Telle est l’analyse de l’ancien président des Etats-Unis Jimmy Carter, telle qu’il l’a affirmée depuis la tribune du « conseil israélien pour les relations extérieures » (organisation indépendante), à Jérusalem, ce 21 avril. L’ancien président, qui n’a pu obtenir l’autorisation israélienne de se rendre dans la bande de Gaza, a en effet rencontré au Caire, puis à Damas, des responsables du mouvement palestinien de la résistance islamique.
Jimmy Carter, qui s’est recueilli à Ramallah sur la tombe de l’ancien président palestinien Yasser Arafat sur laquelle il a déposé une gerbe, a notamment rencontré Khaled Mecha’al, mais également le président syrien Bachar al-Assad. Des rencontres vivement condamnées tant en Israël que par de nombreux parlementaires américains, républicains et démocrates, à quelques mois de la présidentielle. John McCain a vilipendé une « erreur grave et dangereuse », tandis que Barak Obama a dénoncé l’initiative de l’ancien prix Nobel de la Paix, affirmant : « nous ne devons pas négocier avec un groupe qui prône la destruction d’Israël » ajoutant : « Le Hamas n’est pas un Etat (sic), c’est une organisation terroriste ».
Dans son dernier essai consacré au Proche-Orient sous le titre explicite Palestine, la paix, pas l’apartheid [1], écrit à l’issue, notamment, de trois missions d’observation des élections palestiniennes en 1996, 2005 et 2006, l’ancien président américain précisait sa démarche : contribuer à une paix durable au Moyen-Orient, pour les Israéliens comme pour les autres peuples de la région. « L’un des principaux buts de ma vie (…) a été d’aider à garantir une paix entre les Israéliens et les autres pays du Moyen-Orient », écrivait-il d’entrée, précisant vouloir susciter le débat, singulièrement aux Etats-Unis.
D’où, aujourd’hui, un diagnostic et une orientation. Le diagnostic s’inspire de l’observation du terrain. Celle de la pérennisation de l’occupation israélienne. Selon Jimmy Carter, les négociations de paix relancées en novembre 2007 à l’issue de la réunion d’Annapolis n’ont pas enregistré de progrès ; et de mettre en exergue la poursuite de la colonisation israélienne en Cisjordanie et le maintien des nombreux barrages militaires qui bouclent les Palestiniens dans de mini-enclaves et suscitent une colère croissante. L’orientation, elle consiste à envisager malgré tout dans ce contexte les conditions de la paix, avec tous les acteurs concernés.
Dans son nouvel ouvrage consacré au Hamas [2], le chercheur palestinien Khaled Hroub le rappelle : les résultats des élections palestiniennes de janvier 2006, qui ont donné au Hamas la majorité au Conseil législatif, ne sont pas le fruit d’une quelconque conversion de la population palestinienne, mais celui de l’échec du processus de négociation contredit par la politique israélienne à la fois sur le terrain et dans la négociation elle-même. Il rappelle entre autres que si l’on considère toutes les élections qui ont précédé, sur plusieurs années –y compris les élections d’associations étudiantes ou professionnelles ou les scrutins municipaux- les scores du Hamas dépendaient pour une grande part du contexte politique du moment : « lorsque la population était dans une phase de confiance dans les pourparlers de paix avec Israël, le "programme de résistance" du Hamas inspirait plus de doutes, d’où une baisse du nombre de ses sympathisants. Inversement, quand l’échec répété des négociations et les humiliations continues infligées par les Israéliens aux Palestiniens exacerbaient leur sentiment de frustration, le climat était propice à une remontée du Hamas, quelle que soit la nature des élections ».
Une évidence parfaitement comprise et maîtrisée par les dirigeants israéliens, en quête d’une démonstration permanente d’absence de « partenaire palestinien crédible », soit « inexistant », soit affaibli par les divisions nationales, d’autant plus volontiers exacerbées dans le sang par les bombardements, assassinats ciblés et autres « incursions » à tous les moments cruciaux du dialogue national palestinien.
Une évidence analysée également par l’ancien président américain, qui a décidé de rencontrer les dirigeants du mouvement de la résistance islamique, testant même avec quelque succès l’hypothèse d’une acceptation des résultats d’un éventuel référendum en Palestine en cas d’éventuel accord avec Israël obtenu par Mahmoud Abbas.
Une évidence que refusent de voir en revanche les dirigeants européens, dans leur précipitation à adopter la logique de Washington. Comme si la guerre coloniale ne radicalisait pas naturellement une population palestinienne criminellement asphyxiée. Comme si les élections et l’intégration du Hamas sur la scène politique n’avaient pas contribué à son évolution politique, idéologique et stratégique. Comme si le blocus et l’embargo imposés à une population sanctionnée pour son vote ne contribuaient pas de nouveau à une radicalisation à la fois de la population et des cadres du mouvement. Comme s’il était légitime et efficace de punir l’occupé pour ses choix parfois désespérés, mais en revanche jamais l’occupant pour ses violations permanentes non seulement du droit international mais aussi de ses propres engagements.
Et la vraie question est là aujourd’hui, alors que l’échec de la stratégie occidentale complice de la politique israélienne est patent : si Jimmy Carter a su montrer ou ouvrir une voie, l’Europe osera-t-elle enfin la suivre, dans l’intérêt de tous ?