Photo : L’évènement au Parlement européen s’est tenu en présence des organisations AFPS, JURDI et Al Haq Europe, ainsi que de parlementaires européen·nes de quatre groupes de la gauche et du centre, Saskia Bricmont, Mounir Satouri, Matjaz Nemec, Barry Andrews, Catarina Martins et Leoluca Orlando © AFPS
Lire le communiqué de JURDI - Juristes pour le Respect du Droit International
Le hasard veut que nous nous retrouvions aujourd’hui deux jours après une journée qui a été marquée par la faillite morale et politique de l’Union européenne. Il y a deux jours, le Conseil des affaires étrangères de l’UE a donné un message clair face aux violation par Israël du doit international : circuler, il n’y a rien à voir, les enfants de Gaza peuvent continuer à être massacrés au vu et su du monde entier !
Israël a franchi mois après mois, années après années toutes les lignes rouges : crimes de guerre, crimes contre l’humanité – dont le crime d’apartheid - et le crime ultime, le crime de génocide. Israël a transgressé toutes ses obligations de respect des droits humains et du droit international figurant dans l’article 2 de son accord d’association avec l’UE.
Dans un contexte où Israël commet depuis 21 mois un génocide à Gaza contre le peuple palestinien, et alors qu’il a accéléré la colonisation et le nettoyage ethnique dans tout le territoire occupé depuis 1967 et qu’il y opère une répression féroce, le document soumis aux ministres européens des affaires étrangères le mois dernier mettait en lumière 61 violations par Israël du droit international et des droits humains. Et pourtant, l’UE a décidé de ne rien décider, de ne rien faire concernant la suspension de l’Accord d’association avec Israël.
Cela fait des années que le mouvement de solidarité avec le peuple palestinien est mobilisé pour exiger la suspension de l’accord d’association, des années que la société civile l’exige. Depuis plus d’un an, une campagne européenne rassemblant organisations associatives, syndicales et politiques, et des centaines de parlementaires, demande à l’UE de suspendre cet accord sur la base de la violation de son article 2. Enfin, le mois dernier cette violation était reconnue officiellement, laissant espérer que le Conseil des affaires étrangères allait enfin appliquer les règles qu’il s’est lui-même fixé, qu’il allait enfin agir pour imposer le droit à Israël. La doctrine de l’Union européenne est et demeure quand il s’agit d’Israël : ne rien voir, ne rien entendre, ne rien dire, ne rien faire !
Les tractations de ces derniers jours pour parvenir à un arrangement avec Israël nous laissait craindre le pire… le pire arriva : Kaja Kallas annonça qu’il ne s’agit pas de « punir Israël » mais simplement « d’améliorer réellement la situation à Gaza ». Un accord verbal marchandé avec Israël, un accord supposé permettre un cheminement plus substantiel de l’aide humanitaire.
Comme si un génocide pouvait se résumer à une question d’aide humanitaire, comme si des années de violation du droit international n’existaient pas. Rappelons que cela fait 18 mois que la Cour internationale de justice a exigé l’entrée de l’aide humanitaire dans la bande de Gaza pour prévenir le risque plausible de génocide et que les États européens qui pourtant en avait l’obligation n’ont rien fait.
« Il ne s’agit pas de punir Israël » a déclaré Kaja Kallas. Il s’agit donc de poursuivre la voie ouverte depuis 1948 : garantir l’impunité à un État criminel. Le refus de qualifier les crimes : nettoyage ethnique, déplacement forcé de population, apartheid et maintenant génocide.
Israël n’a jamais respecté le moindre accord, la moindre résolution de l’ONU, la moindre décision de justice. Et il respecterait maintenant un accord a minima conçu entre deux portes ? Personne n’y croit, à commencer par celles et ceux qui l’ont soutenu comme Jean-Noël Barrot qui se félicite que l’UE ait fait bouger les lignes.
Il n’y a pas d’autres voie pour que justice soit enfin rendue aux Palestiniens que d’en finir avec l’impunité d’Israël. Et c’est ce que nous imaginions que ferait enfin l’UE ce 15 juillet.
Cet accord est l’accord de la honte, un accord pour ne rien faire, un accord pour conforter Israël dans sa toute puissance, mais surtout, un accord qui enracine la complicité de l’UE avec les crimes d’Israël, crimes de guerre, crimes contre l’humanité, et le crime de génocide.
Mais l’accord d’association n’est pas le seul cas pour lequel l’UE ignore le droit dès qu’il s’agit d’Israël.
