Israël est « un ghetto sioniste » porteur de sa propre fin, parce qu’il se définit comme État juif, affirme Avraham Burg, ancien président du Parlement israélien dans une interview publiée hier. « Définir Israël comme État juif est la clé de sa fin. Un État juif, c’est explosif, c’est de la dynamite », déclare-t-il au quotidien Haaretz.
« C’est confortable de présenter Israël comme un État juif démocratique. C’est sympa, nostalgique, c’est de la guimauve rétro. Cela donne un sentiment de bien-être, mais c’est de la nitroglycérine », ajoute M. Burg, qui vient de publier un livre intitulé Battre Hitler. Dans le livre, il qualifie Israël de « ghetto sioniste » et s’en prend violemment aux agissements israéliens dans les territoires palestiniens occupés, les comparant à ceux de l’Allemagne nazie.
Également ex-président de l’Agence juive, organisme paragouvernemental chargé de l’immigration en Israël, M. Burg préconise de réexaminer la Loi du retour, qui permet à tout juif de la diaspora de « revenir » en Israël pour y devenir ipso facto israélien. « Cette loi est un miroir qui nous renvoie l’image d’Hitler, et je ne veux pas qu’Hitler définisse mon identité », poursuit-il.
Juif religieux et ex-militant du mouvement anticolonisation La Paix maintenant, M. Burg, aujourd’hui homme d’affaires, qualifie la société israélienne de « paranoïaque » et la compare à celle de l’Allemagne pré-nazie. « La barrière de séparation (construite en Cisjordanie) procède de cette paranoïa. Elle veut signifier qu’en deçà de cette ligne il y a les barbares. C’est xénophobe et pathétique », affirme-t-il, dénonçant les « assassinats ciblés » menés par l’armée israélienne contre des activistes palestiniens, « dont certains sont des meurtres ».
Détenteur d’un passeport français, il se veut désormais « citoyen du monde » et conseille à ses compatriotes de se doter de passeports étrangers. « Les élites d’Israël sont déjà parties, et sans élite, il n’y a pas de nation. »
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Voir aussi le blog d’ Alain Gresh [2] :
« Abandonner le ghetto sioniste »
Fils d’un dirigeant historique du Parti national religieux (PNR) et ancien ministre de l’intérieur, Abraham Burg, un juif religieux, n’est pas n’importe qui, explique le journaliste de Haaretz, Ari Shavit, dans un article intitulé « Leaving the Zionist Ghetto » (Abandonner le ghetto sioniste) publié le 9 juin. Il a été, après 1982, proche de Shimon Peres, et un des grands espoirs du Parti travailliste. Il a été président de l’Agence juive, président du parlement et candidat à la direction du Parti travailliste. Il vient de publier un livre en Israël qui provoque un scandale, « Defeating Hitler » (Vaincre Hitler). Voici quelques extraits de son entretien avec Ari Shavit qui a été outré par les propos de Burg.
Etes-vous toujours sioniste ?
AB : « Je suis un être humain, je suis un juif et je suis un Israélien. Le sionisme a été un instrument pour me transporter de l’Etat juif à l’Etat d’Israël (to move me from the Jewish state of being to the Israeli state of being). C’est Ben Gourion qui déclarait que le mouvement sioniste était l’échafaudage pour construire une maison et que, après l’établissement de l’Etat, il devait disparaître. »
Donc vous confirmez que vous n’êtes plus sioniste ?
AB : « Lors du premier congrès sioniste, c’est le sionisme de Herzl qui a vaincu le sionisme d’Ahad Ha’am. Je pense que le XXIe siècle devrait être le siècle d’Ahad Ha’am. Nous devons abandonner Herzl et passer à Ahad Ha’am. [3] »
Cela signifie-t-il que vous ne trouvez plus la notion d’Etat juif acceptable ?
AB. « Cela ne peut plus fonctionner. Définir l’Etat d’Israël comme un Etat juif est le début de la fin. Un Etat juif, c’est explosif, c’est de la dynamite. »
Et un Etat juif démocratique ?
R.AB : belle. Elle est à l’eau de rose. Elle est nostalgique. Elle est rétro. Elle donne un sens de plénitude. Mais "démocratique-juif", c’est de la nitroglycérine. »
(...)
