Samia Bamya est directrice générale pour les Affaires européennes au Ministère des Affaires Etrangères. Elle milite depuis 30 ans dans le Mouvement national palestinien et dans le mouvement des femmes. Fille de réfugiés de 1948, elle a vécu toutes les étapes de l’exode et de la Résistance palestinienne aux côtés de Yasser Arafat, dans sa lutte pour ses droits nationaux. Elle est rentrée en Palestine occupée en 1996 avec l’Autorité nationale palestinienne.
Monique ETIENNE : Quelle analyse faites-vous des élections en Palestine ?
Samia BAMYA : Les Palestiniens ont sanctionné la mauvaise gestion de l’Autorité nationale palestinienne et l’impasse politique. Pendant la campagne électorale, on parlait de tout sauf de l’occupation. Tout le monde était mobilisé par la réforme, la corruption du Fatha. On évitait de se poser une des questions majeures : que veut dire une Autorité sous occupation et quelle marge possède-t-elle pour fournir à la population, un redressement économique, de l’emploi, alors que la colonisation se renforce avec le mur, l’expansion des colonies, l’annexion maintenant de la vallée du Jourdain ? Hamas va en faire bientôt la dure expérience.
Il y a un an, en élisant Mahmoud Abbas, le peuple a voté pour une plateforme politique qui proposait le retour aux négociations, l’arrêt de la violence et un programme de réformes intérieures. Sharon n’a même pas respecté l’accord minimal de Charm El Cheick. Il a négligé Mahmoud Abbas et l’occupation s’est renforcée. Les Palestiniens ont voulu, par leur bulletin de vote, dire à l’Autorité, aux Israéliens, à la Communauté internationale : « C’est assez ! Pendant 10 ans, on nous a baladés ; on a reconnu Israël, on a fait des accords, et finalement nous n’avons rien obtenu. Alors essayons autre chose ! »
Hamas ne doit pas se leurrer. Les Palestiniens ne sont pas devenus des supporters de l’idéologie du Hamas. Malheureusement, les forces démocratiques n’ont pas su s’unir et former une troisième voie.
Rappelons que le Fatha, déjà du temps de Yasser Arafat, avait entamé des discussions avec le Hamas pour qu’il s’intègre dans le système politique et devienne une force positive dans le contexte palestinien et dans la recherche de la fin de l’occupation. Abou Mazzen a tenu à ce que les élections se tiennent à la date prévue malgré les pressions du Fatha qui pensait que c’était risqué et qu’il devait les ajourner.
Tout le monde souhaitait une diversité politique au Parlement, avec plus de représentation des forces démocratiques et du Hamas, mais personne n’avait prévu l’ampleur du succès du Hamas, y compris Hamas qui voulait former une large opposition et peser dans le débat et les décisions politiques. Mais de là à se retrouver la force dirigeante, presque unique avec 74 sièges sur 132 ! Ils sont obligés de former un gouvernement qui aura des comptes à rendre aux Palestiniens et à la Communauté internationale et même aux Israéliens.
ME : Ne risque-t-on pas d’aller vers une dualité des pouvoirs et une crise institutionnelle ?
SB : Quand les pressions internationales ont voulu mettre à l’écart Arafat, on nous a forcés à changer notre système de représentation politique et à remanier notre loi fondamentale pour que certaines fonctions soient dévolues au Premier ministre. Maintenant, nous avons un système présidentiel et parlementaire dont les Palestiniens sont fiers de dire qu’il est proche du modèle français. Le Président a l’autorité en ce qui concerne la politique étrangère et certaines forces de sécurité. Mahmoud Abbas a prononcé un discours devant le nouveau Conseil Législatif rappelant les Droits fondamentaux de la Constitution : l’égalité des droits pour tous les citoyens, l’égalité entre les femmes et les hommes, le respect des différentes religions. Quand il a remis au Premier ministre, Ismail Hanyeh, les lettres de créance pour qu’il forme son gouvernement, il a encore insisté sur les engagements qui ont été pris dans le cadre des accords avec Israël et la communauté internationale et sur la résistance non-violente. Il pourrait y avoir une crise constitutionnelle dans le cas où la plateforme du gouvernement Hamas rentrerait en contradiction avec celle du Président. Rien dans notre Constitution ne prévoit ce genre de conflits.