Revenons sur la question des produits des colonies israéliennes. La colonisation est un crime de guerre. Comment comprendre que l’UE accepte sur son territoire la commercialisation des produits qui en sont issus. En 2022 la société civile a initié une initiative citoyenne européenne pour exiger leur interdiction. Comment se fait-il qu’il faille lancer une initiative citoyenne européenne juste pour exiger l’application du droit ? Et les produits des colonies sont toujours commercialisés en Europe.
J’ose une question : combien de temps cela va-t-il encore durer ? Parce que la donne a changé… normalement.
Le 18 septembre dernier, 124 pays ont voté lors de l’Assemblée Générale des Nations unies la résolution qui traduisait l’avis de la CIJ du 19 juillet. Celle-ci rappelait que la colonisation est un crime de guerre, dénonçait les politiques d’apartheid d’Israël et déclarait que l’occupation par Israël du territoire palestinien depuis 1967 est illicite et qu’il doit y mettre fin dans les plus brefs délais. L’AGNU a fixé un délais : le 18 septembre 2025.
Mais la résolution ne fait pas que ça : elle demande aux États d’agir pour imposer à Israël le respect de ces décisions : fin de l’occupation, démantèlement des colonies, restitution des biens confisqués. Les obligations des États sont claires et précises et elles comprennent des sanctions comme l’embargo sur l’armement et l’interdiction des produits des colonies.
Voilà 10 mois que cette résolution a été voté, il ne reste que 2 mois aux États pour s’y conformer et…. Circulez, il n’y a rien à voir, business as usual.
L’AFPS, avec la LDH, la FIDH et la PFP ne cessent depuis des mois d’interpeller le gouvernement français pour lui demander comment il entend mettre en œuvre ses obligations. L’AFPS mène une campagne citoyenne partout dans le pays, des dizaines de parlementaires ont posé des questions au gouvernement, ont interpelé Jean-Noël Barrot sans jamais obtenir la moindre réponse. Et à deux mois de l’échéance, la France qui pourtant doit co-présider la conférence qui est censée concrétiser l’application de cette résolution, est incapable de dire quelles mesures elle va prendre à l’encontre de ses ressortissants ou de ses entreprises qui contribuent à perpétrer l’occupation et la colonisation, incapable de dire quand et comment elle va suspendre le commerce des armes et des composants, comment elle va interdire les produits des colonies sur son territoire.
Nous n’acceptons pas cette stratégie qui consiste à nier des crimes pour s’exonérer du respect du droit, à ignorer les obligations faites aux États, cela dans le seul but de laisser Israël continuer à opprimer et persécuter les Palestiniens et les priver de leurs droits fondamentaux, à commencer par le droit inaliénable et inconditionnel à l’autodétermination.
La faillite politique et morale de l’UE de ce 15 juillet ne fait qu’accentuer sa complicité avec les crimes d’Israël.
Mais ne pas nommer des crimes ne les fera pas disparaître pour autant. Les crimes de guerres, crimes contre l’humanité, le crime de génocide sont avérés et le refus de l’UE et de la plupart des États européens dont la France de les reconnaître, de les dénoncer et d’agir pour empêcher Israël de les commettre les rend bel et bien complice.
Voilà pourquoi nous avons choisi de soutenir la démarche de JURDI que nous tenons à remercier d’avoir pris l’initiative d’introduire un recours devant la Cour de justice de l’union européenne contre la Commission européenne et le Conseil de l’UE pour manquement à leur obligation d’agir pour prévenir le génocide à Gaza.
Quel est ce monde où ceux qui exerce le pouvoir viole en permanence des règles qu’ils ont eux-même élaborées, votées ?
Quel est ce monde où la société civile doit avoir recours à la justice pour espérer voir ceux qui nous gouvernent appliquer le droit ?
Pour conclure, nous tenons à saluer les 27 États qui à l’initiative du Groupe de la Haye et dans le sillage de l’Afrique du Sud et de la Colombie, alors que l’UE s’enfonçait dans sa faillite morale et politique, viennent de tenir les 15 et 16 juillet, une conférence à Bogota pour engager des actions concrètes et coordonnées pour enfin mettre fin à l’impunité d’Israël.
Voilà le chemin à suivre. Si l’UE ne le fait pas, ses États membres, à l’image de l’Espagne, du Portugal ou de l’Irlande peuvent rejoindre ce mouvement et se placer du coté du droit, du côté d’un ordre mondial respectueux des droits des peuples.
En attendant, c’est face à la justice européenne que la Commission européenne et le Conseil de l’UE vont devoir s’expliquer et rendre des compte pour leur inaction et leur complicité de crime de génocide.
Anne Tuaillon, Présidente de l’AFPS, le 17 juillet 2025