En Israël tout ce qui pourrait rendre visible la Palestine, dénoncer la colonisation, ou le régime d’apartheid est systématiquement bloqué ou attaqué…
Une évolution du cadre légal toujours plus contraignant
Ainsi, en mai, un projet de loi visant à interdire le déploiement du drapeau palestinien a fait l’objet d’une lecture préliminaire à la Knesset. Un autre projet propose de réintroduire le contrôle du Shin Bet sur les enseignants et les directeurs d’école arabes, il est adopté en lecture préliminaire [1]. Enfin, Yariv Levin ministre de la Justice, informe les juges actuels et futurs qu’ils doivent être prêts à prendre les mesures nécessaires pour empêcher que « les Arabes achètent des appartements dans les villes juives », renforçant la ségrégation et le pouvoir des comités d’admission, qui peuvent déjà d’autoriser l’installation des « habitants convenables ».
Deux lois sont en projet, bien qu’actuellement bloquées suites aux pressions exercées par les USA, l’Union européenne et les universités israéliennes : l’une stipulant que les citoyens palestiniens des universités et collèges israéliens seront exclus des institutions académiques s’ils hissent le drapeau palestinien ou manifestent leur soutien à la résistance palestinienne(1). Une autre imposant une taxe de 65 % sur les dons des États étrangers aux ONG à but non lucratif, qui affecterait de nombreux groupes israéliens de défense des droits humains.
Attaques contre les ONG
En 2016 déjà, les ONG B’Tselem ou Breaking the silence étaient menacées, accusées de soutien au terrorisme… En vertu de la loi contre le soutien au Boycott, Désinvestissement Sanction (BDS) [2].
Aujourd’hui HaMoked [3] fait l’objet d’attaques de groupes ultranationalistes alliés au gouvernement. À deux reprises en avril, Channel 14 News a diffusé un « reportage après infiltration » qui présente l’ONG comme un soutien au terrorisme. « Il s’en faut de peu pour que le meurtre de Juifs devienne quelque chose de légitime. C’est de la folie et l’État d’Israël doit agir contre cela » déclare Gilad Ach, directeur général d’Ad Kan, ONG de droite qui a « enquêté » et révèle qu’HaMoked vit de fonds étrangers.
D’une façon générale, le gouvernement et ses alliés s’efforcent de faire taire les organisations de défense des droits humains, en même temps qu’ils font des propositions de modifications du système judiciaire israélien. Le but : paralyser toute opposition à leur programme d’annexion et d’apartheid. Le moyen : couper les financements étrangers.
Création artistique ou propagande ?
Du côté du cinéma, depuis octobre 2018, une loi relative au financement et à la sélection des films dans l’industrie cinématographique israélienne encourage la lecture des scénarios avant de décider lesquels méritent un financement ; comprendre, « ceux qui reflètent les valeurs de la société israélienne », selon Miri Regev, ministre de la Culture de l’époque. « En Israël, il y a un grand débat avec le ministère de la Culture de ce gouvernement, un très mauvais gouvernement, qui pense que la culture est de la propagande », avait alors déclaré Amos Gitaï.
Chercheur.es, historien.nes, universitaires doivent être politiquement corrects !
Les « nouveaux historiens » [4], constituent un courant universitaire qui émerge de façon polémique à la fin des années 80 au moment de l’ouverture d’une partie des archives publiques. Ils payent cher leur remise en question des fondements du roman national qui ébranle les mythes fondateurs. Leurs publications ont soulevé oppositions, violences et polémiques au début des années 2000. Ilan Pappe en a fait les frais et a fini par quitter Israël en 2007 pour poursuivre ses travaux. « … dans une ambiance non hostile, dans des universités où on ne vous traite pas comme un pestiféré, quelqu’un qu’on doit tenir à distance. Je suis un historien […] pourtant je suis attaqué continuellement […]. C’est ma critique du sionisme qui tape sur les nerfs de ceux qui m’attaquent ». On le retrouve en soutien de Teddy Katz, victime d’attaques universitaires et judiciaires à la suite de sa thèse de doctorat d’histoire, présentée à la fin des années 1990 à l’université de Haïfa. Celle-ci prouvait qu’un massacre avait été commis par les forces israéliennes dans le village de Tantura en mai 1948. Après avoir obtenu une note de 97/100 reconnaissant la qualité de son travail, la publication d’un article en janvier 2000 dans Maariv débouche sur une attaque en justice : une association d’anciens combattants lui intente un procès en diffamation, un nouveau comité universitaire disqualifie la thèse ; condamné à se dédire, sa carrière universitaire en fut définitivement ruinée, ainsi que sa santé [5].
