Photo : Des soldats de l’armée d’occupation israélienne photographiés pendant l’opération dite « Aube Naissante » à Gaza, en octobre 2022, au cours de laquelle 46 Palestinien.ne.s ont été tué.e.s - Source : Wikipedia
Pendant qu’Israël envahissait et bombardait Jénine cette semaine, l’AIPAC [1] diffusait un message simple : « Israël a raison de protéger ses citoyens du terrorisme ». D’autres ont repris la même ligne, en incluant souvent la fausse théorie selon laquelle l’Iran - qui soutient et appuie les groupes militants armés palestiniens tels que le Hamas et le Jihad islamique - contrôle en fait la résistance palestinienne, laissant entendre, de manière ridicule, que sans les malversations iraniennes, les Palestiniens ne se battraient pas contre l’occupation israélienne.
Le message d’Israël émanant de ses dirigeants va dans le même sens, mais dans un style légèrement différent. Le chef de l’opposition Yair Lapid, par exemple, l’a exprimé de la manière suivante : « Nos enfants sont massacrés, et Israël a tous les droits du monde de se défendre, et nous, l’opposition, soutenons les forces de défense israéliennes ainsi que le gouvernement israélien sur cette question. » M. Lapid a fait cette déclaration en anglais, ce qui signifie qu’il s’agit de la version du message d’Israël destinée à un public étranger, en particulier américain.
Les membres du Congrès n’ont pas manqué l’occasion de soutenir l’assassinat de Palestiniens. C’est le cas de Josh Gottheimer, démocrate du New Jersey : « Israël a tout à fait le droit de se défendre, d’autant plus que l’Autorité palestinienne perd le contrôle de Jénine, devenue une plaque tournante de l’activité terroriste soutenue par l’Iran en Cisjordanie ».
La démocrate de Floride Debbie Wasserman Schultz s’est également jointe à eux : « Israël a le droit sans équivoque de se défendre contre les auteurs d’actes de violence et d’attaques terroristes ». Et bien sûr, plusieurs républicains ont exprimé le même soutien.
Le soi-disant « démocrate progressiste » Ritchie Torres de New York ne laisserait jamais passer une telle occasion de récompenser l’AIPAC et d’autres groupes similaires pour leurs largesses. Il a tweeté : « L’Autorité palestinienne a pratiquement abandonné Jénine, laissant derrière elle un vide de pouvoir que les terroristes ont comblé. Au cours des six derniers mois, ces terroristes ont fait de Jénine une rampe de lancement pour plus de 50 attentats contre des Israéliens. Israël répond par une opération antiterroriste visant à éliminer chirurgicalement ces terroristes et leur infrastructure terroriste. Il y a un mot pour cela : l’autodéfense, qui est un droit pour tout pays souverain, y compris Israël ».
Le mantra du « droit d’Israël à se défendre » est répété sans cesse et rarement remis en question. Même les Palestiniens et les défenseurs de la Palestine sont souvent réticents à débattre de ce « droit à l’autodéfense ». Depuis le début de l’existence d’Israël en tant qu’État, cette justification a été utilisée pour refuser aux Palestiniens le droit à leurs biens, à leurs maisons et à leur liberté. Elle a été utilisée pour justifier le vol des biens palestiniens à la suite des guerres de 1948 et de 1967, et pour excuser la mise en place de la loi martiale sur les Palestiniens à côté du nouvel État depuis presque deux décennies entières.
Cette rengaine du « droit d’Israël à se défendre » est invoquée à tout bout de champ, non seulement par Israël et ses partisans, mais aussi par les gouvernements amis des États-Unis, d’Europe, du Canada, d’Australie et d’autres pays.
Voici donc un scoop : Israël n’a pas le droit de se défendre en ce qui concerne la Cisjordanie et la bande de Gaza. Il a le droit de protéger ses citoyens, mais il n’a pas le droit d’utiliser une force militaire écrasante contre les personnes qu’il occupe.