ME : Les Palestiniens semblent souhaiter un gouvernement d’union nationale. Qu’en pensez-vous ?
SB : Personnellement, je pense que le Fatha ferait une erreur. On serait un peu comme le Parti travailliste qui s’est suicidé en rejoignant Sharon sur la plateforme de Sharon.
Si le Hamas ne parvient pas à présenter une plateforme qui trouve des convergences avec la Charte de l’OLP et le programme du Fatha et des autres formations politiques, il ne peut pas y avoir un gouvernement d’unité nationale. Les courants politiques qui font partie de l’OLP ont accepté la Charte d’Indépendance de 1988 qui reconnaît la résolution 242 et Israël. Le seul mouvement politique qui ne reconnaît pas Israël et qui ne fait pas partie de l’OLP, c’est le Hamas.
ME : Est-ce que le Hamas peut évoluer vers une reconnaissance de la Charte de 1988 et d’Israël ? Quels effets peuvent avoir sur le Hamas les pressions exercées par la Communauté internationale ?
SB : La Communauté internationale a fait vraiment un faux-pas et envoyé un message qui révolte tout le monde. On nous a demandé de faire des élections démocratiques. Nous n’avons pas triché avec les résultats. C’est le choix du peuple palestinien. On exige du Hamas dès le premier jour, de reconnaître Israël et les accords d’Oslo. Mais dîtes-moi, qui a demandé à Israël de respecter les accords qu’il a signés ? Les Palestiniens entendent seulement que le Hamas doit faire ceci ou cela, sinon on nous punit en nous coupant les fonds. Cela produit l’effet inverse chez les gens qui disent : « Pourquoi Hamas reconnaîtrait-il l’Etat d’Israël ? Vous l’avez reconnu et qu’est-ce que vous avez obtenu ? »
Les Palestiniens ne souhaitent pas que Hamas répète ce que l’OLP et le Fatha ont fait. Il ne faut pas oublier que le Hamas ce n’est pas les Talibans. Il est proche des Frères musulmans. C’est un parti qui est très pragmatique, assez ouvert. S’il veut être accepté intérieurement et dans le monde, il sait qu’il devra faire des pas en avant.
Je pense que les Américains vont prendre le temps de voir comment, dans cette région où les forces religieuses sont en train de monter, on peut intégrer les forces politiques qui se réclament de la religion au lieu de les mettre au ban de la communauté internationale. La politique américaine est en train de consolider la différenciation ethnique ou religieuse aux dépens du projet de citoyenneté que représentaient les forces démocratiques et nationales. D’ailleurs, moi qui suis, au ministère, les dossiers européens et américains, nous avions le sentiment que les Américains avaient entrepris avec le Hamas, comme ils l’avaient fait auparavant avec le Fatha, des pourparlers officieux.
ME : Quel bilan faîtes-vous de l’action de l’Europe ?
SB : Je suis très déçue. Est-ce que nous étions idéalistes ou bien est-ce l’Europe qui a changé ? Pour nous, elle incarnait d’autres valeurs que celles de Washington, elle était la seule à pouvoir faire contrepoids. Elle ne l’a pas fait. Cette année, à la Conférence Euromed, après 10 ans de Barcelone, l’Union européenne ne pouvait pas faire de déclaration politique sur ses positions parce que les Israéliens ne l’accepteraient pas et que ça gênerait Sharon dans sa campagne électorale. Je n’ai pas pu m’empêcher de dire : « Vous savez M.Abbas aussi, a des élections. » D’un côté de la balance, il y a les six pays arabes, de l’autre, Israël.
On parle de partenariat. Quelles en sont les bases, et finalement quels en sont les avantages ? Où sont passées les valeurs de l’Europe : les Droits de l’Homme, le Droit international ? Nous lui demandons seulement de défendre ses principes et de les faire appliquer par Israël ? L’Europe, qui a avec nous des accords de voisinage, qui est pour la solution de deux Etats et qui crie que cette solution est en danger, ne fait rien sur le terrain. Comment voulez-vous que les Palestiniens reçoivent leur message par rapport au Hamas ? On nous accule de plus en plus.
