Le logiciel espion Pegasus ( [1]) a été conçu par la société israélienne NSO Group, fondée en 2009 par d’anciens membres de l’une des unités de renseignement militaire parmi les plus performantes. Officiellement, NSO fabrique et commercialise des équipements de pointe destinés à lutter contre le terrorisme et le crime organisé. Elle travaille « en symbiose avec le gouvernement » (Le Monde, 19-07-2021). Ses seuls clients sont des États, une quarantaine semble-t-il, et chaque exportation doit être approuvée par le ministère israélien de la Défense, ce qui, selon NSO, garantirait une utilisation « éthique » du logiciel !
En contrepartie, NSO se soumet sans rechigner aux demandes du pouvoir israélien. Mais plusieurs enquêtes indiquent que l’utilisation du logiciel Pegasus a été dévoyée à de multiples reprises pour espionner des avocats, des journalistes, des hommes politiques, des militants des droits de l’homme… Certains États utilisent prioritairement Pegasus à des fins de répression policière et de surveillance de leurs opposants. Ce logiciel a été commercialisé à partir de 2013, mais c’est seulement en 2016 que ses premières intrusions sur des téléphones portables ont été repérées.
L’enquête « projet Pegasus » ( [2]) n’a pas franchement été appréciée par les autorités israéliennes qui ont préféré faire profil bas, se contentant de démentir – sans convaincre – qu’elles n’étaient pas au courant de l’utilisation frauduleuse du logiciel de NSO qui, bien évidemment n’était, elle aussi, pas au courant !
En fait, la vente de logiciels espions, comme Pegasus, fait partie d’une stratégie de « soft power » de l’État israélien qui vise ainsi à construire un réseau clientéliste diversifié et obtenir le soutien d’un nombre toujours plus important d’États dans les instances internationales comme l’ONU ou l’Unesco. L’arrivée au pouvoir de mouvements nationalistes autoritaires facilite le développement de ce réseau clientéliste où l’on retrouve l’Inde de Modi, la Hongrie d’Orban, l’Azerbaïdjan d’Aliyev…
Le cas du Golfe persique est emblématique de la collusion entre le commerce de la NSO et la diplomatie israélienne. Depuis longtemps, Israël y a établi des relations sécuritaires facilitées par une défiance commune envers la Turquie et surtout l’Iran. NSO peut ainsi s’appuyer sur des agents du Mossad passés dans le privé qui ont gardé un carnet d’adresses bien étoffé : dès 2016, NSO a fourni ses services aux Émirats arabes unis, puis en 2017 à Bahreïn et à l’Arabie saoudite (ce qui lui a permis d’espionner le journaliste et opposant Jamal Khashoggi dont on connaît le dramatique assassinat dans les locaux du consulat saoudien à Istanbul) ; malgré quelques frictions, cet assassinat n’affectera pas durablement les excellentes relations israélo-saoudiennes. Netanyahou a encouragé ces rapprochements sécuritaires en y voyant un moyen de marginaliser la question palestinienne : en 2020 les EAU et Bahreïn ont reconnu l’État d’Israël, sans aucune considération pour les Palestiniens (cf. Le Monde, 24-07-2021). L’exemple des EAU et de Bahreïn fut suivi par le Maroc qui utilisait déjà depuis 2017 le logiciel Pegasus, pour espionner les opposants au régime, mais aussi des dirigeants politiques, à commencer par le Président français Emmanuel Macron.
Ainsi, tous les moyens sont bons pour Israël – légaux et illégaux – dans la mesure où ils confortent son pouvoir. Quant à l’éthique – quoi qu’il en soit dit –, les droits de l’homme, les relations claires et constructives avec le reste du monde… Israël n’en a rien à faire, et si le « soft power » ne suffit pas, le « hard power », la violence de la force armée (cf. toutes les guerres menées par Israël), les attentats ou les cyberattaques comme le « ver » Stuxnet en Iran en 2010 (cf. l’article dans PalSol no 65, p. 4) complètent parfaitement les méthodes israéliennes.