Durant 1 minute et 27 secondes de tweet, le 26 avril dernier, on a entendu louer les « 75 années de dynamisme, d’ingéniosité, d’innovations marquantes » … Ces « 75 années d’amitié entre Israël et l’Europe » … « Nous avons plus en commun que ne le suggère la géographie », est-il affirmé encore ; « un partage de culture, de valeurs » (sic).
Enfin, le bouquet final : « Israël et l’Europe sont voués à être amies et alliées : votre liberté est la nôtre… ». Pas un mot sur les Palestiniens. Bien sûr pas d’apartheid !
S’agissait-il de propos d’un membre du gouvernement israélien ? D’un.e député.e membre du lobby ELNET ? Du président du CRIF ? Non ! Il s’agit de la présidente de la Commission européenne, Mme von der Leyen, pour le 75e anniversaire de l’État d’Israël [2].
Une complète confusion des genres et des périodes historiques
Elle confondait sans doute avec le 75e anniversaire de la libération du camp d’Auschwitz, en 2020 [3], jour du Souvenir, où elle s’exprimait « en tant qu’Allemande », ce qui était pour le moins surprenant pour la présidente de la Commission. « Nous avons la responsabilité permanente de combattre avec détermination toute forme d’antisémitisme et de discrimination. Et de ne jamais, jamais, jamais oublier ».
L’Allemagne continue de s’excuser de la période nazie. On le comprend. Mais ce n’est pas l’actualité de l’UE ni celle de la Palestine.
Ignorance, amnésie volontaire, révisionnisme ?
La présidente de la Commission n’aurait-elle pas de conseiller-conseillère qui connaisse l’histoire ? Qui sache qu’Israël n’est pas né du génocide, mais du colonialisme du XIXe siècle ? Qui sache qu’Israël occupe, colonise, opprime et rêve maintenant d’exterminer les Palestiniens ? N’a-t-elle pour boussole que la controversée « définition IHRA » de l’antisémitisme ? L’UE par sa voix est-elle toujours coloniale et vante-t-elle l’arrivée de la « civilisation » auprès des « barbares » arabes ?
De quel côté est la haine, si souvent invoquée lorsqu’on s’avise de critiquer le gouvernement israélien ?
Des réactions innombrables
D’Amnesty International à l’Autorité palestinienne : « c’est un discours rempli de clichés éculés et racistes. Cet anniversaire marque 75 années de projet colonial, de dépossession et de déplacement des populations palestiniennes ». La déclaration de la présidente de la Commission est qualifiée de « discours de propagande qui déshumanise et efface le peuple palestinien ». Mahmoud Abbas estime qu’« Ursula von der Leyen doit des excuses aux Palestiniens ».
La réaction de la Coordination Européenne pour la Palestine (CECP) [4] : « Nous… vous écrivons pour vous faire part de notre profonde inquiétude et, pour parler franchement, de notre colère… » … « En omettant des faits et en adoptant aveuglément le discours d’Israël, vous effacez l’histoire, la mémoire et la riche culture du peuple palestinien autochtone, dans sa diversité, qui habite la Palestine depuis des siècles. En approuvant le récit selon lequel “Israël a fait fleurir le désert”, vous remplacez l’histoire par un mythe, en employant un cliché colonial qui tente de “blanchir” le régime de colonisation et d’apartheid d’Israël sur le peuple autochtone palestinien. On ne s’attend pas à une telle ignorance de la part de la présidente de la Commission européenne. » …
« Votre déclaration raciste trahit non seulement les faits historiques et la réalité sur le terrain, mais elle contredit aussi directement les principes et les normes internationalement acceptés et les valeurs mêmes sur lesquelles l’UE est fondée. En ignorant l’existence du peuple palestinien qui vit depuis des décennies sous l’oppression israélienne ou en exil forcé, vous ignorez son droit à l’autodétermination, un droit inaliénable inscrit dans la charte des Nations unies. »
« Nous vous demandons de retirer votre déclaration et de présenter des excuses au peuple palestinien… Nous demandons que l’UE reconnaisse publiquement qu’Israël commet le crime d’apartheid, et que les institutions européennes agissent pour mettre fin immédiatement à toute complicité dans la commission de ce crime. »
La Journée de l’Europe, le 9 mai…
Certes la réception du 9 mai en Israël, a bien été annulée au dernier moment. Mais la portée d’un tel geste diplomatique reste limitée car elle cible le seul ministre des Affaires étrangères d’Israël, et non la politique systématique du gouvernement Netanyahou. Jusqu’où ira le lobby israélien ?
Quelle exaction majeure faut-il attendre pour que l’UE réagisse enfin ?
Jacques Fröchen