Photo : Université Al Quds, campus d’Abu Dis, district de Jérusalem - Source : Wikipédia
Il y a deux mois, Bara’a Fuqaha, étudiante palestinienne en médecine, a été informée qu’Israël avait décidé de la suspendre de ses études universitaires pour une durée de six mois.
Elle était alors étudiante en troisième année à la faculté de médecine de l’université Al-Quds, dans la ville d’Abu Dis, à l’est de Jérusalem.
Une autre femme, Batoul Dar Assi, étudiante en imagerie médicale dans la même université, a fait l’objet d’une décision similaire la suspendant pour quatre mois.
Fuqaha, 24 ans, raconte que le 25 juin, elle a reçu un appel de la police israélienne la convoquant au poste de police de Ma’ale Adumim, à l’est de Jérusalem, où elle a été interrogée sur ses activités d’étudiante à l’université.
« Les questions portaient sur ma participation aux activités du syndicat étudiant. Après avoir terminé l’interrogatoire, ils m’ont remis l’ordre de suspension », a-t-elle déclaré à Middle East Eye.
Cette politique israélienne n’est pas nouvelle. En 2018 et 2019, l’armée israélienne a pris des décisions similaires pour suspendre plusieurs étudiants universitaires palestiniens en Cisjordanie pendant plusieurs mois, ce qui a compromis la fin de leurs études et retardé l’obtention de leur diplôme.
Bien que Bara’a ait nié toutes les accusations au poste de police israélien, la décision de suspension avait déjà été prise avant l’interrogatoire, a-t-elle déclaré à Middle East Eye.
Bara’a a engagé un avocat pour faire appel de la décision auprès du tribunal militaire israélien d’Ofer, mais le recours a été rejeté. Puis, le 24 août, le tribunal a rendu une autre décision confirmant la suspension.
L’avocat, Salih Mahameed, a déclaré à Middle East Eye qu’il avait demandé au tribunal de geler la décision jusqu’à une nouvelle session, au cours de laquelle il pourrait être en mesure de réduire la période.
Cependant, Bara’a, qui vit dans le village de Kafr al-Labad, près de Tulkarem, affirme qu’elle ne pourra pas entrer dans la ville d’Abu Dis tant que la décision n’aura pas été annulée, ce qui est « peu probable », étant donné « l’escalade des politiques punitives israéliennes en Cisjordanie à l’encontre des Palestiniens ».
Mahameed a souligné que la décision est militaire et fait partie d’une longue liste de décisions administratives israéliennes qui dévastent la vie des Palestiniens, telles que la détention, la déportation et les ordres de démolition administratives.
Selon les lois de l’état d’urgence prolongé, les articles 108, 109 et 110 donnent au gouverneur militaire israélien le pouvoir de prendre certaines mesures à l’encontre de toute personne, telles que l’expulsion, l’interdiction d’entrer dans un certain lieu, ou l’obligation de se présenter pour un interrogatoire deux ou trois fois par mois au siège de la police, de déterminer son lieu de résidence, ou de l’expulser de son lieu de résidence, comme l’a expliqué l’avocat.
« Dans ce cas, les charges consistent en des dossiers secrets que personne ne peut consulter, et il n’y a pas de preuves juridiques, comme c’est le cas pour la détention administrative, qui est une décision militaire par excellence et qui fait partie de l’arbitraire israélien existant », a-t-il conclu.
Si la décision de suspension est appliquée pour six mois, elle prendra fin le 25 décembre, ce qui revient à priver Bara’a d’un semestre entier.
« Je crains maintenant que l’armée israélienne me surveille pour s’assurer que je n’entre pas dans l’université, et que je sois arrêtée et que mon identité soit contrôlée à des barrages israéliens spontanés si j’essaie de me rendre dans la ville d’Abu Dis durant la période d’expulsion », a-t-elle expliqué.
« En fin de compte, il s’agit de restreindre mes mouvements, d’essayer de m’empêcher d’entrer à l’université et de terminer mes études ».
