2/ SOLUTIONS, PRINCIPES ET CONDITIONS PREALABLES.
2.1 Principes normatifs.
Si nous pensons à une solution du conflit, nous devons commencer sur le mode normatif.
Cela n’a pas de sens d’essayer d’évaluer l’une ou l’autre des formules spécifiques proposées avant d’établir quelques principes généraux auxquels une solution vraiment juste doit répondre.
Dans divers autres Etats coloniaux faisant partie du même type de colonisation, les colonisateurs ont réussi à éliminer l’ensemble de la population indigène ou à la réduire à quelques vestiges relativement insignifiants. Le conflit entre colonisateurs et colonisés s’est achevé par la victoire écrasante et virtuellement complète des premiers et, en ce sens, était "résolu".
Une telle issue n’est pas vraisemblable dans le cas de l’Etat israélien. Bien sûr, l’Histoire suggère que les leaders sionistes d’Israël exploiteront toute possibilité de poursuivre l’expansion coloniale et de procéder au nettoyage ethnique. De plus, les plus audacieux d’entre eux tenteront vivement de créer de telles possibilités.
Mais, quelle que soit la limite réaliste de ce processus d’extension, l’Etat d’Israël se retrouvera toujours entouré d’Arabes, de la Nation arabe dont le peuple arabe palestinien est un élément constituant.
Au bout du compte, ce conflit ne pourra être résolu que par une conciliation entre les deux groupes nationaux directement impliqués : les Arabes palestiniens et les Hébreux.
Notez que ce dont je propose de discuter ici est une solution plutôt qu’une série de palliatifs.
Bien sûr on peut faire plusieurs choses pour améliorer la situation actuelle difficile, qui cause de grandes souffrances à des millions d’êtres humains, en majorité des Palestiniens mais aussi des Israéliens. Je ne m’oppose certes pas à de telles mesures palliatives : au contraire je pense qu’il faut mobiliser l’opinion publique afin qu’elle les exige. Par-dessus tout, il faut exercer une pression sur Israël pour qu’il mette fin à l’occupation militaire de la Cisjordanie, de la Bande de Gaza et des hauteurs du Golan.
Mais il ne faut pas confondre palliatifs avec succès des soins ni amélioration avec solution.
Tant que les causes ne seront pas éliminées, le conflit persistera. Il est vraisemblable que toute amélioration ne sera qu’un leurre, suivi d’une autre flambée de violences.
Quels sont donc les éléments essentiels qu’une solution durable doit concevoir ?
– D’abord et avant tout, l’égalité des droits. Je ne parle pas ici seulement de l’égalité des droits individuels, cela va sans dire. Mais aussi, et c’est tout aussi important, l’égalité des droits collectifs, les droits nationaux pour les deux groupes nationaux réellement concernés : les Arabes palestiniens et les Hébreux israéliens.
C’est une condition minimale nécessaire parce que son absence, par définition, signifie que l’un des groupes sera défavorisé, faible et opprimé. Une oppression nationale conduit inexorablement à une lutte de libération, le contraire même d’une solution.
u droit au retour des réfugiés palestiniens dans leur patrie, droit d’être réhabilités et correctement indemnisés de leurs propriétés et moyens d’existence perdus.
C’est tellement évident que cela ne nécessite pas de justification sophistiquée. En fait, le seul argument contre est que cela mettrait en danger le "caractère juif" d’Israël ou, pour parler simplement, sa dimension ethnocratique d’Etat colonial. Mais accepter cet argument conduirait à capituler devant l’idéologie sioniste, ce qui me conduit au point suivant.
– Le troisième élément, et le plus décisif pour résoudre vraiment le problème, c’est la disparition de la cause fondamentale du conflit : L’entreprise de colonisation sioniste doit être éliminée. Cela signifie non seulement la désionisation d’Israël, mais aussi le rejet de l’affirmation sioniste que tous les Juifs, où qu’ils vivent, ont un droit sur « la terre d’Israël ».
