Suite à une opération militaire menée de main de maître par
l’organisation libanaise de résistance nationale Hezbollah, et la
capture de deux prisonniers de guerre, l’armée israélienne a
bombardé la capitale libanaise et de nombreux autres sites au sud du
Liban.
A l’heure où sont écrites ces lignes, le gouvernement
israélien est en train de discuter de l’opportunité d’envahir le
territoire libanais pour une opération de longue durée.
Certes, les
souvenirs du fiasco sanglant qu’avait signifiée l’invasion du
Liban en 1982-1985 sont encore vivants dans la mémoire des généraux
israéliens qui, à l’époque, n’étaient encore que des officiers
subalternes, mais l’humiliation ressentie à la suite de
l’opération du Hezbollah est si forte et la volonté de vengeance
à ce point ancrée dans leurs têtes obtuses, que l’éventualité
d’une telle invasion n’est pas à exclure.
Comme l’indiquait le Cheikh Nasrallah, dirigeant du Hezbollah, la
date de l’attaque de la patrouille israélienne n’avait pas été
programmée a l’avance, et c’est un concours de circonstances
favorables mais imprévues qui l’a provoqué.
Pourtant, il ne
faisait pas de doute que le Hezbollah ne pouvait rester longtemps les
mains croisées, alors que depuis des mois, l’armée israélienne
massacre la population de Gaza.
Le centre de gravité du conflit israélo-arabe va vraisemblablement
bouger dans les semaines a venir, de Gaza vers le Liban.
Mais ne nous
trompons pas : il s’agit d’une seule et même campagne, dont
l’initiative est 100% israélienne, dans le cadre de ce qu’ils
appellent eux-mêmes, à la suite de leur maître et seigneur de la
Maison Blanche, « une guerre permanente et préventive contre le
terrorisme ».
Il est donc important de remettre les choses à leur place, et les
événements dans leur ordre chronologique : ce n’est pas
l’opération militaire menée il y a trois semaines par un commando
palestinien et l’enlèvement du caporal Gilad Shalit qui ont poussé
le gouvernement israélien à lancer son offensive sanguinaire contre
les habitants de la Bande de Gaza ; ce sont les bombardements
quotidiens de l’artillerie israélienne et les dizaines de morts
palestiniens, dont une majorité de civils et de nombreux enfants, qui
ont pousse ces militants palestiniens à rompre la trêve déclarée
par les principales organisations palestiniennes et scrupuleusement
respectée par ces dernières depuis plus d’un an.
La libération du soldat Gilad Shalit est le dernier des soucis de ces
mêmes autorités israéliennes, et même le plus stupide des
ministres sait parfaitement que les attaques militaires mettent sa
vie en danger et risquent sans doute de provoquer son assassinat par
ses ravisseurs.
La seule chose qui importe aux généraux israéliens
et aux marionnettes qui les représentent au gouvernement, c’est de
« leur apprendre » ce que cela coûte de s’attaquer à Israël.
« Leur apprendre » est le concept le plus utilisé dans les
déclarations officielles des dirigeants civils et militaires, dans le
plus banal des langages coloniaux. Pour ce faire, tous les moyens
sont bons, et aucune retenue, convention internationale ou lois de la
guerre ne sont de mise.
La Suisse vient de le rappeler - l’opération en cours à Gaza est
faite de crimes de guerre et de violations systématiques et
généralisées de toutes les règles du droit international.
D’abord, parce qu’il s’agit d’une punition collective :
c’est la population de Gaza toute entière qui doit « apprendre »
à bien se conduire, même si celle-ci, n’a évidemment rien à voir
avec la capture d’un prisonnier de guerre israélien.
Ensuite parce
qu’il s’agit d’un véritable massacre, le nombre de victimes
civiles « collatérales » étant disproportionné avec le nombre de
victimes « ciblées ».
Aux côtés de la prise de position helvétique, le silence de
l’Union européenne est éloquent, et sert de contrepoint au soutien
déclaré de l’administration américaine à l’agression
israélienne.
