Vingt-et-un ans. Cela fait 21 ans que Salah Hammouri porte le matricule 1124052, son « code-barres » comme il le dit lui-même, non sans humour. Il vient d’avoir 37 ans et croupit de nouveau dans la prison israélienne d’Hadarim, une vieille habitude pour cet avocat franco-palestinien, arrêté le 7 mars dernier.
L’engrenage s’enclenche aussi pendant un mois de mars, mais en 2005, il y a dix-sept ans, au checkpoint de Qualandia alors que Salah est en route pour Ramallah, avec des amis. Il est arrêté et emprisonné au motif qu’il est soupçonné d’appartenir au FPLP et qu’il aurait eu l’intention de participer à un complot visant à assassiner le rabbin Ovadia Yosef, leader spirituel du parti religieux ultra-orthodoxe Shass, ancien Grand Rabbin d’Israël. Il a toujours nié les faits mais il a plaidé coupable sur les conseils de son avocate Lea Tsemel, afin de diviser sa peine originelle de 14 années par deux.
Le 18 décembre 2011, Salah Hammouri est finalement libéré, au cours d’un échange de prisonniers qui a vu la libération de 1 027 Palestiniens du système colonial israélien d’emprisonnement punitif, et le retour en Israël de Gilat Shalit, soldat franco-israélien, dont la double nationalité lui a permis d’être fait citoyen d’honneur de la Ville de Paris en décembre 2008, une distinction inlassablement refusée à Salah.
Machine à broyer
Après un voyage en France, le pays de sa mère, où il rencontre celle qui deviendra sa femme et la mère de ses deux enfants, Salah Hammouri envisage son avenir : « À mon retour en Palestine, j’ai réorienté mes études de sociologie vers le droit, dans l’espoir de devenir avocat et de défendre celles et ceux qui, comme moi, étaient retenus prisonniers par l’occupation israélienne. J’ai commencé à entrevoir la possibilité de me tailler une vie dans ma ville natale d’Al-Quds, malgré le poids écrasant du régime colonial brutal israélien.
Mais Israël avait d’autres plans ».
La machine à broyer les familles, à séparer ceux qui s’aiment, à expulser les habitants de leurs maisons, à refuser les droits élémentaires à son voisin, va alors se jeter aux trousses de Salah et de sa famille. Dès 2015, le harcèlement reprend : interdiction de se rendre en Cisjordanie pour passer ses examens (Salah est inscrit à l’université de Bethléem-Abus Dis) ; expulsion de sa femme, enceinte, vers la France ; 13 mois de détention en 2017 ; 9 jours en 2020…
En tant qu’avocat de l’association Addameer, il subit le harcèlement réservé aux défenseurs des droits de l’Homme, qui consiste notamment à espionner son téléphone portable grâce au logiciel Pegasus. Avec la FIDH et la LDH, Salah Hammouri a déposé plainte en avril 2022, en France, contre le groupe NSO (propriétaire du logiciel Pegasus), ce qui a donné lieu à l’ouverture d’une information judiciaire.
En tant qu’habitant du quartier de Kufr Aqab, il subit la révocation de son statut de résident de Jérusalem et la suppression de ses droits à l’assurance-maladie. Vivre derrière le mur, c’est aussi vivre à l’ombre de l’apartheid et être à la merci de sa machine répressive à tout moment, à n’importe quel endroit.
Enfin, en tant que Palestinien, Salah Hammouri est emprisonné sous le régime de la détention administrative, une mesure héritée du mandat britannique, qui permet d’enfermer une personne gênante sans avocat, sans dossier, sans procès et… sans limite. Un régime évidemment contraire au droit international.
Timidité
Mis bout à bout les accusations et leurs corollaires de punitions arbitraires n’ont qu’un seul but : que Salah s’en aille. La meilleure réponse ne peut venir que de ses propres mots : « Tout ce qui est méthodiquement déployé par le régime d’apartheid israélien vise à me faire taire et à me pousser à quitter le pays. […] Mais je préfère encore [que mes enfants] sachent que leur père s’est battu pour la justice plutôt que d’accepter passivement le nettoyage ethnique ; je préfère encore faire tout ce qui est en mon pouvoir pour tenir fermement ancré sur ma terre plutôt que d’acquiescer au harcèlement d’Israël ».
L’évocation du destin de Salah Hammouri, citoyen français, ne serait pas complète sans parler de la timidité des autorités de notre pays à aborder son cas. Du refus de recevoir la famille quand Nicolas Sarkozy était au pouvoir, au rappel de l’impossibilité d’intervenir dans la justice d’un État de droit depuis, il faut toute la force et le courage de sa famille, de ses amis, de son comité de soutien pour rappeler sans relâche le sort qui lui est réservé. À lui et à tous les autres.