mais qu’elles "constituent un obstacle à l’instauration de la paix, et qu’elles risquent de rendre impossible une solution fondée sur la coexistence de deux Etats".
Le problème, c’est que les choix de l’Union européenne, en matière d’échanges économiques notamment, sont en contradiction absolue avec cette position théorique. C’est ce que démontre un rapport très documenté de 35 pages, préparé par 22 organisations non gouvernementales, rendu public le 30 octobre. Selon ce document, préfacé par l’ancien commissaire européen aux relations extérieures Hans van den Broek, la valeur des produits importés chaque année par l’Union européenne depuis les colonies israéliennes (230 millions d’euros) est 15 fois supérieure à la valeur des produits importés des territoires palestiniens (15 millions d’euros).
Ainsi, tout en condamnant la colonisation, en la tenant pour un obstacle à la paix et en appelant à son arrêt, l’Union européenne la renforce en achetant les produits fabriqués dans ces mêmes colonies qu’elle juge "illégales". Difficile de faire plus incohérent. Cette situation, aux yeux des Palestiniens, est d’autant plus incompréhensible que leur économie est très gravement entravée par les restrictions que leur impose l’occupation israélienne : difficultés de circulation, d’accès aux marchés et aux ressources naturelles, problèmes d’approvisionnement et de distribution.
L’UE "discrédite son soutien"
En revanche, les colonies bénéficient, elles, de subventions multiples et d’accès simplifiés aux marchés, grâce au réseau routier exclusif construit par Israël. Le résultat de cette discrimination tient en quelques chiffres : les exportations palestiniennes qui, dans les années 1980, représentaient plus de la moitié du PIB palestinien, n’atteignent même pas, ces dernières années, 16% du PIB. Ce qui rend l’Autorité palestinienne étroitement dépendante, pour l’établissement de son budget, des aides – souvent fluctuantes et pas toujours désintéressées - venues de l’extérieur.
"L’Union européenne dépense des centaines de millions d’euros chaque année dans l’effort de construction d’un Etat palestinien, constate l’ancienne députée britannique Phyllis Starkey, membre de l’ONG Medical Aid for Palestinians, mais elle discrédite ce soutien en faisant du commerce avec les colonies illégales et par là même, contribue à leur rentabilité et à leur expansion".
En avril 1994, Israël et l’OLP ont signé le Protocole de Paris qui organise les relations économiques entre l’Autorité palestinienne et l’Etat d’Israël. En vertu de ce texte, les Palestiniens ont le droit d’exporter leurs produits sans restrictions et doivent bénéficier du même traitement que celui qui est réservé aux produits d’exportation israéliens. Par ailleurs, l’Union européenne a conclu avec l’OLP, en juillet 1997, un accord commercial qui donne aux produits palestiniens un accès préférentiel au marché européen et les exonère de droits de douane. En 2011, cet accord préférentiel a été étendu aux produits agricoles. Les produits israéliens bénéficient, eux aussi, d’un accès privilégie au marché européen.
La lettre des anciens dirigeants européens
En principe, compte tenu du caractère illégal des colonies – reconnu par l’Union européenne –, les produits qu’elles fabriquent, en bénéficiant d’aides multiples et massives du gouvernement israélien, ne devraient pas être mêlés aux produits fabriqués en territoire israélien proprement dit. Certains pays, comme le Royaume-Uni, par exemple, ont exigé et obtenu que les produits fabriqués dans les Territoires occupés portent un étiquetage spécial. Le Danemark vient d’adopter une législation du même type. En Suisse la chaine de supermarchés Migros a annoncé qu’elle avait l’intention d’introduire en 2013 un étiquetage des produits, agricoles et industriels, en provenance des colonies.
Pour l’ancien directeur du ministère israélien des Affaires étrangères, Alon Liel, "l’étiquetage des produits issus des colonies est un acte simple qui nous rappelle que ces colonies sont une atteinte grave au droit international et l’instrument d’un projet dangereux d’annexion de facto".
Distinguer clairement, à l’intention des consommateurs (et des importateurs), les marchandises en provenance des colonies, dissuader les entreprises privées européennes de conclure des accords avec les colonies israéliennes, interdire l’importation dans l’Union européenne des produits issus des colonies, exclure les colonies des accords et des instruments de coopération avec Israël, telles sont les pistes que suggèrent aux gouvernements européens les auteurs du rapport des ONG.
Leurs conclusions rejoignent les recommandations faites en décembre 2010 par une vingtaine d’anciens dirigeants européens dont Lionel Jospin, Javier Solana, Richard Von Weizsäker, Helmut Schmidt, Romano Prodi et Felipe Gonzales qui écrivaient dans une lettre ouverte au président du Conseil européen : "Nous estimons nécessaire que l’UE mette fin à l’importation de produits issus des colonies, qui sont en contravention avec les normes d’étiquetage européennes, estampillés comme étant en provenance d’Israël".
Aux yeux de nombre de dirigeants palestiniens déçus par la passivité, voire la duplicité de l’attitude des Etats-Unis, l’Union européenne a longtemps représenté – et représente encore parfois – l’espoir d’un nouveau partenariat et d’un soutien moins soumis à l’influence israélienne que celui de Washington. Encore faudrait-il que les Européens, face au conflit israélo-palestinien, mettent enfin en accord leurs positions théoriques et leurs engagements concrets sur le terrain. Et s’accordent, au moins, sur une position commune élémentaire lorsqu’ils doivent se prononcer aux Nations unies. De ce point de vue, le vote d’hier n’était pas très encourageant.