Des jeunes osent aller à l’encontre de l’institution militaire
En Israël, l’armée est l’un des piliers de la société. Alors que l’objection de conscience est interdite aux hommes et juste tolérée pour les femmes, les refuzniks, un mouvement minoritaire, ne veulent pas servir dans l’armée alors que le service est obligatoire. Le mouvement naît en 1979 quand vingt-sept lycéens écrivent au ministre de la Défense qu’ils refusent de servir dans le territoire occupé. En 2004 ils sont qualifiés par le président du tribunal de « pires criminels » parce que « coupables d’un crime idéologique ». De nombreux refuzniks sont condamnés à la détention dans des prisons militaires pour une année, pourtant le mouvement s’accentue. Chaque année, malgré la politique du gouvernement, ils sont plusieurs dizaines, voire centaines (l’armée ne communique aucun chiffre), à s’opposer à ce qui va de soit pour la majorité de la société, se fermant ainsi les portes d’un certain nombre de métiers.
La stigmatisation de celles et ceux qui résistent
Ainsi Jonathan Pollak, israélien, « citoyen du monde » et défenseur des droits humains, est arrêté le 6 janvier 2020 dans les locaux du journal Haaretz où il travaille. Plus tard, il déclarera qu’une quinzaine d’officiers étaient présents ! Emprisonné plusieurs jours, il est accusé d’avoir agressé des soldats et des agents de la police aux frontières lors de manifestations pacifiques en Cisjordanie, c’est-à-dire d’avoir manifesté au côté de Palestinien.nes. Les « charges » retenues viennent relayer les attaques judiciaires portées contre lui par l’organisation d’extrême-droite Ad Kan (encore elle), qui cible systématiquement les organisations israéliennes opposées à la colonisation et à l’occupation.
Autre exemple, la campagne menée jusqu’à l’expulsion contre Omar Shakir. Directeur de recherches sur Israël et la Palestine à Human Rights Watch, l’américain a dû quitter le territoire israélien fin 2019 après une longue bataille judiciaire. Embauché en juillet 2016, une série d’obstacles se sont dressés sur sa route : « En principe, il faut deux mois pour obtenir un permis de travail. Moi j’ai mis huit mois », raconte-t-il. En avril 2017, une association porte plainte contre lui, l’accusant de soutenir la campagne internationale BDS contre la colonisation du territoire palestinien. En mai 2018, son permis de travail est révoqué, il conteste la décision devant la Cour suprême, ainsi que la constitutionnalité de la loi de 2017 qui empêche l’attribution de visas ou de permis de résidence à des ressortissants étrangers qui appelleraient au boycott. Le 5 novembre 2019, la Cour suprême valide la décision, faisant de lui le premier expulsé en vertu de la loi de 2017. « Mais s’attaquer à moi est plus intelligent », reconnaît-il. « Cela permet aux autorités d’affirmer qu’elles n’ont pas de problème avec HRW, seulement avec son directeur ». « Je ne me souviens pas d’une autre démocratie ayant bloqué l’accès à un chercheur de Human Rights Watch », a déclaré Kenneth Roth, le directeur de l’ONG.
D’une façon générale, les organisations israéliennes de défense des droits humains s’exposent à être accusées de calomnie, de discréditer l’État ou l’armée, à se voir imposer des contraintes onéreuses qui pèsent sur leur mission. Et les défenseurs des droits des Palestiniens se voient imposer des restrictions de déplacement, ou reçoivent des menaces de mort… Israël, une démocratie liberticide ?
Mireille Sève