Pendant que nous nous occupons des réformes, de démocratie, la possibilité d’un Etat palestinien disparaît chaque jour un peu plus. La question que je me pose, c’est à quoi sert toute cette remise en question, cette inquiétude si finalement, le but - un Etat souverain et indépendant- n’est plus réalisable ?
ME : Au début de la deuxième Intifada, je me souviens que vous vous interrogiez sur l’opportunité que l’Autorité palestinienne démissionne ou pas. Avec le recul, pensez-vous qu’il aurait fallu le faire ?
SB : J’ai pensé que comme les Palestiniens n’avaient jamais eu leurs propres institutions, il fallait garder ces institutions et notre propre gouvernement qui étaient une ébauche de notre Etat. Aujourd’hui, je me demande parfois s’il ne serait pas beaucoup plus simple de redevenir un peuple sous occupation directe. On demande à l’Autorité de fonctionner comme un gouvernement, de répondre aux besoins économiques, de rétablir l’ordre, de faire des réformes, alors qu’elle est sous occupation. Dans quelle mesure n’entretient-elle pas une confusion chez les Palestiniens et ne sert-elle pas l’occupation ? Israël peut se permettre de ne pas payer l’argent des taxes, nos caisses sont vides parce qu’on a décidé de ne plus nous donner d’argent ; mais il faut fonctionner ! On a des devoirs sans avoir des droits. Alors oui, peut-être aurait-il fallu démissionner pour placer Israël et la communauté internationale devant ses responsabilités ? Cette période d’intérim dure depuis 10 ans. L’unilatéralisme d’Israël nous promet encore la prolongation de cet intérim pour 20 ans, avec l’établissement de ces frontières provisoires. 60% de la population est sous le seuil de pauvreté et c’est à l’Autorité qu’on demande une solution. Et la communauté internationale nous maintient sous perfusion sans rien exiger d’Israël. On nous demande de tenir les Palestiniens pour qu’ils ne posent pas trop de problèmes à Israël.
ME : Le Hamas risque de se retrouver dans la même impasse ?
SB : C’est pourquoi j’ai trouvé une certaine hypocrisie de la part du FPLP, des forces de gauche et du Hamas d’accepter de participer à ces élections en refusant Oslo. L’Autorité nationale palestinienne, le Conseil Législatif, toutes nos institutions sont le fruit de l’Accord d’Oslo. Donc arrêtons de leurrer les gens. Le jour où ces partis ont accepté de participer à ces élections, ils ont accepté Oslo.
ME : Comment l’opposition va-t-elle se consolider ?
SB : La société palestinienne va se réorganiser. Il y a des forces séculières laïques et deux projets de société. Les deux parlent de mettre fin à l’occupation, de la libération du peuple palestinien. Mais l’un aboutit à une société imprégnée par l’Islam. L’autre, qui était porté jusqu’à présent par le mouvement national, avec toute sa diversité, parlait d’une Palestine démocratique et même laïque. Le mouvement national a perdu une bataille, mais il apprendra à se réorganiser.
ME : Comment analysez-vous l’échec du Fatha ?
SB : Le Fatha a une très grande responsabilité parce qu’il n’a pas su accomplir sa mutation de parti révolutionnaire en parti de gouvernement. Il n’a pas su garder son espace et son identité. Il était totalement amalgamé à l’Autorité palestinienne. La force du Fatha, c’était son ancrage populaire. Le Hamas aujourd’hui me rappelle le Fatha lorsqu’il était proche des gens, ouvrait des dispensaires, des crèches, des garderies, impulsait des Unions. Le Hamas a pris le relais, y compris auprès des femmes qui ont voté en majorité pour lui.
