Quelles sont les craintes de B’tselem face à ce gouvernement ?
Dror Sadot : Assurément Israël n’a jamais eu un gouvernement aussi à droite, avec autant de racistes. Cela dit, ne lui donnons pas un caractère plus particulier que ceux qui ont dirigé le pays par le passé. Si nous parlons de violations des droits humains, d’occupation, d’apartheid, tout cela a déjà été mis en place et pérennisé.
Dans le même temps, ne normalisons pas non plus l’arrivée de colons racistes à des postes clés et à des ministères importants. Depuis son intronisation, on constate l’utilisation par le gouvernement d’un vocabulaire bien plus extrême et menaçant à l’encontre de ses opposants. Nous sentons que c’est le début d’une situation qui ne devrait qu’empirer et qui nous met en alerte.
Concernant le sort des Palestiniens, pensez-vous qu’une nouvelle Nakba est à craindre ?
D. S. : Je n’utiliserais pas précisément ce terme, ni je ne tenterais de prévoir ce qui se passera dans les prochains mois ou les prochaines années. Regardons froidement ce que nous voyons déjà dans les Territoires occupés : démolitions de maisons, meurtres de Palestiniens, dépossession de terres… Je ne crois pas qu’il faille s’attendre à des actions plus globales de la part du gouvernement israélien, puisque sur le terrain un processus est déjà en cours avec l’expulsion par la force de Palestiniens hors de leurs terres.
La politique israélienne dans les Territoires occupés maintient des milliers de Palestiniens dans des conditions invivables pour les contraindre à partir comme à Masafer Yatta, Khan al-Ahmar et dans de nombreux endroits dans la Vallée du Jourdain.
Ce processus peut être plus lent qu’une expulsion organisée et rapide, et nous ne verrons sûrement pas de populations poussées dans des camions ou des bus pour être expulsées de force. Israël est parvenu à établir des politiques bien plus sophistiquées, et légitimées par sa justice, qu’il faut regarder dans leur globalité, sans séparer les situations les unes des autres. Comprenons que chaque acte perpétré, de la démolition de maison à la mise en place d’un check-point à l’entrée d’un village, constitue les différents éléments d’un même projet.
Pensez-vous que les manifestations contre le projet de réforme de la justice du gouvernement Netanyahou puissent être porteuses d’espoir et d’alternatives ?
D. S. : S’il est vrai que dans toutes les grandes mobilisations citoyennes il y a l’ouverture d’un champ des possibles, la convergence de personnes originellement opposées ou éloignées, les manifestations en Israël ne me semblent pas prendre cette direction. Du moins, nous en sommes encore très loin.
Les principales mobilisations qui ont lieu ces dernières années ne prennent pas en compte les questions d’occupation ou d’apartheid. Dans les rassemblements actuels, exceptés des petits groupes, personne ne parle de ces questions et de la vie des Palestiniens. C’est d’ailleurs ce qui explique l’absence de ces derniers dans les cortèges.
Il est difficile de considérer que ces manifestations constituent un point d’appui pour les batailles que nous menons à B’tselem. Nous ne pouvons d’ailleurs pas non plus les considérer comme un nouveau départ pour une alternative de gauche car il ne s’agit pas d’une mobilisation de gauche, c’est bien plus hétérogène.
B’tselem a été l’une des premières ONG israélienne à appeler à l’utilisation du terme « apartheid » pour caractériser la situation des Palestiniens. Que faut-il faire pour démocratiser encore davantage ce vocabulaire ?
D. S. : La priorité est de faire connaitre les rapports des ONG. Il me semble important, dans le même temps, de soutenir ces organisations car elles peuvent se retrouver au cœur de critiques ou de pressions.
Surtout, cessons de considérer qu’il s’agit simplement de « vocabulaire » : c’est un nouveau paradigme à adopter. Mettons les politiciens et les citoyens face aux faits énoncés dans nos rapports, et mobilisons le terme dès lors qu’il est question de discussion autour de cette région.
Sur le plan de la diplomatie internationale, il ne faut pas séparer cette bataille du fait qu’Israël n’a jamais été contraint de rendre des comptes pour ses actes. Faut-il attendre que les diplomaties parlent d’apartheid dès lors qu’elles ne sont pas prêtes à tenir les dirigeants israéliens responsables de ce qu’ils font subir aux Palestiniens ?
Depuis 2009, Netanyahou s’est attaqué aux libertés des ONG de défense des droits des Palestiniens. Avez-vous peur que la situation empire ?
D. S. : Nous avons été la cible de campagnes de diabolisation virulentes pour convaincre le public juif israélien de ne pas nous écouter, de ne pas participer à nos évènements. Nous sommes présentés comme des « traîtres » financés par l’étranger. Je n’ai aucun doute que ce gouvernement fera tout ce qui est en son pouvoir pour nous faire taire ou réduire encore davantage nos marges de manœuvre.
Toutefois, et comme je l’ai rappelé précédemment, ne nous focalisons pas sur ce qu’ils peuvent nous faire en tant qu’ONG, mais sur ce que ce gouvernement entend faire aux Palestiniens qui évidemment subiront les pires conséquences des politiques mises en place.
Propos recueillis par Thomas Vescovi