C’est un pays ou beaucoup de choses se passent, ou chaque année est différente, mais entre deux intifadas nombre de Palestiniens tournent en rond. Non pas qu’ils regrettent ces moments d’activités mortelles. Mais tout dans la situation d’aujourd’hui invite à l’ennui.
Combien de soirée à se demander "mais qu’est-ce qu’on peut bien faire ?".. on connait bien les cafés de Ramallah, mais on a vite fait le tour de ceux qui sont acceptables pour telle ou telle personne (selon si la personne cache ou non le fait qu’elle sorte pour boire un verre ; selon la chance d’y croiser une connaissance -pour certains sortir dans un lieu où personne ne les reconnait est un problème, pour d’autres l’anonymat est essentiel !).
La Cisjordanie n’est pas Gaza, mais elle est entourée d’un mur, et la vie culturelle - riche à Ramallah - reste malgré tout limitée.
Combien de Palestiniens lassés de tous les discours politiques, et que tout ennuie ici ?
Je n’ai jamais passé autant de soirée à simplement rêver ensemble à ce que l’on POURRAIT faire pour se divertir un peu. Partir du café sans payer ? conduire jusqu’à Jéricho et en revenir ? dormir à la Mouqataa près de la tombe de Yaser Arafat ? Autant de projets irréalisés mais qui ont au moins le mérite de nous faire rire.
Jeu de cartes, films, spectacles, on a tout essayé mais il reste ce sentiment que ce n’est pas assez. L’ennui est bien plus
profond.
Sûrement parce que des projets pour un soir ne remplacent pas un vrai projet à long terme, qui est assez dérisoire ici. Qui sait de quoi demain est fait ?
Quand on parle projet avec un ami, sa réponse est : "si les négociations échouent, l’Autorité Palestinienne sera destituée et les soldats israéliens seront là, au pied de l’immeuble. Alors je partirai vivre à l’étranger.
Des paramètres auxquels on ne passe pas en France dans nos projets de vie !
L’étranger. Tout le monde ici à un cousin, un frère, un père qui vit dans un autre pays. Presque tous en rêvent. J’ai entendu des dizaines de fois des amis parler du visa pour le Brésil, l’Allemagne, les Etats-Unis, la France qu’ils étaient sur le point d’obtenir - après quoi ils partiraient s’installer là-bas. La plupart sont encore là. Ils n’ont jamais eu le visa.
Côté français, on a trouvé une belle façon d’offrir des opportunités en France sans pour autant laisser les gens s’installer. Les étudiants sélectionnés pour des bourses dans les universités françaises signent un contrat les obligeant à revenir au pays une fois le diplôme obtenu. Alors on décide quatre ans avant cette obtention de ce que la personne fera de sa vie.
Noble intention, ces jeunes doivent participer au développement de leur pays... N’est-ce pas à eux de choisir ? De quel droit dit-on à quelqu’un que son avenir est en Palestine, dans ce non-territoire occupé ? Beaucoup reviennent, et beaucoup montrent un engagement fort pour le pays, mais leur force vient sûrement du fait qu’ils l’ont décidé.
Cette politique migratoire française est d’une hypocrisie sinistre. Quoi de plus paternaliste que de prétendre savoir ce qui est bon pour les autres ?
Il est bien commode d’être né au bon endroit.
Qui d’entre nous ne songerait pas à quitter ce pays, si de meilleures opportunités existent ailleurs. Le patriotisme palestinien est bien plus fort que le patriotisme français, il n’empêche qu’une mère de famille a le droit de souhaiter que son enfant grandisse dans un pays où il ne sera pas humilié continuellement.
A Ramallah, on vit bien, on peut presque oublier les Israéliens un instant (en restant strictement à Ramallah et en ne poussant
pas trop la réflexion !), les projets culturels, sociaux, d’infrastructure n’arrêtent pas de naître mais nous sommes privilégiés.
En attendant de vrais projets, on tue l’ennuie à coup de jeux de cartes, de cafés et de blagues.
A très bientôt,
Chloé