Maintenant il y a une logique que je refuse chez les gens : tout le monde dit pourquoi le Fatha ne fait-il- pas une coalition avec le Hamas ? S’il ne le fait pas le Hamas ne pourra pas former un gouvernement. C’est une contradiction : d’un côté, on punit le Fatha, on le sort du gouvernement ; de l’autre on lui fait porter la responsabilité de ne plus en faire partie. Le Fatha a le droit maintenant de défendre son programme et son président. Si le Fatha veut continuer à être un parti vivant, il est temps qu’il se réorganise. Tout dépend maintenant de la façon dont celui-ci va résoudre ses contradictions internes. Ce n’est ni une question d’affrontements de générations, ni une opposition entre ceux de l’intérieur et ceux qui sont arrivés de l’extérieur. Finalement c’est un problème de programme, de plateforme politique et d’organisation. Il faut dire que cela fait 15 ans qu’il n’y a pas eu d’élections de ses représentants. Actuellement,n’importe quel groupuscule peut se réclamer de la bannière du Fatha, et faire ce qu’il veut. Seul un Congrès peut mettre un terme à ces agissements en affirmant son appartenance au mouvement national du peuple palestinien et en définissant une ligne politique claire et des critères stricts d’adhésion. Tout le monde ne peut pas être Fatha. Il doit procéder à une révision complète et redonner une valeur au fait d’être membre du parti.
L’autre aspect important, c’est que Fatha est responsable de la corruption. Les corrompus, membres du Fatha, auraient du être jugés depuis longtemps. Il y a des dossiers qui ont été instruits par la cour suprême ; on attend de voir quelles seront les condamnations. Si Fatha veut reconquérir sa crédibilité, il doit prendre des mesures très strictes contre ceux qui ont nui. Il s’agit d’une dizaine de personnes qu’on aurait pu mettre hors-jeu depuis longtemps et qui ont éclaboussé tout le Fatha. Mais plus que la corruption caractérisée, le plus insidieux pour les dirigeants a été de s’asseoir confortablement dans leur siège et de croire que c’était pour l’éternité. Ces élections sont venues leur dire que non. Le peuple vous a suivi parce que jusque-là sur le plan de la résistance et des valeurs, vous avez représenté quelque chose. Maintenant, vous ne le représentez plus. Ou il se produit un réveil, ou bien il y aura un problème sérieux. La difficulté c’est le risque de polarisation entre le Hamas et le Fatha parce que la troisième voie n’existe pas.
ME : Il n’y a pas eu que la défaite du Fatah, la gauche également a échoué ?
SB : C’est clair. Quand toutes ces organisations n’obtiennent que 7 élus, elles doivent se réveiller, elles aussi. Il y a également toute la société civile qui se remet maintenant en question. Toutes ces ONG qui ont parlé des droits de l’homme, des droits des femmes, de l’égalité... Pourquoi n’ont-t-elles pas pu convaincre les femmes ? 44% des femmes ont voté, une grande majorité pour le Hamas. Je crois que les mouvements de femmes ont travaillé beaucoup plus verticalement qu’horizontalement. Elles se battaient pour les femmes mais pas avec elles. Ces ONG ont été financées par les pays donateurs, pour des projets bien précis. Et finalement au lieu de continuer le travail volontaire, le travail de syndicat, tout le monde est devenu gestionnaire de projets. Il fallait savoir étudier un dossier, le présenter aux bailleurs de fonds... L’objectif premier devenait de maintenir l’ONG et de financer les postes de travail. Elles se sont transformées en petites entreprises.
On a défiguré le travail associatif, ce que le Hamas n’a pas fait. Il a réussi à mobiliser les femmes par un travail volontaire et populaire. C’est un message que la société civile et les partis démocratiques doivent entendre. Notre peuple est un peuple politisé qui paie chaque jour son existence sur sa terre et sa résistance à l’occupant. Ce n’est pas un peuple au nom duquel on peut parler. Si on ne permet pas aux gens d’êtres acteurs, ils nous sanctionnent. Ce sont eux qui décident et qui doivent être le centre. J’ai peur que les pays donateurs, pour faire passer de l’argent en contournant le nouveau gouvernement Hamas, renforcent encore ce travers des ONG. Il faut vraiment redéfinir notre stratégie, voir dans quelles conditions accepter les dons et se donner les moyens de ne plus être à leur merci.
ME : Est-ce qu’on peut dire que si le Fatha, la gauche et la société civile se ressaisissent et retrouvent leur ancrage populaire, ce choc peut se révéler salutaire ?