Israël peut prendre des mesures pour protéger ses citoyens - l’une des plus évidentes serait de renoncer à les mettre en danger en installant des colonies au milieu des territoires occupés. Il peut également les protéger en utilisant les pouvoirs de police dont un occupant est tenu de disposer, pouvoirs qui, il faut le souligner, sont principalement destinés à maintenir l’ordre public et à protéger la sécurité des personnes sous occupation, dont Israël est responsable en dernier ressort. Il ne peut pas signer un accord tel que les accords d’Oslo et se décharger ainsi de la responsabilité du bien-être des personnes sous occupation. Autorité palestinienne ou pas, l’occupant reste responsable du bien-être des personnes sous occupation.
Il peut sembler contre-intuitif de se confronter à cette réalité du droit et des normes internationales. Lorsqu’on me l’a fait remarquer pour la première fois, j’ai été choqué et, en fait, je me suis opposé à cette idée. Pourtant, le droit international est clair sur ce point. Pour une explication complète, je vous renvoie à ce remarquable article du professeur Noura Erakat, juriste et universitaire palestinien, qui expose l’affaire dans un langage clair et méticuleux. Il s’agit d’une lecture indispensable pour tous ceux qui défendent les droits des Palestiniens.
En résumé, Israël traite Jénine, et même l’ensemble de la Cisjordanie et de la bande de Gaza, comme un territoire ennemi. À Gaza, Israël a officialisé cette appellation en 2007, en le désignant comme "territoire ennemi". Il ne peut pas faire de même en Cisjordanie en raison des colonies qui parsèment ce territoire, et l’attaque de cette semaine contre Jénine montre qu’il n’en a pas besoin. La désignation de Gaza faisait partie de la tentative d’Israël de convaincre le monde que, malgré le contrôle des frontières terrestres Est et Nord de Gaza, la coordination du contrôle de la frontière Sud avec l’Égypte, le contrôle de la mer à l’Ouest de Gaza et celui de l’espace aérien du territoire, la décision d’Israël de retirer ses troupes et ses colons de l’intérieur de la bande de Gaza et de la transformer en la plus grande prison à ciel ouvert du monde signifiait que Gaza n’était plus occupée.
Mais Israël a compris que cela n’avait pas d’importance. Il pouvait tirer des missiles sur Gaza, assassiner des enfants sur ses plages et abattre des personnes manifestant de son côté de la frontière en toute impunité, comme il le ferait en temps de guerre, et ce, que l’on accepte ou non l’argument selon lequel Gaza n’était plus occupée, un argument que la plupart des pays du monde ont rejeté. Israël fait aujourd’hui preuve du même niveau d’impunité en Cisjordanie, ce qui réduit encore davantage la retenue, déjà maigre, de l’utilisation par Israël d’une force démesurée.
Comme l’explique le professeur Erakat, « un État ne peut pas à la fois exercer un contrôle sur un territoire qu’il occupe et attaquer militairement ce territoire sous prétexte qu’il est « étranger » et qu’il représente une menace exogène pour la sécurité nationale. En agissant de la sorte, Israël revendique des droits qui peuvent être compatibles avec la domination coloniale, mais qui n’existent tout simplement pas en vertu du droit international ».
Les défenseurs d’Israël éludent cette question en créant une réalité alternative. L’un des composants de cette théorie est l’existence d’un gouvernement palestinien créé par les accords d’Oslo et qui gouverne certaines parties de la Cisjordanie à des degrés divers. Dans la zone A, où se trouve Jénine, ce gouvernement est considéré comme étant équivalent à n’importe quel autre gouvernement.
C’est tout simplement faux, comme le montrent les incursions répétées, les bouclages réguliers ainsi que la présence de soldats et de checkpoints autour de Jénine. Israël, qui n’a jamais déclaré ses propres frontières, occupe toute la Cisjordanie. Il perçoit, et souvent retient, les impôts de l’Autorité palestinienne, tandis que les forces de sécurité palestiniennes se concentrent principalement sur la coordination avec Israël pour combattre les militants. En d’autres termes, la sécurité palestinienne est principalement mise en place pour protéger les Israéliens et, accessoirement, le régime de plus en plus illégitime et autoritaire de l’Autorité palestinienne qui ressemble à Vichy, et non pour protéger les Palestiniens ordinaires.
