L’Égypte et Israël ont commencé l’exploitation de leurs réserves de gaz naturel depuis de nombreuses années, ce qui n’est pas le cas du Liban, de Chypre, ou de la Syrie… Les réserves du bassin du Levant ne semblent pas considérables, environ 2 % des réserves mondiales. Néanmoins, aujourd’hui, Israël est autosuffisant en gaz, ce qui lui permet d’alimenter sans dépendre du marché international ses nombreuses usines très énergivores de désalinisation d’eau de mer, et semble prêt à devenir exportateur. C’est pourquoi des négociations ont été lancées avec plusieurs pays, notamment Chypre et l’Égypte, pour relier les différents gisements du Levant à l’UE, via la Grèce, par un gazoduc international. Un projet qui intéresse les pays de l’UE au plus haut point en cette période d’énergie chère, en raison de l’agression russe contre l’Ukraine. Israël a donc tout intérêt à développer ses gisements de gaz naturel, quelle que soit leur importance.
C’est le 11 octobre dernier, à la Maison Blanche, qu’a été annoncé l’accord libano-israélien de délimitation des ZEE des deux pays après une dizaine d’années de négociations, dont les deux dernières sous l’égide des États-Unis et avec la collaboration de la France. Cet accord a été accueilli avec optimisme par Israël et le Liban, comme par les deux « facilitateurs ». Le gisement de Karish fait désormais partie intégrante de la ZEE israélienne qui peut exploiter le gaz selon son bon vouloir. Cela serait imminent, les travaux de mise en exploitation ayant été faits avant la conclusion de l’accord.
À l’inverse, le gisement de Qana est sous contrôle libanais mais, sa partie méridionale étant dans la ZEE israélienne, les opérateurs de mise en valeur du gisement, avec à leur tête TotalEnergies, verseront une redevance de l’ordre de 17 % de leurs recettes à Israël. Cependant, ce gisement, dont les ressources seraient de 400 à 500 milliards de m3, n’est pas encore à même de fournir le Liban : sa mise en valeur devrait demander 4 à 6 ans de travail au consortium qui doit en assurer l’exploitation. Ce n’est donc pas demain que le Liban - qui est dans une situation économique dramatique - percevra les premières royalties de son gaz. Si cet accord est une bonne nouvelle pour le Liban, il ne permettra pas de résoudre sa crise monétaire actuelle. Pire, sans une réforme profonde des finances du pays, on peut craindre que les revenus du gaz aillent dans les poches de l’oligarchie responsable de la crise actuelle.
Le Premier ministre israélien Yaïr Lapid y voyait un accord « historique qui va renforcer la sécurité d’Israël et […] assurer la stabilité de notre frontière nord ». Quant à Michel Aoun, alors président libanais, il a salué un texte qui « répond aux exigences du Liban et préserve son droit à ses ressources naturelles ». Même le Hezbollah a donné tacitement son aval. L’accord a été signé le 27 octobre à Naqoura, ville libanaise proche de la frontière israélienne, au siège de la Finul (Force intérimaire des Nations unies au Liban), par Michel Aoun et Yaïr Lapid… qui ne se sont pas rencontrés, l’état de guerre entre les deux pays perdurant depuis 74 ans.
L’appréciation sur le caractère politique de cet accord est largement différente entre Israël et le Liban. Pour le premier cet accord se situe clairement dans la lignée des accords dits « d’Abraham » et de l’accord avec le Maroc ; comme eux, il vise à sortir Israël de son isolement régional, même s’il n’est pas de même nature que les accords de 2020. Pour le Liban, dont une part importante de la population est opposée à toute négociation avec l’État hébreu, l’accord n’a qu’une visée économique.