– En effet, cette revendication entraîne non seulement une légitimation rétrospective de la colonisation sioniste passée, mais exige l’acceptation d’un prétendu droit perpétuel de continuer à « revenir », ce qui signifie nouvelle colonisation et nouvelle expansion.
– Pareille revendication exclut toute possibilité de solution au conflit.
2.2 Deux Etats ? Un Etat ?
En principe, c’est à dire dans l’absolu, sans s’occuper des véritables réalités comme l’équilibre actuel des forces, une solution équitable satisfaisant aux principes que je viens d’évoquer pourrait être recherchée dans différents cadres d’Etats institutionnels.
On peut imaginer la Palestine partagée en deux Etats ; Israël et un Etat palestinien arabe. On peut imaginer un seul Etat pour l’ensemble des la Palestine. Et on peut penser à d’autres options dont je parlerai plus tard. Mais il est clair que le point crucial n’est pas le nombre d’Etats mais de savoir si les principes essentiels d’une véritable solution sont satisfaits. Pour qu’une solution à deux Etats puisse y satisfaire, il faudrait qu’Israël soit désionisé. Ce serait la transformation d’un Etat colonial ethnocratique en un Etat démocratique composé de tous ses habitants. De la même façon il faudrait un partage et une répartition équitables des ressources, y compris la terre et l’eau.
Et aucun de ces deux Etats n’aurait le droit d’exercer sa suprématie sur l’autre. D’un autre côté un Etat unique devrait être non seulement démocratique (et donc laïque) mais avoir une structure constitutionnelle qui reconnaisse les deux groupes nationaux et leur donne les même droits sur le plan national et le même statut.
Mais en fait, aucune de ces solutions n’est réalisable pour le moment. En vérité aucune véritable solution n’est possible, à court ou moyen terme, à cause de l’énorme disparité dans l’équilibre des forces. Les Palestiniens, écrasés économiquement, mal armés, peu soutenus moralement sur le plan international, font face à un Etat d’Israël moderne, capitaliste et dominant, à une superpuissance nucléaire au pouvoir régional hégémonique, ogre local et partenaire junior des hyper puissances mondiales. Tant que durera un déséquilibre des forces aussi énorme, tout accord imposera forcément des conditions d’oppression très dures au côté le plus faible. Attendre autre chose serait complètement irréaliste.
Dans de telles circonstances, toute solution impliquant deux Etats ne peut être qu’une mascarade : Pas deux vrais Etats souverains (ne parlons même pas de deux Etats égaux) mais un puissant Etat israélien dominant un patchwork d’enclaves palestiniennes démantelées, ressemblant aux réserves indiennes, sous le contrôle d’élites corrompues qui seront les petits copains d’Israël. C’était la véritable perspective lors des accords d’Oslo en 1993 et, depuis, la situation a continué à se détériorer fortement, sous l’effet de métastase virulente et maligne de la colonisation israélienne et avec l’affaiblissement de l’Autorité palestinienne, victime des assauts d’Israël et de l’étranglement international.
Face à l’évidente impossibilité actuelle de la solution des deux Etats, beaucoup de gens sincères et de bonne volonté se sont retournés vers la formule « un Etat ».C’est, dans l’absolu, une proposition séduisante. Néanmoins, l’ennui c’est qu’une véritable solution égalitaire d’un Etat unique n’est pas plus réalisable à court ou moyen terme que la solution des deux Etats et exactement pour la même raison. Vu le véritable déséquilibre du pouvoir, un seul Etat incluant la Palestine entière ne sera qu’une extension de l’occupation et de la suprématie militaire d’Israël.
Un défaut commun aux deux formules est qu’elles sont confinées à « la boite » de la Palestine, le territoire du mandat britannique de 1923 à 1948. Elles diffèrent dans la mesure où la première propose de refaire le partage, alors que la seconde propose un resserrement en une seule entité politique distincte.
Ironiquement, comme je l’ai mis en relief dans le 1.5 [voir publication du 1er juin sur ce site, NdR], cette boite était du sur-mesure pour la colonisation sioniste, racine du conflit. Peut-elle être utile à la solution du conflit en tant que conteneur isolé ?
