Laurent Mérer est amiral en 2ème section et ancien préfet maritime de l’Atlantique aujourd’hui installé à Brest. Avec son épouse Corinne, il vient de passer 3 mois en Palestine, dans le cadre d’un programme international du Conseil Œcuménique des Eglises répondant à une demande des Eglises chrétiennes de Palestine ; lui à Hébron, elle à Jérusalem.
Le 24 avril, son témoignage d’une page, paru dans Ouest France sous le titre « L’ex-militaire dénonce l’horreur en Palestine », avait attiré notre attention. Nous avons souhaité le rencontrer à son retour.
AFPS : Vous avez passé 3 mois là bas. Quelle y était précisément votre mission ?
J’étais à Hébron pour une mission de « présence protectrice » auprès des populations qui souffrent de l’occupation dans leur vie quotidienne : faciliter l’accès au travail (présence aux check-points), aux écoles situées à proximité des colonies, aux lieux de culte. Visites aux familles dont les enfants ont été tués ou blessés, ou sont emprisonnés, à celles dont les maisons ont fait l’objet de « démolitions punitives » ou ont été murées par les services israéliens.
Dans les collines du sud d’Hébron (SHH), présence auprès des bergers, des cultivateurs, et dans les villages soumis à des exactions de colons. Nous avons aussi un rôle d’observateur et nous consignons les « incidents » dont nous sommes témoins. Nous travaillons en relation étroite avec les organisations israéliennes et palestiniennes qui militent pour la paix.
AFPS : Votre témoignage est paru en avril, il a eu un certain impact sans doute d’abord parce qu’il n’est pas habituel qu’un militaire s’exprime sur une situation de guerre avec une telle volonté de paix affichée, ensuite parce que vous avez adopté un ton peu diplomate qui tranche avec les propos qu’on entend souvent et qui tendent à gommer la réalité sur place.
Il y a différentes façons de servir son pays, l’engagement militaire en est un. C’est un engagement au service de la paix dans un monde complexe. Dans ce métier on a l’habitude d’appeler les choses par leur nom : en Palestine j’ai dit tout simplement ce que j’avais vu. Le devoir de réserve implique de ne pas révéler des secrets risquant de nuire à son pays, ou de mettre en cause des personnes dans l’exercice de leurs fonctions. En Palestine j’ai vu et donc raconté ce que n’importe quel touriste curieux peut voir.
J’y suis allé pour y être utile. J’ai découvert des choses qui m’ont révolté.
AFPS : On vous sent aujourd’hui dans la volonté de témoigner de que vous avez vu et vécu. Il vous semble que cela n’est pas vraiment connu ?
Le témoignage fait partie de notre engagement. C’est une demande expresse de ceux qui nous ont appelés en Palestine : les chrétiens, malheureusement peu nombreux aujourd’hui dans ce pays, qui ont lancé cet appel au nom de tous les Palestiniens, quelles que soient leurs croyances.
Ce que nous avons vu est connu de nombreuses associations qui militent utilement pour la paix dans cette région et y font un travail remarquable, mais leur message n’est pas toujours relayé, ou bien il perd de sa force dans une actualité dense. Ce qui est important, c’est de multiplier les sources, et aussi de trouver la bonne opportunité, au bon moment pour délivrer l’information. A chacun, associations et individuels, d’agir selon ses capacités et son charisme.
Tous ces témoignages doivent servir à éclairer l’opinion publique, mais aussi nos dirigeants politiques quand ils ont des décisions à arrêter ou des initiatives politiques à lancer. En l’occurrence, il ne faut pas qu’ils soient dupes dans leurs relations politiques avec le gouvernement israélien : au-delà des discours et des déclarations, nous leur apportons la réalité que nous avons constatée sur le terrain. C’est pourquoi l’authenticité et la crédibilité du témoignage sont importantes.
AFPS : Vous avez entendu récemment les interventions de militaires israéliens qui mettent en cause la stratégie de leurs gouvernants, de ces politiques qui claquent la porte en laissant entendre qu’Israël vire au fascisme. Comment réagissez vous ?
De hauts responsables militaires israéliens sont effectivement intervenus récemment avec des mots très forts pour mettre en garde leur gouvernement contre des pratiques qu’ils qualifient d’inadmissibles et un état d’esprit qu’ils jugent dangereux pour leur pays. Les plus hauts responsables des services de sécurité l’avaient fait à l’automne dernier. Ces hommes et ces femmes font cela parce qu’ils sont des patriotes et qu’ils estiment que la politique actuelle du gouvernement n’apportera pas la paix aux Israéliens, encore moins aux Palestiniens.
AFPS : Ces derniers sont souvent présentés comme des terroristes, vous avez, vous, parlé de résistants ?
Dans tous les conflits liés à l’occupation, c’est toujours la même histoire : terroristes pour les uns, résistants pour les autres…
Nous avons connu cela dans notre pays !
AFPS : Vous savez que ceux qui en France sont aujourd’hui engagés pour les droits des Palestiniens sont particulièrement exposés. D’abord parce qu’on tend à assimiler la critique d’Israël à de l’antisémitisme et donc à une forme de racisme, ensuite au travers de jugements récents qui ont condamné des militants pour avoir appelé à boycotter les produits venant d’Israël. Comment réagissez-vous ?
La politique est un jeu complexe, et je tiens à rester dans mon rôle de témoin et d’observateur afin de conserver ma crédibilité. Mon but est que nos dirigeants prennent leurs décisions en étant bien informés, ce à quoi je m’attache, par des voix publiques, comme la vôtre, ou par d’autres moyens.
Quant aux accusations d’antisémitisme et de racisme, vous avez raison, j’en ai d’ailleurs eu mon lot ! C’est pour le gouvernement d’Israël un jeu facile dont il use et abuse sans retenue. Beaucoup tombent dans le piège au nom de je ne sais quel sentiment de culpabilité. Raison de plus pour être très attentif aux paroles que nous utilisons pour traiter de cette question sensible, sans pour autant avoir peur de dire la réalité de ce que nous avons vu, avec toute la vigueur des mots.
AFPS : Vous continuez à témoigner depuis votre retour. Vous pouvez nous en dire plus ?
J’ai fait des articles de presse, répondu à des émissions de radio ou contribué à des reportages (Europe 1, RMC, RFI, Franc Bleu…) ; j’ai aussi guidé plusieurs fois des journalistes à Hébron. Nous sommes en outre sollicités par plusieurs clubs ou associations pour porter notre témoignage. Nous ferons une conférence publique à Brest le 18 juin (20h30 Salle Saint Louis, 53 rue Jean Macé).
AFPS : Je vous remercie. Vous pourrez compter sur le soutien de l’AFPS lors de vos témoignages. Cet article contribuera certainement à vous faire connaître davantage. Nous l’espérons comme nous espérons que vous rejoindrez durablement notre combat et notre association.