Est-ce que nous devons abandonner la Loi du retour ?
AB : « Nous devons ouvrir la discussion. La Loi du retour est une loi, elle est une image en miroir de Hitler. Je ne veux pas que Hitler définisse mon identité. »
Interrogé sur le fait qu’il n’est pas seulement un post-sioniste mais aussi un anti-sioniste, il répond :
AB : « Ahad Ha’am a reproché à Herzl que tout son sionisme avait sa source dans l’antisémitisme. Il pensait à autre chose, à Israël comme centre spirituel - ce point de vue n’est pas mort et il est temps qu’il revienne. Notre sionisme de confrontation avec le monde est un désastre. »
Mais ce n’est pas seulement la question sioniste. Votre livre est anti-israélien, au sens le plus profond du terme. C’est un livre dont émane une répugnance à l’égard de l’israélité.
AB : Quand j’étais un enfant, j’étais un juif. Dans le langage qui prévaut ici, un enfant juif. J’allais dans un heder [école religieuse]. D’anciens étudiants de la yeshiva y enseignaient. La langue, les signes, les odeurs, les goût, les places. Tout. Aujourd’hui, ce n’est pas assez pour moi. Je suis au-delà de l’israélité. Des trois identités qui me constituent - humaine, juive, israélienne - je sens que l’élément israélien me dépossède des deux autres.
(...)
Vous dites qu’Israël est un ghetto sioniste, impérialiste, une place brutale qui ne croit qu’en elle-même.
AB : « Regardez la guerre du Liban. Les gens sont revenus du champ de bataille. Des choses ont été accomplies, d’autres ont échoué, il y a eu des révélations. Vous pourriez penser que les gens du centre (mainstream) et même de la droite comprendraient que l’armée voulait gagner et qu’elle n’a pas gagné. Que la force n’est pas la solution. Et puis on a Gaza, et quel est le discours sur Gaza ? Nous allons les écraser, nous allons les éradiquer. Rien n’a changé. Rien. Et ce n’est pas seulement nation contre nation. Regardez les relations entre les gens. Ecoutez les conversations personnelles. Le niveau de violences sur les routes, les déclarations des femmes battues. Regardez l’image d’Israël que renvoie le miroir. »
Vous dites que le problème n’est pas seulement l’occupation. A vos yeux, Israël est une sorte d’horrible mutant.
AB : « L’occupation n’est qu’une petite partie du problème. Israël est une société effrayante. Pour regarder la source de cette obsession de la force et pour l’éradiquer, vous devez affronter les peurs. Et la méta-peur, la peur primaire, ce sont les six millions de juifs qui sont morts avec l’holocauste. »
(...)
Dans votre livre, nous ne sommes pas seulement des victimes du nazisme. Nous sommes presque des judéo-nazis. Vous êtes prudents. Vous ne dites pas qu’Israël est l’Allemagne nazie, mais vous n’en êtes pas loin. Vous dites qu’Israël est dans le stade de l’Allemagne pré-nazie.
AB : « Oui. J’ai commencé mon livre par l’endroit le plus triste. Comme un deuil, mais un deuil d’Israël. Alors que j’écrivais, je pensais à un titre : "Hitler a gagné". Je pensais que tout était perdu. Mais, petit à petit, j’ai découvert que tout n’était pas perdu. Et j’ai découvert mon père comme représentant des juifs allemands, qui était en avance sur son temps. Ces deux thèmes nourrissent mon livre du début à la fin. A la fin, je deviens optimiste et la fin de mon livre est optimiste. »
La fin est peut-être optimiste, mais tout au long du livre vous dressez un signe d’égalité entre Israël et l’Allemagne. Est-ce vraiment justifié ? Y-a-t-il une base suffisante pour cette analogie ?
AB : « Ce n’est pas une science exacte, mais je vais vous donner quelques éléments qui s’inscrivent dans cette analogie : une grande sensibilité à l’insulte nationale ; un sentiment que le monde nous rejette ; une incompréhension aux pertes dans les guerres (unexplained losses in wars). Et, comme résultat, la centralité du militarisme dans notre identité. La place des officiers de réserve dans notre société. Le nombre d’Israéliens armés dans la rue. Où est-ce que cette foule de gens armés va ? Les expressions hurlées dans la rue : "les Arabes dehors". »