Ce soutien participe de la stratégie du Clash des
Civilisations prônée par une partie de l’entourage de Georges W Bush : ce n’est pas le soldat otage qui doit être sauvé, ce
n’est pas non plus le commando responsable de son enlèvement qui
doit être puni ; ce n’est même pas le parti Hamas ou le
gouvernement qu’il dirige qui doivent être sanctionne, mais le
peuple palestinien lui-même, peuple voyou appartenant à une
civilisation dont le terrorisme est une des caractéristiques.
Ce matin, un ancien des renseignements israéliens expliquait
longuement à la radio que le problème israélo-arabe est avant tout
un problème culturel : alors que « pour eux » la vie humaine
n’avait pas de valeur intrinsèque, pour nous, chaque individu
compte.
En conséquence, aucun terrain d’entente ne pourra jamais
être trouvé entre membres de deux civilisations aux valeurs
antagoniques, et la guerre est donc permanente.
A entendre ce personnage, qui reflète une opinion largement partagée
par la classe politico-militaire israélienne, on ne comprend pas à
quoi sert de vouloir « leur apprendre » quoi que ce soit :
culturellement, les Arabes, et plus généralement la civilisation
musulmane, sont hermétiquement fermés au respect de la vie humaine, et
les innombrables victimes des bombardements à Gaza ou au Liban ne
changeront pas leur orientation.
Tant que les parrains américains d’Israël seront dans la
stratégie du choc des civilisations et de la guerre globale et
permanente, il ne faut pas s’attendre à un tournant de la politique
israélienne, et la « guerre » - qu’il vaudrait mieux appeler
pacification permanente - contre les Palestiniens, et plus
généralement contre les Arabes - va suivre son cours. Avec son lot
croissant de victimes, y compris israéliennes.
Ceci est à prendre en considération par le mouvement social
international et plus particulièrement par le mouvement de
solidarité : nous sommes tous confrontés non pas à un événement,
aussi tragique et sanglant soit-il, mais à une guerre de longue
durée.
Cette réalité exige des stratégies à long terme et du
souffle. Elle exige aussi d’agir dans une perspective globale. Face
à la guerre globale de recolonisation du monde, la reconstruction
d’un fort mouvement anti-guerre qui englobe la Palestine comme un de
ses objectifs les plus emblématiques n’est plus un luxe qu’on
peut repousser à plus tard, mais une urgence pour tous les habitants
de notre planète.
Vers un nouveau consensus palestinien ?
Dans la mesure où on peut cerner des objectifs politiques dans le
déchaînement de violence mise en œuvre dans la Bande de Gaza, la
mise en échec de l’accord Hamas-Fatah est l’un d’entre eux.
Pendant plusieurs mois, le Premier ministre palestinien Ismail
Haniyeh du Hamas et Mahmud Abbas, Président de l’Autorité
Palestinienne et dirigeant du Fatah ont œuvré à la rédaction
d’un document programmatique commun, basé sur ce que l’on
appelle « le document des prisonniers ».
Ce document, rédigé par
les dirigeants des deux grandes formations politiques palestiniennes
détenus dans les prisons israéliennes, définit le cadre d’un
nouveau consensus politique palestinien basé sur la lutte pour un
état palestinien, libre et indépendant, dans les territoires occupés
en juin 1967, ce qui implicitement signifie la reconnaissance de
l’Etat d’Israël dans ses frontières du 4 juin 1967.
Pour les autorités de Tel Aviv, un tel document ne devait en aucun
cas voir le jour, car il enlevait le prétexte de la non-
reconnaissance du gouvernement palestinien et de la guerre permanente
contre ceux qui ont osé élire une majorité Hamas au parlement
palestinien.
L’attaque spectaculaire contre Gaza a mis fin aux négociations
entre Abas et Haniyeh, alors que les journaux annonçaient un
accord... pour le lendemain. Cette même attaque pourrait cependant
permettre un autre consensus inter palestinien : celui d’une
résistance unie contre la guerre israélienne, sans illusion sur une
éventuelle volonté de négocier de la part de Tel Aviv, soi-disant
en échange de nouveaux compromis palestiniens.
C’est en tout cas vers un tel nouveau consensus inter palestinien
qu’œuvrent les organisations de la gauche palestinienne qui, depuis
un certain temps déjà, servent d’intermédiaire entre le
gouvernement et la présidence, et surtout entre les partis dont ils
sont issus.
