Bitterlemons : L’Autorité Palestinienne clame haut et fort qu’elle a réussi à restaurer l’ordre à Naplouse et à convaincre les combattants de déposer les armes. Pensez-vous que c’est une réussite significative ?
Jarbawi : C’est un important succès sur le plan domestique pour les Palestiniens – pour la sécurité et la stabilité de la Palestine. Les Israéliens ont tout fait pour transformer la Cisjordanie en une succession de cantons séparés les uns des autres. Le projet poursuivi était de « découper » chaque canton et de lui donner son autonomie. Ce qui se passait à Naplouse renforçait le projet israélien et confortait son objectif de miner toute autorité centrale palestinienne.
Que la police palestinienne soit déployée à Naplouse et que le calme règne dans les rues, cela démontre que l’autorité centrale en Cisjordanie contrôle la situation. Cela montre également que la Cisjordanie est un territoire indivisé, et que malgré les barrages routiers et les obstacles, la politique israélienne visant à découper la Cisjordanie en cantons n’arrive pas à ses fins. Si on lui en laisse la possibilité, l’Autorité Palestinienne peut fonctionner – et même bien fonctionner.
bitterlemons : Peut-on raisonnablement exiger de l’Autorité Palestinienne d’être intraitable sur les questions de sécurité dans les circonstances actuelles ?
Jarbawi : Naplouse en est un bel exemple : en dépit des entraves et des obstacles qu’elle rencontre, l’Autorité Palestinienne peut fonctionner. Mais Israël ne veut pas d’une Autorité Palestinienne qui fonctionne. Israël ne veut pas aider ce gouvernement. Au contraire, Israël prospère sur les conflits internes palestiniens et sur les situations de non-droit. Israël n’agit pas comme elle le devrait si elle voulait réellement arriver à un accord politique. Elle n’aide pas l’Autorité Palestinienne à contrôler la Cisjordanie et préfère voir la Cisjordanie divisée.
bitterlemons : En l’absence de toute action d’Israël pour geler les nouvelles implantations de colonies, tout particulièrement à Jérusalem, ou pour démanteler les avant-postes, pour combien de temps le calme peut-il régner en Cisjordanie ?
Jarbawi : Pour arriver à un accord, il faut la coopération de la communauté internationale, de l’Autorité Palestinienne et d’Israël. Entre les Israéliens et nous, ce doit être un dialogue entre deux interlocuteurs. Mais les Israéliens ne veulent que d’un dialogue à sens unique. Israël exige la sécurité avant de remplir le moindre de ses engagements.
Cette approche n’a jamais fonctionné par le passé et ne fonctionnera jamais. Les Palestiniens n’accepteront pas que leurs terres soient confisquées, que les colonies continuent à se construire, que les barrages routiers persistent ou qu’on les empêche de développer leur économie pendant encore longtemps. Israël doit prendre cela en compte. Il ne peut pas avoir le beurre et l’argent du beurre. Israël doit choisir ce qu’ il veut vraiment : arriver à un accord politique avec les Palestiniens ou imposer son propre accord. Si Israël veut imposer un accord, après tout, c’est lui la force occupante, et c’est fort possible qu’il arrive à imposer certaines choses aux Palestiniens. Mais il ne pourra pas imposer l’adhésion à un tel accord.
Les deux parties doivent remplir leur part du contrat simultanément. Le passé montre qu’on n’arrivera à rien si l’on ne répond pas aux demandes de base des Palestiniens. Israël ne peut pas espérer vivre en sécurité tant que les Palestiniens ne vivent pas en sécurité, ce qui se pourrait se traduire par un accord politique qui garantirait les demandes de base des Palestiniens, une solution à deux états pour tous les territoires occupés, etc...
bitterlemons : L’Autorité Palestinienne ne contrôle pas la Bande de Gaza et Israël peut toujours dire qu’à Gaza, la violence continue. Comment régler ce problème ?
Jarbawi : Israël a fait la même chose avec Arafat, en le cloîtrant dans son QG de Ramallah tout en l’accusant d’être responsable de la moindre escarmouche dans les territoires occupés. Je ne pense pas qu’on arrivera à un accord global si Israël n’accepte pas les termes de l’accord d’Oslo. Celui-ci considère la Cisjordanie et la Bande de Gaza comme une seule et même entité géographique. C’est pourquoi Oslo faisait allusion à un passage territorial entre les deux zones. Ce passage est indispensable si Israël veut aboutir à un accord. Israël ne peut pas séparer ces deux zones tout en espérant en même temps qu’une autorité palestinienne centrale contrôle les deux.
Il ne peut pas y avoir d’accord sans trêve. Mais cette trêve ne peut pas être imposée uniquement aux Palestiniens. Si Israël est intéressé, une trêve peut être négociée. Le Président Mahmoud Abbas a déjà réussi par le passé à mettre en place un cessez-le-feu unilatéral du côté palestinien, mais Israël n’y a pas pris part, a continué ses incursions et ses assassinats, ce qui a au bout du compte précipité l’échec du cessez-le feu.
Si Israël veut aller vers une solution à deux états telle que l’envisagent les Américains, cela doit se faire en concertation. Israël doit faire sa part de chemin et les Palestiniens également. Israël ne peut pas s’attendre à ce que les Palestiniens ne résistent pas à l’occupation alors qu’il continue à tuer tous les jours