Le dévoilement, cette semaine, de la deuxième plaque commémorative devait clôturer un congrès académique qui s’est tenu au Centre de l’Héritage de Menahem Begin avec pour visée de clarifier qui est combattant de la liberté et qui est terroriste. Quelle semaine pour une telle clarification ! Il est possible de distinguer entre les deux d’après leur type d’appartenance à une organisation, leurs buts, leurs cibles, leurs moyens de lutte et leurs modes d’opération. Les uns comme les autres partagent l’idée que le combattant de la liberté est quelqu’un de bien et que le terroriste est un sale type.
Quasiment tout terroriste se définit comme combattant de la liberté et, inversement, les combattants de la liberté sont généralement qualifiés de terroristes. Begin également. Il a consacré beaucoup d’efforts à convaincre l’histoire qu’il n’était pas un terroriste. Il a entre autre insisté sur le fait que son organisation n’avait pas touché à des civils. Voilà une thèse qui peut servir de leçon historique moralement adéquate : on ne touche pas aux civils.
La nouvelle plaque commémorative désigne les organisateurs de l’attentat comme « combattants de Etzel ». Il est important pour eux de souligner qu’ils agissaient « sous les ordres du mouvement insurrectionnel hébreu », c’est-à-dire la « Haganah », entre autres. Ils avaient appelé le central téléphonique de l’hôtel, à la rédaction du « Palestine Post » et à « l’Ambassade de France » (pensant probablement au Consulat) « pour éviter de faire des victimes ». En d’autres termes, ils voulaient un attentat qui ne porte atteinte à personne, mais il y a eu un problème : 25 minutes ont passé et puis, « pour des raisons quelconques », les Britanniques n’ont pas évacué le bâtiment, avec « pour résultat » que, « malheureusement », 91 personnes ont été tuées : 28 Britanniques, 41 Arabes, 17 Juifs et encore 5 autres. Afin de souligner le caractère militaire légitime de l’opération, la plaque commémorative indique qu’un des membres de Etzel a été tué « lors des échanges de tirs ».
Le gouvernement britannique exige le retrait de la plaque : l’Ambassadeur de Sa Majesté et le Consul ont écrit au maire de Jérusalem qu’il n’y avait pas à honorer un tel acte terroriste même s’il a été précédé d’un avertissement. On ne sait toujours pas clairement à ce jour ce qui a amené les planificateurs de l’attentat à penser que les Britanniques évacueraient le bâtiment. Le Premier Ministre Benjamin Netanyahou aurait-il évacué son bureau sur base d’une menace téléphonique en provenance d’une organisation palestinienne de sabotage ?
Netanyahou s’est exprimé lors du congrès. La différence entre une opération terroriste et une opération militaire légitime se manifeste, selon lui, dans le fait que des terroristes cherchent à toucher des civils et que des combattants légitimes s’efforcent de l’éviter. D’après cette thèse, l’enlèvement d’un soldat israélien par une organisation palestinienne est une opération militaire légitime et le bombardement d’une ville - Dresde, Hanoï, Haïfa ou Beyrouth - un crime de guerre.
Ce n’est évidemment pas ce que voulait dire Netanyahou : de l’attentat contre l’hôtel King David, il a seulement appris que les Arabes étaient mauvais et que nous étions bons. Les actions des Arabes, depuis 1920 jusqu’au programme nucléaire iranien (sic), reflètent selon lui une « mentalité terroriste ». Par contre, Israël ne touche à des civils qu’accidentellement ou quand il n’y a pas le choix ; par exemple, lorsque des terroristes se cachent au milieu de civils.
La vérité historique est autre : au fil des soixante années qui se sont écoulées depuis l’attentat du King David, Israël a porté atteinte à quelque deux millions de civils, dont environ 750.000 personnes qui ont perdu leurs maisons en 1948, plus encore le quart de million de Palestiniens contraints d’abandonner la Cisjordanie lors de la guerre des six jours et les centaines de milliers de civils égyptiens expulsés des villes du Canal de Suez pendant la guerre d’usure. Et aujourd’hui encore, des centaines de milliers de villageois libanais sont forcés d’abandonner leurs maisons, des avions de la force aérienne ont à nouveau bombardé Beyrouth et d’autres villes. Des centaines de civils ont été tués. Malheureusement. Tout ça, dans l’esprit de King David. On pourra toujours dire qu’il y a eu un problème.
Tom Segev, historien, diplômé en sciences politiques et chroniqueur à Ha’aretz, a écrit Les premiers Israéliens, Calmann-Lévy, 1998, C’était en Palestine au temps des coquelicots, Liana Levi, 2000 et Le septième million, Liana Levi, 2003 (pour la traduction française).