Résistance
Quand on compare les événements de ces dernières semaines , les attaques sauvages contre Gaza, d’abord, puis contre le Liban, à
des événements similaires des décennies précédentes - la
répression brutale de la première Intifada (1988-1990) et
l’invasion du Liban (1982), on remarque immédiatement trois
différences majeures :
– l’absence totale de retenue de la part des
forces armées israéliennes comparée ;
– l’absence de pressions
internationales, voire de l’éventualité d’une telle pression, et
– l’absence d’un mouvement de masse en Israël qui remette en
question la brutalité des opérations militaires.
Ces trois éléments sont en fait liés les uns aux autres : la «
retenue » (certes, toute relative) des forces armées israéliennes
résultait de l’existence de règles internationales avec lesquelles
Israël se devait de ne pas trop se démarquer, à cause du double
risque de pressions internationales et d’opposition internes.
Quant
au mouvement anti-guerre de masse il était, entre autre, le résultat
d’une pression internationale ou, du moins, du sentiment d’être
en rupture avec les règles de la guerre et les intérêts de la
diplomatie internationale.
Avec la disparition de l’Union Soviétique et l’émergence des
Etats Unis comme puissance internationale unique, nous sommes entrés
dans une phase de dérégulation du droit international et des modes
de comportement des Etats, telles que définis à la suite de la
victoire sur le fascisme (Conventions de Genève, Chartre des Nations
Unies, résolutions diverses de l’ONU).
A la place se sont imposés
la loi de la jungle et le droit du plus fort, l’unilatéralisme, et,
sous prétexte de guerre permanente et préventive contre le
terrorisme, le terrorisme d’état sans entrave.
Ces nouvelles valeurs ont été très rapidement intériorisées par
l’immense majorité de la société israélienne qui se sent aux
premières lignes de la guerre de civilisation contre le terrorisme,
lui-même identifiée au monde musulman. C’est ce qui explique
pourquoi le mouvement pacifiste de masse a disparu.
La Paix Maintenant, qui avait su mobiliser des centaines de milliers
d’Israéliennes et d’Israéliens contre la répression dans les
territoires occupés et contre la guerre au Liban, n’existe plus.
Depuis 2000, pas une seule manifestation de masse, si ce n’est pour
soutenir les « initiatives de paix »... d’Ariel Sharon, et
aujourd’hui, alors que Gaza est massacrée et le Liban martyrisé,
pas une voix ne s’élève dans la gauche sioniste, pour dénoncer
ces crimes et exiger d’y mettre fin immédiatement.
Seules les diverses organisations du mouvement anti-colonialiste
protestent, avec détermination et courage, et font entendre, à
contre-courant la voix du droit et du respect de la vie.
La Coalition des Femmes pour une Paix Juste, les diverses
organisations de réservistes et d’appelés qui refusent de servir
l’occupation, les Anarchistes contre le Mur, le mouvement
Ta’ayush, le Centre d’Information Alternative, les Rabbins pour
les Droits d l’Homme ont, ces dernières semaines, redoublé leurs
efforts et leur mobilisation : rassemblements, manifestations,
fermeture de rues centrales à Tel Aviv, campagne de graffitis etc.
Aussi honorable soit-elle, cette mobilisation des forces dites
radicales n’est en rien comparable à celles de 1982 ou de 1988, non
pas par leur nombre (elles sont en fait plus grandes que celles des
décennies précédentes) mais parce que leur efficacité provenait
précisément de la capacité d’être un catalyseur pour les forces
plus modérées et beaucoup plus massives du mouvement pacifiste
israélien.
Aujourd’hui, malheureusement, pour utiliser une image du
journaliste militant Uri Avneri, la grande roue que représentait la
Paix Maintenant n’existe pas et notre petite roue, qui avait pour
fonction de faire bouger la plus grande, tourne à vide.
S’il faut saluer le courage et la détermination des quelques
milliers de militantes et de militants qui dénoncent aujourd’hui
l’agression israélienne, on ne peut pas ne pas reconnaître que, du
point de vue du front interne, le gouvernement Olmert-Peretz-Peres a
les mains libres pour poursuivre ses méfaits.