Analyse. La venue de Laurent Fabius au Proche-Orient, vendredi 18 et samedi 19 juillet, n’a pas retenu l’attention du Hamas et d’Israël. Non seulement les deux protagonistes de la guerre de Gaza ont ignoré les appels au cessez-le-feu du ministre des affaires étrangères français, mais sitôt celui-ci reparti pour la France, l’offensive israélienne a redoublé de violence. Avec 99 morts palestiniens, en majorité civils, et 13 soldats israéliens tués, la journée de dimanche a même été la plus sanglante depuis le début du conflit, il y a treize jours.
Pas de quoi cependant infléchir la position française dans cette crise. Depuis Paris, M. Fabius n’a pas eu un mot pour les damnés de Chadjaiya, le quartier de Gaza réduit en cendres par l’armée israélienne, où les secouristes ont relevé les corps d’une soixantaine de personnes, dont 17 enfants, 14 femmes et 4 personnes âgées. Dans sa première intervention, le 8 juillet, François Hollande avait lui-même passé sous silence la mort de dizaines de civils palestiniens, préférant insister sur le droit d’Israël à se défendre contre les tirs de roquettes du Hamas, qui n’avaient alors fait aucune victime. Rédigé peu ou prou sous la dictée du premier ministre israélien, Benyamin Nétanyahou, ce communiqué reflète l’empathie qu’éprouve M. Hollande pour l’Etat hébreu. Il trahit des affinités personnelles, souligne la tonalité plutôt pro-israélienne de la communication des autorités dans la crise, encore démontrée par l’absence de réaction publique au bombardement du domicile du chef de l’antenne consulaire française à Gaza, mais il ne signale pas un tournant de fond.
La France a renoncé a faire entendre une voix différente de celle des Etats-Unis
Aucun des principes traditionnellement défendus par Paris sur ce dossier – notamment l’attachement à la création d’un Etat palestinien sur les territoires de 1967 avec Jérusalem-Est pour capitale – ne semble devoir être remis en cause, du moins à brève échéance. En privé, les diplomates français ne se privent pas pour critiquer M. Nétanyahou et souligner combien sa politique nuit à la recherche de la paix.
Ce qui s’exprime dans la frilosité de leurs réactions, c’est une forme de résignation. Comme si la France avait renoncé à faire entendre une voix différente de celle des Etats-Unis, comme si elle avait renoncé à obtenir la mise en oeuvre de ses principes, réduits chaque jour un peu plus à l’état de formules incantatoires. Dans les années 1980, par la déclaration européenne de Venise – première reconnaissance du droit à l’autodétermination des Palestiniens –, le discours de François Mitterrand à la Knesset – premier appel à la création d’un Etat palestinien, en 1982 – ou encore le sauvetage de Yasser Arafat à Beyrouth (1982), Paris avait manifesté son autonomie diplomatique et permis d’avancer vers la satisfaction des droits nationaux des Palestiniens.
Cette ambition avait persisté par intermittence sous Jacques Chirac. Comme premier ministre – son coup de sang à Jérusalem, en 1996, contre les troupes d’occupation israéliennes – puis comme président – son refus de boycotter Yasser Arafat pendant la deuxième Intifada –, il avait imposé sa marque sur la question israélo-palestinienne. La fin de son second mandat a amorcé un repli, qui s’est poursuivi sous Nicolas Sarkozy, en dépit de quelques sursauts, et se confirme depuis 2012 avec M. Hollande.
La même petite musique
C’est une petite musique que les visiteurs de l’Elysée connaissent bien : « On n’a aucune marge de manoeuvre », y dit-on. Un discours de l’impuissance, justifié par toute une série de considérations : des lourdeurs de fonctionnement de l’Union européenne – « Impossible d’impulser une diplomatie audacieuse à 28 » – à la droitisation du champ politique israélien – « Nétanyahou est au centre, il est incontournable » –, en passant par les vingt années de surplace du processus de paix – « On a tout essayé ».
Le changement de ton vient aussi du fait que plusieurs diplomates arabisants ont quitté récemment les cercles du pouvoir. Nommés en ambassade, ils ont été remplacés par de hauts fonctionnaires, moins rompus qu’eux aux chausse-trappes du conflit.
La France, contrairement à ce qu’elle laisse entendre, ne manque pas de leviers d’action. A son instigation, au début de l’été, les principaux pays européens ont déconseillé à leurs hommes d’affaires d’investir dans les implantations juives de Cisjordanie, illégales au regard du droit international. Une initiative louable, mais dont l’impact risque d’être négligeable, dans la mesure où il s’agit d’un simple avertissement et non d’une interdiction en bonne et due forme.
Une autre carte consisterait à soutenir le projet du président palestinien, Mahmoud Abbas, visant à faire entrer la Palestine à la Cour pénale internationale (CPI). L’épée de Damoclès des poursuites devant la CPI pourrait avoir un effet modérateur bienvenu sur la coalition au pouvoir en Israël.
Une autre piste consisterait à entamer un dialogue sous conditions avec le Hamas. Après tout, les rebelles syriens auxquels Paris livre du matériel ne sont pas moins « radicaux » que les islamistes de Gaza. De telles initiatives déclencheraient une levée de boucliers en Israël et des frictions avec Washington. C’est le prix à payer pour redonner de la voix à la France au Proche-Orient. En refusant de bousculer ses alliés, Paris se condamne à l’impuissance.