2.3 Solution dans un cadre régional.
Aucun équilibre des forces n’est éternel. Une véritable solution du conflit deviendra possible à long terme, lors d’un changement dans l’équilibre des forces actuel.
Il est impossible de prévoir exactement comment ce changement pourrait arriver.
Mais il paraît tout à fait certain qu’il ne se confinera pas à la relation entre Israël et les Palestiniens, alors que rien d’autre ne bougerait.
Cela impliquera forcément des mouvements tectoniques dans toute la région ainsi que des bouleversements à l’échelle mondiale.
L’interconnexion de deux processus se renforçant mutuellement sera une nécessité vitale pour un changement du rapport des forces.
D’abord le déclin de la domination de la puissance américaine et tout particulièrement la capacité des Etats-Unis à soutenir l’hégémonie régionale d’Israël sans que cela implique des coûts économiques et politiques inacceptables.
Deuxièmement, une transformation sociale, économique et politique de l’Orient arabe, menant à un degré d’unification de la Nation arabe, le plus vraisemblable étant sous la forme d’une fédération régionale.
Cela n’a guère de sens de discuter d’une solution du conflit israélo-palestinien comme s’il avait lieu dans une boite palestinienne isolée, -divisée ou en un seul morceau, - en ignorant le reste de la région et en ne prenant pas en compte la transformation sans laquelle cette solution serait dans tous les cas impossible.
Mise dans son contexte régional approprié, notre vision d’une solution implique un changement de regard. Ce serait une erreur d’en rester à des données figées une fois pour toutes, Israël dans les frontières de 48 à 67 ou la Palestine dans ses frontières de 1923 à 1948.
En réalité les données de base sont humaines : les deux groupes nationaux qui sont directement impliqués dans le conflit et qui continueront à exister pendant encore très longtemps, les Arabes palestiniens et les Hébreux israéliens. La tâche sera alors de faire vivre ces deux groupes dans une union nationale ou dans une fédération. Les frontières deviendront des démarcations internes à la Fédération et seront tracées selon les besoins. Nous ne pouvons pas prévoir ce qu’elles seront, mais il n’est pas du tout obligatoire qu’elles soient conformes à celles qui ont existé jusqu’à maintenant.
Il serait ridicule de prétendre que, pour le moment, les perspectives sont radieuses.
La domination américaine semble encore solide, tout comme le soutien américain à son exécutant régional. L’Orient arabe est dirigé par des élites corrompues et lâches. Il ne s’est pas encore remis de la défaite du nationalisme arabe laïque. Même sous sa forme nassérienne relativement progressiste, le nationalisme arabe a été incapable de dépasser ses limites petites bourgeoises et de mobiliser un mouvement de masse démocratique, actif et auto organisé.
La dégénérescence qui suivit sous les régimes Bath, rivaux et meurtriers, prétendant soutenir le socialisme et l’unité arabe, a abouti à donner une mauvaise réputation à ces deux idéaux dans la région.
L’émergence ultérieure de l’islamisme fut porteuse d’une fausse promesse.
Alors qu’il se pose comme un défi à la domination occidentale, il est rétrograde et intrinsèquement incapable d’être porteur de progrès.
Il ne peut pas plus être une force de rassemblement. Au contraire il sème la discorde entre les Sunnites et les Chiites et n’exerce aucun pouvoir d’attraction sur les non musulmans et les Arabes laïques, y compris les Palestiniens, sans même parler des Hébreux.
Alors qu’il y a peu de raisons d’espérer à court terme, il y a quelques signes porteurs d’espoir pour un plus lointain avenir. La puissance économique et politique de l’Amérique, apparemment robuste, est en proie à des symptômes de déclin. La puissance militaire américaine ne sert pas à grand-chose et se fixe des objectifs trop ambitieux.
Entre temps, un nouveau mouvement progressiste radical anti-mondialisation acquiert quelques forces vives dans certains pays du Tiers-Monde.
Il doit encore prendre son essor dans l’Orient arabe. Mais beaucoup dépend de nous tous.
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