Le département d’Etat américain a-t-il montré à John Kerry la vidéo réalisée par le ministère des affaires étrangères israélien à l’occasion de la fête d’indépendance de l’Etat juif ? Ce petit film, qui rappelle, année après année, les principaux événements ayant façonné Israël, a opéré un tri mémoriel qui en dit long sur l’état des relations israélo-palestiniennes. Nulle trace, en effet, du voisin palestinien, si ce n’est la conquête de la vieille ville de Jérusalem, nul souvenir de la poignée de main historique entre Yasser Arafat et Itzhak Rabin, il y aura bientôt vingt ans.
Ce dossier, jugé insoluble par la majorité des responsables politiques israéliens, qui l’ont soigneusement occulté pendant la campagne électorale de janvier, est rangé dans un angle mort diplomatique. Le chef de la diplomatie américaine, sur lequel le président Barack Obama semble s’être défaussé, instruit par l’échec cuisant sur cette question qui avait marqué son premier mandat, ne doit cesser de prendre la mesure du désastre. Après deux décennies de rendez-vous ratés, qui peut croire encore que la solution devenue téléologique des deux Etats, la création d’une Palestine viable aux côtés d’Israël, constitue toujours un aboutissement raisonnable auquel on parviendra après avoir surmonté quelques contrariétés ? En vingt ans, la réalité du terrain n’a cessé de prendre le pas sur la rationalité d’un partage évoqué depuis 1947, auquel les Palestiniens se sont résignés sur le tard. La colonisation israélienne de la Cisjordanie a produit un enchevêtrement qui rend progressivement impossible une division territoriale.
L’absence de véritable alternative (un Etat unique constituerait la négation brutale de deux nationalismes), pas plus que les mises en garde sur les effets potentiellement destructeurs du statu quo ne semblent avoir de prise. Cette stagnation politique s’est accompagnée ces dernières années de la sujétion d’une partie du camp palestinien, contre les islamistes du Hamas, à des parrains occidentaux, américains et européens, qui assurent en retour son financement. Loin de produire un modèle vertueux qui détacherait les Palestiniens d’un discours islamiste fantasmatique lorsqu’il s’agit d’Israël, cette relation de dépendance a abouti à l’implosion du courant historique du nationalisme palestinien.
Dans ces circonstances, on voit mal comment la diplomatie précautionneuse et modeste de la navette relancée par M. Kerry pourrait produire le moindre résultat face à deux blocs de défiance et à une situation volatile et hautement inflammable. Le renoncement à la formule des deux Etats a beau rester un tabou international, c’est pourtant une autre réalité qui se structure et qui s’enracine, promesse d’aggiornamento douloureux.