« Politique raciste »
Le gouvernorat de Jérusalem a émis une déclaration décrivant la décision de suspension des deux étudiants comme une « politique raciste systématique » contre l’éducation et ses institutions à Jérusalem.
« Cette décision est raciste, elle constitue une ingérence flagrante et est inacceptable dans nos universités nationales, où nous sommes fiers d’avoir des syndicats étudiants, garantis par la constitution palestinienne, et auxquels nos institutions éducatives nationales sont attachées », a déclaré le gouvernorat dans sa déclaration.
La politique de suspension des étudiants de leurs universités s’est intensifiée depuis 2013. Au cours de cette période, plus de dix étudiants ont reçu des décisions d’expulsion de leurs universités dans différentes parties de la Cisjordanie occupée, car les autorités israéliennes ont allégué que l’activité des étudiants constituait une menace pour leur sécurité.
Sa’eda Al-Za’arir, 26 ans, étudiante en journalisme, a été soumise à la même politique israélienne en 2019, alors qu’elle était sur le point d’obtenir son diplôme à l’université de Birzeit, puisqu’une décision a été prise pour la suspendre de l’université et lui interdire complètement d’entrer dans la ville de Birzeit.
« Un officier israélien a appelé mon père et m’a convoquée pour un interrogatoire au centre d’interrogation d’Ofer, à l’ouest de Ramallah. Pendant deux heures, j’ai été questionnée sur mon activité étudiante, car j’étais membre du conseil des étudiants », a-t-elle déclaré à Middle East Eye.
Pour Al-Za’arir, qui vit au sud d’Hébron, se rendre dans la ville de Birzeit, au nord de Ramallah, prend deux heures, au cours desquelles elle peut être arrêtée à n’importe quel checkpoint militaire ; elle a donc respecté la décision de suspension afin de ne pas être arrêtée.
« Pendant tout l’interrogatoire, l’officier a longuement insisté sur un risque futur. Il m’a dit qu’on m’empêcherait de voyager et que je n’aurais pas un bon emploi, tout cela à cause de mes activités étudiantes », a-t-elle ajouté.
« Du fait de la décision de suspension, Israël m’a empêchée d’assister à ma cérémonie de remise des diplômes ».
Sundus Hammad, coordinateur de la campagne pour le droit à l’éducation, a déclaré à Middle East Eye que la première décision israélienne claire de suspension étudiante remonte à 2013, et que depuis lors, dix étudiants ont été expulsés de leurs universités en Cisjordanie occupée.
Selon M. Hammad, certaines des décisions de suspension prises à l’encontre d’étudiants ont été accompagnées d’ordres d’assignation à résidence et de confinement dans une zone résidentielle désignée.
La chercheuse et ancienne militante étudiante Israa Lafi a déclaré que cette politique avait déjà été utilisée par Israël pour réprimer le mouvement étudiant lors de la première Intifada en 1987, un droit accordé au gouverneur militaire israélien dans toutes les régions depuis 1967.
La politique d’exclusion des étudiants de leurs universités vise à affaiblir le mouvement étudiant en le vidant de certains de ses leaders et de ceux qui sont chargés d’influencer le milieu universitaire, selon Mme Lafi.
« D’autre part, ces étudiants sont isolés de l’environnement auquel ils sont habitués et qu’ils aiment, et ils voient en spectateur l’activité des jeunes et de leurs relations, dans le but de les décourager de poursuivre leur vie, en particulier ceux qui sont soumis à la détention pour diverses périodes et qui prennent du retard par rapport à leurs collègues », a-t-elle déclaré à Middle East Eye.
Pour faire face à cette politique, Mme Lafi pense qu’il est nécessaire que la faculté coopère avec les étudiants expulsés et fournisse des alternatives pour éviter les retards dans leurs études. Si cela n’est pas possible dans le cas d’une arrestation, cela l’est dans le cas d’une suspension par le biais de la formation à distance, a-t-elle souligné.
Traduit par : AFPS