Malgré le conflit interminable entre Israël et le peuple palestinien, et en dépit d’une situation économique et sociale proprement catastrophique, certains s’acharnent à se focaliser sur la menace iranienne, la nouvelle menace “existentielle et stratégique” qui a pris la place de la menace irakienne depuis la chute de Saddam Hussein. Tout se passe comme si nous étions perpétuellement menacés dans notre existence par des Etats avec lesquels nous n’avons pas de frontières communes et, surtout, dont les dirigeants ne seraient mus que par un seul objectif : l’anéantissement d’Israël.
L’inconscience de ceux qui ne jurent que par la menace iranienne est assez unique en son genre. Après tout, l’Iran n’est pas la seule menace qui pèse sur la survie d’Israël. Aux confins de l’Asie centrale, il y a un autre pays dont la majorité de la population est un groupe de langue persane. Au-delà de l’Afghanistan et de l’Ouzbékistan, il existe un autre pays qui secrète en son sein un poison qui menace l’existence d’Israël : le Tadjikistan. Car, enfin, pourquoi attendre la conquête de l’Iran par les Etats-Unis ou un effondrement intérieur du régime des mollahs ? Les Tadjiks, un peuple iranien et musulman, sont d’ores et déjà la prochaine menace qui vise Israël. Notre Etat ne vit-il pas sous une menace permanente ? Si ce ne sont pas les Iraniens, ce sont donc les Tadjiks. Si ce ne sont pas les Tadjiks, ce sont donc les Pakistanais. Et si ce ne sont pas les Pakistanais, ce sont donc les Ouïgours. Ainsi, la menace existentielle qui pèse sur Israël vient de contrées situées de plus en plus profondément en Orient, et seule la région autonome juive du Birobidjan n’est pas hostile à Israël – du moins pour l’instant.
Il est peut-être temps que l’Etat d’Israël cesse de chercher à l’autre bout du monde les raisons de la perpétuation de cet état d’urgence permanent dans lequel vivent ses citoyens. Plus de quatre-vingt-huit ans après les événements de 1921 [émeutes palestiniennes contre la déclaration Balfour], qui marquèrent le début du conflit armé entre Juifs et Arabes au Moyen-Orient, en passant par la guerre d’indépendance et jusqu’à ce jour, les citoyens israéliens vivent dans une situation de menace existentielle. Pourtant, à part la date du 25 mai 1948, lorsque les armées arabes se sont retrouvées au cœur même du territoire israélien, Israël n’a plus jamais été vraiment menacé dans son existence. Certes, Israël n’a jamais manqué d’ennemis qui avaient juré publiquement de le détruire, comme Nasser, Saddam Hussein ou Arafat. Mais il est évident qu’il ne s’est jamais agi que d’une rhétorique creuse, que les faits ont cruellement démentie.
Ceux qui rêvent aujourd’hui d’éliminer par le glaive la menace iranienne trouveront demain un épouvantail de rechange, lorsque l’Iran ne fera plus l’affaire, un épouvantail qui effraiera autant l’opinion que les armes non conventionnelles de Saddam Hussein ou que la Charte nationale palestinienne. Or ce qui menace réellement l’existence d’Israël en tant qu’Etat juif et démocratique, c’est la perpétuation de l’occupation de la Cisjordanie et du bouclage de la bande de Gaza, la crise économique, le chômage, le manque de redistribution, les rapports troubles entre l’argent et le pouvoir, et, surtout, cette haine de l’autre et de l’étranger qui ronge la société israélienne.