A plusieurs reprises notre collègue Nabil El- Haggar a souligné que l’enfant palestinien était sans doute le seul au monde à se lever à 4 heures du matin pour aller à l’école. Récemment, lors de la dernière agression israélienne sur Gaza, on a retenu la photo d’une fillette de 13 ans donnant des cours sous une tente à des enfants de son quartier pour pallier la destruction de leur école. Les Palestiniens ont très vite compris l’efficacité de cette clé de l’indépendance que représentent l’apprentissage scolaire et son développement au collège et à l’université. Une véritable lutte, le droit à l’éducation étant constamment contesté par l’occupant, souvent de façon brutale ou sournoise.
Les universités palestiniennes sont un peu le fleuron de cette bataille. Avec 13 institutions réparties sur la Cisjordanie et Gaza, elles dispensent un enseignement de haute qualité malgré les limites imposées par l’occupation et son cortège d’exactions. Leurs créations et leurs mises en place, dès les années soixante- dix, ont donné lieu à de rudes affrontements face à l’acharne- ment de l’occupant opposé au développement intellectuel des Palestiniens. À ce titre, pour ceux qui lisent l’anglais, l’émouvant témoignage de Gabi Baramki, l’un des fondateurs de BirZeit, donne la mesure du combat. Il est regrettable que son livre, Peaceful Resistance : how to build a university under occupation, n’ait pas été traduit en français.
La coopération entre universités européennes et palestiniennes s’est manifestée d’abord via l’octroi de bourses permettant aux étudiants palestiniens de parfaire leur formation aux niveaux master et doctorat. Une coopération plutôt discrète, basée sur des individualités, pas forcément bien vue par les autorités de tutelle. Elle s’est exprimée au travers du pro- gramme « PEACE » de l’UNESCO, point de rencontre entre une douzaine d’universités européennes et leurs homologues palestiniennes. En France, un regroupement d’universitaires engagés pour la défense du droit à l’éducation s’est constitué autour du CICUP, une association qui a œuvré dans ce domaine avec succès jusqu’à ces toutes dernières années.
Cet engagement a débouché sur la constitution d’une génération de jeunes enseignants-chercheurs prêts à en découdre pour démontrer leurs capacités et doter leurs universités d’une reconnaissance internationale. Ce propos s’illustre par un exemple que nous connaissons bien, touchant à notre domaine : la physique à l’Université An-Najah de Naplouse.
D’une école créée en 1918, devenue institut de formation à l’enseignement en 1965, An Najah est transformée en une université nationale en 1977 avec deux facultés : sciences et arts. Elle s’étend maintenant sur 4 campus. L’ancien campus concerne les humanités. Le nouveau campus concerne les sciences (facultés et centres de recherche), avec la faculté de médecine et sciences de la santé (médecine, pharmacie, optométrie, soins de santé, laboratoire d’analyses médicales), la faculté d’agriculture et de sciences vétérinaires, la faculté des sciences de l’ingénieur et de l’information (physique, chimie, biotechnologie et mathématiques). Elle comprend également un collège de technologie : le collège technique Hisham Hijawi. À Kadoorie se trouve la faculté d’agriculture. Un hôpital très avancé a été créé en 2013. L’université dispose aussi d’un centre multimédia, d’un canal de radiodiffusion et d’une chaîne de télévision. Le département de physique a été créé en 1980 avec un soutien très important de l’université Paris-Sud (Orsay), du CERN, du LAL et de SESAME. Il comporte maintenant 6 professeurs, 12 assistants ou professeurs associés, tous palestiniens d’origine dont 3 docteurs formés en France. Les autres ont reçu leur formation aux États-Unis, en Europe (Italie) et en Turquie. Ils enseignent à 200 étudiant(e)s en licence, 20 en mas- ter et 4 en thèse avec une majorité de jeunes femmes. Plusieurs professeurs, présents depuis la création, atteignent l’âge de la retraite, il va donc falloir assurer la relève.
Les efforts déployés ces dernières années ont abouti à l’obtention récente d’un accord d’association avec le CERN au niveau de l’expérience « ATLAS », en coopération avec le LAL. Une re- connaissance importante au niveau international. En parallèle, une « École d’hiver des hautes énergies en Palestine » a été créée en 2016. Elle s’adresse à la fois aux étudiants palestiniens de physique et à un large public via des conférences de vulgarisation. Ce souci de contact avec le public se manifeste aussi par l’installation d’un télescope, don de l’université Al-Aqsa de Gaza, qui, en l’absence de spécialiste pour l’instant, bénéficie aux lycéens et aux personnes intéressées au travers d’observations et d’expériences.
Cet exemple du développement de la physique à An-Najah montre une évolution remarquable sur moins d’un demi-siècle. Elle se double d’un constat surprenant : l’intérêt des jeunes femmes pour cette discipline et leur excellence dans leur apprentissage de cette science.
Nous nous sommes bornés à évoquer un domaine pour le- quel nous pouvons fonder notre réflexion sur des observations directes. Il faut souligner que cette dynamique est présente dans beaucoup d’autres secteurs, comme la médecine, et dans l’ensemble des universités palestiniennes, y compris celles de Gaza malgré le blocus totalement illégal imposé à cette bande de terre. Il est essentiel de reconnaître le succès de cette « résistance pacifique » des Palestiniens, le germe d’un futur de liberté dès que justice leur sera rendue.
Roland Lombard, ex-président du CICUP et Ahmed Bassalat, Ass. Prof. An-Najah
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