Pourtant, Israël prétend avoir le droit à la « légitime défense ». Bien sûr, le fait qu’un tel droit n’existe pas ne signifie pas qu’il doive rester les bras croisés pendant que ses citoyens sont attaqués. Mais, citant à nouveau le professeur Erakat, « tant que l’occupation se poursuit, Israël a le droit de se protéger et de protéger ses citoyens contre les attaques des Palestiniens qui résident dans les territoires occupés. Cependant, Israël a également le devoir de maintenir la loi et l’ordre, également connus sous le nom de « vie normale », dans le territoire qu’il occupe. Cette obligation ne consiste pas seulement à assurer la sécurité et le bien-être de la population occupée, mais aussi à leur donner la priorité. »
Il existe une distinction entre le droit - et même la responsabilité - de protéger les personnes placées sous son autorité, qu’il s’agisse de citoyens ou de personnes occupées, et le droit à l’autodéfense en cas de guerre ou de quelque chose qui s’y apparenterait. Alors que les apologistes d’Israël aiment à qualifier Israël - Palestine de guerre, ce n’est pas le cas. En Cisjordanie et à Gaza, il s’agit d’une occupation. Dans le cadre d’une occupation, le peuple occupé a le droit de résister, y compris par les armes, bien que cela signifie que les individus qui y participent sont des combattants et non des civils protégés.
Non seulement Israël se soustrait à sa responsabilité de protéger les personnes sous occupation, mais il met délibérément ses propres citoyens en danger en les utilisant comme moyen de renforcer et de consolider son occupation, en autorisant les civils à prendre les armes et à commettre des actes de violence contre les personnes occupées. On ne peut pas, d’une part, maintenir une occupation militaire drastique qui, par définition, octroie le droit de résistance à la population qui la subit et, d’autre part, prétendre avoir le droit d’utiliser une force militaire démesurée contre la population occupée en la considérant comme un ennemi extraterritorial. On peut avoir le beurre et l’argent du beurre, mais pas les deux.
L’ancien rapporteur spécial des Nations unies pour les Territoires palestiniens occupés, John Dugard, explique la distinction entre un État agissant en état de légitime défense et un État utilisant la force pour maintenir une occupation militaire. Dans le cas d’Israël, ses efforts pour annexer lentement les territoires qu’il occupe au lieu d’œuvrer au retrait et à la fin de cette occupation, comme il est légalement tenu de le faire, signifient que l’occupation elle-même est illégale. Elle n’en reste pas moins soumise aux lois internationales sur l’occupation.
Comme le dit M. Dugard, « un État qui cherche à imposer son occupation, tout comme un État qui agit en légitime défense, doivent se conformer au droit international humanitaire. Cela comprend le respect du principe de proportionnalité, le respect des civils et la distinction entre les cibles militaires et civiles, ainsi que l’interdiction des sanctions collectives. Tant Israël que les militants palestiniens sont obligés d’agir dans le cadre de ces règles ».
Israël et les groupes militants palestiniens violent tous deux le principe de distinction, mais Israël a une capacité bien plus grande à l’éviter et ne le fait pas. Il ne cesse pourtant d’affirmer qu’il fait tout son possible pour s’y conformer. Israël viole aussi régulièrement le principe de proportionnalité et l’interdiction des sanctions collectives que les groupes palestiniens, pour la plupart, ne sont pas en mesure de violer en raison de leurs capacités militaires beaucoup plus limitées.
L’argument de l’autodéfense semble juste. Nous pensons que même si quelqu’un a tort dans un conflit, cette personne a le droit de réagir et de se défendre si elle est victime d’actes de violence. Mais les États occupants, ou les États engagés dans un conflit armé, ne sont pas comparables aux individus. Les puissances occupantes, en particulier, ont la responsabilité de maintenir la loi et l’ordre pour tous ceux qui vivent sous leur contrôle et d’œuvrer pour mettre fin à cette occupation. Ces lignes directrices visent à minimiser les causes de la violence et, dans la mesure où elles échouent, l’occupant dispose de pouvoirs de police pour y remédier. Mais il n’a pas le droit de traiter ceux qui résistent à une occupation illégale et brutale comme des combattants ennemis. Il n’a pas non plus le droit de traiter les zones occupées comme des territoires ennemis, comme s’il s’agissait d’une guerre. Peu importe le nombre de présidents racistes, de secrétaires d’État ou de membres du Congrès qui affirment le contraire.
Traduit par : AFPS