Recevoir l’"appel-panique" ne m’a pas surprise. C’était mon amie Laila, qui vit dans la bande de Gaza et a émigré en Grande-Bretagne. Elle a appelé pour prendre de mes nouvelles et de ma famille après avoir appris la dernière escalade dans la bande de Gaza qui a commencé vendredi. Je lui ai dit que nous allions bien et que nous avions pris des nouvelles des membres de sa famille à Gaza. Heureusement, ils sont tous sains et saufs.
"Chaque jour, mon mari et moi remettons en question notre décision d’avoir quitté Gaza, laissant derrière nous les membres de notre famille que nous aimons, nos amis, nos souvenirs et nos vies", me dit Laila au téléphone. "Cependant, ce sont des situations comme celle-ci, où aucun civil à Gaza n’est en sécurité et où des femmes et des enfants meurent, qui me font me sentir moins coupable de la mesure drastique que nous avons prise."
Laila a deux jeunes enfants qui se souviennent encore de ce qu’est la guerre. Elle leur raconte toujours des histoires sur Gaza et partage avec eux des souvenirs dont ils ne se souviennent peut-être pas. Une fois, elle a dit à son fils aîné qu’elle espérait retourner un jour à Gaza et il s’est mis à pleurer. Il lui a dit qu’il ne voulait pas revivre la guerre et qu’il ne voulait pas mourir.
Assise dans mon salon, transpirant à grosses gouttes en écoutant les nouvelles de l’escalade et l’annonce que la seule centrale électrique de Gaza pourrait cesser complètement de fonctionner en raison d’un manque de carburant, j’ai pensé à toutes les mères de la bande de Gaza, en particulier celles de jeunes enfants, qui doivent faire face à cette horrible expérience. J’ai contacté certaines des mères que je connais personnellement, et j’ai été surprise par les différentes réponses que j’ai reçues.
Noor, une mère de cinq enfants, m’a dit : Mes enfants ne sont plus jeunes, je ne peux plus leur "embellir" la réalité, surtout les plus âgés. Ils ont des questions très précises, et effrayantes : Pourquoi cela nous arrive-t-il ? Sommes-nous à 100 % en sécurité ? Est-ce une guerre comme l’an dernier ? Ils ont commencé à analyser les pièces de la maison pour choisir la plus sûre. Pour ma part, j’ai choisi d’être réaliste et honnête, j’ai décidé de répondre à toutes leurs questions tout en essayant de leur donner un peu d’espoir. J’aimerais tellement que cela s’arrête."
"Ma fille ne me croyait pas. J’étais dans un tel état. Elle m’a dit - ’Maman, c’est une guerre, pas un feu d’artifice’".
Sondos, une mère à Gaza
Amal, une mère de deux enfants, est d’accord avec ce que Noor a mentionné, et a souligné l’accès à l’information que les enfants ont de nos jours. "Mes enfants n’ont pas besoin de moi pour leur dire ce qui se passe, ils ont des smartphones et une connexion internet, les nouvelles sont partout. J’ai décidé de répondre à leurs questions et de discuter ouvertement de la situation, mais j’essaie en même temps de les encourager à faire différentes choses pour leur changer les idées."
D’autre part, certaines mères ont choisi d’ignorer complètement la situation et de faire comme si rien ne se passait. Doaa, une mère de quatre enfants, m’a raconté : "J’ai dit à mes enfants que nous voulions vivre une expérience de camping, où ils éteindraient tous leurs portables et où je n’irais pas travailler pour passer du temps avec eux. J’ai rassemblé tous nos gros puzzles, nos jeux et les livres que nous n’avons pas encore lus. Et quand ils entendent des bombardements, je leur dis que ce n’est pas grave, que c’est juste une bombe sonore. C’est encore le deuxième jour, donc je ne sais pas si je peux continuer avec cette approche ou pas."
Une autre mère, Sondos, a menti à sa fille unique et lui a dit que les sons qu’elle avait entendus étaient des feux d’artifice. "Ma fille ne m’a pas cru. J’étais dans un tel état. Elle m’a dit : "Maman, c’est la guerre, pas des feux d’artifice".
Au cours de mes discussions avec les mères, la plupart d’entre elles essayaient de contenir leurs sentiments et leur peur. Cependant, certaines d’entre elles n’y parvenaient pas. Salma, une mère de quatre enfants, m’a fait part de sa colère de voir qu’après quatre agressions, l’histoire se répète. "Il devrait y avoir un espace où les civils vulnérables pourraient se réfugier. Un espace dont la sécurité est garantie. Dès qu’ils ont annoncé l’horrible nouvelle, je suis passée directement du calme à l’hystérie et mes enfants ont dû assister à tout cela. N’est-ce pas suffisant les difficultés économiques que nous affrontons chaque jour ? ! Une autre escalade en l’espace d’un an !"
Sarah et Noha, mères de deux et trois enfants, m’ont dit qu’elles appliquent les techniques qu’elles ont lues. Elles essaient de toujours serrer leurs enfants dans leurs bras lorsqu’ils ont peur, elles font de leur mieux pour les empêcher de voir des images terrifiantes sur les réseaux sociaux et elles essaient de rester calmes en leur présence.
Récemment, j’ai lu une étude inquiétante menée par Save the Children, selon laquelle 80 % des enfants de Gaza (quatre enfants sur cinq) disent vivre dans la dépression, le chagrin et la peur. Cela me surprend-il ? Pas du tout. Je vis à Gaza et je peux voir l’impact sur les enfants, mais le fait de le traduire en chiffres montre à quel point la situation est devenue horrible.
Tout cela me ramène à une question essentielle que je me suis posée à maintes reprises : ai-je besoin d’avoir des enfants à Gaza ? Avoir des enfants est une responsabilité que les parents doivent assumer. Ma mère, qu’elle repose en paix, avait l’habitude de s’excuser auprès de moi d’être à Gaza. Que ce soit à cause de la situation politique instable ou des circonstances très difficiles dans lesquelles nous vivons. En ce moment, en entendant les bruits de l’escalade, je suis reconnaissante de ne pas avoir d’enfants pour me sentir coupable.
Mais il y a une chose pour laquelle je me sens coupable, c’est d’avoir écrit cet article du seul point de vue des mères. Les pères aussi ressentent une énorme responsabilité alors qu’eux et leurs enfants sont confrontés à ces conditions insupportables.
Une dernière mère à qui j’ai parlé, qui s’appelle Nadia, m’a dit que son fils a un an. Il est trop jeune pour réaliser ce qui se passe autour de lui. "Eh bien, c’est quelque chose dont je dois me préoccuper lors de la prochaine escalade, si nous restons en vie."
"Vous pensez qu’il y en aura une autre ?" J’ai demandé.
"Allez ! 2008, 2012, 2014, 2021 et 2022. Fais le calcul."
Même si Nadia n’était pas du tout optimiste, et même si la réalité parle d’elle-même, une petite partie de moi choisit de garder espoir et de souhaiter que son enfant, grandisse et vive une vie saine, pleine de bonheur et d’accomplissements.
Photo : Des personnes en deuil assistent aux funérailles de sept Palestiniens tués lors de frappes aériennes israéliennes sur Rafah, dans le sud de la bande de Gaza, le 7 août 2022. (Photo par Ashraf Amra/APAimages)
Traduction : AFPS/DD