SB : Je le crois. Finalement le Hamas n’a pas un projet clair. Le nouveau Président du Conseil Législatif a déclaré qu’il n’allait pas imposer leurs coutumes et leurs convictions aux gens. Je crois que socialement, le Hamas ne s’attaquera pas aux libertés parce qu’il a trop de problèmes. Mais il faut se préparer parce que c’est un parti qui défend une idéologie et qui, comme tout parti qui se respecte, va essayer de faire passer cette idéologie. Pour ceux qui rêvent d’une Palestine démocratique, à condition qu’on puisse avoir un Etat sur les territoires de 67, il faut qu’ils se réorganisent maintenant pour défendre leur projet. Nous, les femmes, nous sommes battues lors des débats sur la constitution pour qu’il y ait séparation de l’Etat et de la religion. Nous avons obtenu que la Charia apparaisse comme une des bases et non pas la base. Ce sont des combats qui ont duré des années grâce aux mouvements des femmes et des forces démocratiques. Il ne faut pas lâcher maintenant.
Pour nous, le vrai choc de ces élections a été de se demander ce que, après 40 ans de combats, nous avions réalisé du point de vue politique. L’Etat n’est pas là ; nous ne sommes pas parvenus à mettre fin à l’occupation ; l’occupation israélienne a réussi à nous diviser. Socialement il y a une régression. A Gaza, les femmes ont senti bien avant nous, ce que cela voulait dire. Il suffit de marcher dans la rue et de se sentir seule à avoir les cheveux découverts.
Je me rappelle le début du mouvement contemporain. Nous ne nous battions pas à la place des femmes. C’étaient elles qui agissaient et qui définissaient leurs propres demandes. Depuis cinq ans, on n’a jamais vu une grande manifestation des femmes rurales. Le Hamas a gagné en mobilisant ces femmes. A moins de redonner aux femmes la possibilité de s’approprier leurs demandes, c’est une bataille perdue. C’est la seule manière de contrecarrer le projet social du Hamas et de se battre pour ce que nous concevons comme des nécessités pour les femmes. Mais peut-être que pour les femmes rurales, nous ne représentons plus ce qu’elles veulent. La fragmentation des territoires occupés et l’incommunication isolent les villes des campagnes, les villes des autres villes. Nous n’avons plus les mêmes façons de penser, ni les mêmes problèmes.
ME : En tant que femme et militante, qui avez milité pour un idéal, avez-vous peur de l’avenir ?
SB : Quand je parle de 40 ans de combat national, je parle de 30 ans de ma vie de militante politique. En regardant le nouveau Conseil législatif, je me suis surprise à pleurer. Vous ne pouvez pas savoir ce que ça veut dire pour moi que cette Palestine dont on a rêvé, pour laquelle nous nous sommes battus, n’existe plus comme projet politique.
Je suis issue de la grande bourgeoisie palestinienne. En m’engageant dans ce combat, j’ai cherché à me débarrasser de mon éducation, à renier ma classe pour suivre cette marche vers la libération nationale. Après Beyrouth, j’ai pensé arrêter. Puis il y a eu l’Intifada. Je me suis réinvestie. Puis il y a eu Oslo. Je ne pouvais pas lâcher. C’était la reconstruction. Et je me retrouve à 57 ans avec tout à reconstruire de nouveau. Je ne peux me contenter de redevenir une petite-bourgeoise parce que je ne peux plus me leurrer et continuer comme si rien ne s’était passé. Cela fait 10 ans que je suis rentrée en Cisjordanie. Je suis Palestinienne mais pas du pays. J’appartiens à un projet politique plus qu’à la géographie.
Je n’ai pas le choix. Ma vie personnelle est tellement fondue dans le projet politique que je ne peux pas accepter d’avoir échoué et de perdre espoir. Il faut se remettre. On ne pourra pas déraciner notre culture historique qui est tolérante et riche de la diversité religieuse et sociale du peuple palestinien. Nous ne sommes pas une société refermée sur elle-même. Objectivement, il n’y a aucune famille palestinienne qui n’a pas un proche à l’extérieur : en Amérique, au Canada, dans les pays arabes... Nous recevons l’impact du monde même si l’occupation nous referme sur nous-mêmes. De ce point de vue, je ne suis pas pessimiste. Je ne crois pas que la société va se replier sur le fondamentalisme. Mais ce n’est pas une tâche facile surtout que l’occupant ne nous laisse pas respirer.