Dans cette grande pièce où, assises sur des matelas, les femmes discutent après le repas de rupture du jeûne, j’ai du mal à savoir combien il y a d’enfants. Un coup, j’en compte 10, une autre fois, 12 ou 13. Ils jouent, ils courent, ils rient et se disputent, l’un pleure puis se console.
Je les regarde. Ils sont tous beaux et ont l’air heureux. Ils ont l’air sincèrement aimés par les adultes, tous les adultes, parents bien sûr, mais aussi tantes, grand père, oncles... Je n’arrive pas à savoir quel enfant va avec quel parent. Dans la maison, il y a le grand père, veuf, et 2 ou 3 fils mariés avec leurs épouses et une fille célibataire. J’ai compris que 2 autres filles vivent ailleurs avec leurs familles.
Ces enfants m’attirent. Je constate avec amusement et intérêt que l’un d’entre eux ressemble à s’y méprendre à un de mes neveux lorsqu’il était petit. Alors, je me souviens, ...les Croisades, les conquérants de l’Ouest... ils ont bien dû laisser leur marque, aussi, dans la communauté musulmane et je la retrouve inscrite, ce soir, sur nombreux de ces enfants. Ils n’ont pas le physique le plus courant de la région. Leurs cheveux souples et châtains mâtinés de blond, leurs yeux bleus et leur teint clair sont en opposition avec le teint très mat et les cheveux noirs de geai très souvent rencontrés en Palestine.
Tout en les regardant vivre leur enthousiasme et leur soif de bonheur, je me remémore les circonstances qui m’ont fait connaître cette famille.
Une nuit, une centaine de soldats à pied, suivis de quinze jeeps et de deux camions militaires, envahissent le village. Dans le ciel constellé d’étoiles, un bourdonnement incessant trahi la présence d’un drone de surveillance.
Le pâté de maisons est encerclé. Toutes les familles sont obligées de sortir. Elles assisteront, impuissantes, à toute l’opération. On vérifie que personne ne porte d’armes en leur demandant de soulever leurs vêtements,... très mal ressenti dans cette société très prude.
Tous sont interrogés, y compris les plus jeunes : où se trouve cet homme de 28 ans qu’ils sont venus arrêter ? Un enfant de 3 ans est secoué par un soldat qui lui intime l’ordre de répondre.
Puis, c’est la fouille des 4 ou 5 maisons circonscrites. Elle sera faite 3 fois sans succès. Alors, elle est reprise mais de manière décisive. Des explosions, des coups de feu en grand nombre font comprendre à tout le village que les choses sont très graves. Tous retiennent leur souffle, quelques lumières témoignent que personne ne dort, quelques sanglots d’enfant sont parfois entendus à travers les portes closes. Des silhouettes sur les terrasses essaient, dans le noir, de deviner ce qui se passe.
Cela va durer jusqu’au jour. Les soldats sont entrés dans la maison de l’oncle de celui qu’ils recherchent et ont tiré sur tout.
Le lendemain, venues dans la famille pour interroger en vue d’envoyer un rapport en terme de "Droits Humains", nous avons photographié des dizaines d’impacts de balles : sur les murs, sur la machine à laver, l’ordinateur, le chauffage d’appoint et tous les placards, au travers d’un sac de classe également, cahiers et livres perforés.... Lorsque l’homme a compris qu’il ne s’échapperait pas, il s’est rendu et a été emmené, les mains liées derrière le dos et les yeux bandés, couché à l’arrière d’une jeep.
J’ai 6 ans et j’ai tout vu, tout entendu...Les soldats m’ont demandé où se cachait celui que je voyais tous les jours et qui me prenait, peut-être, sur ses genoux lorsqu’il rentrait le soir. Je joue avec ma cousine, elle a 3 ans et son petit frère est un bébé...
La vie a repris dans la famille. Après plusieurs jours d’incertitude, ils savent maintenant où se trouve le prisonnier, en Israël. Ce n’est pas habituel d’être si rapidement emmené loin du lieu d’arrestation et cela les inquiète. Ils sont en relation avec des associations israéliennes de défense des prisonniers et la Croix Rouge Internationale.
Le soir, après le repas, vient parfois une autre femme de cette famille élargie. Son fils a passé 20 jours en prison. Il est rentré au village le soir de l’arrestation. Elle est préoccupée, elle trouve son fils changé, il n’a pas pu passer ses examens cette semaine à l’Université, elle le dit fatigué...
Vie ordinaire d’un village sous Occupation.