Photo : La mère de Mohammed al-Tamimi tient la dépouille de son fils de deux ans et demie, tué quelques jours plus tôt par un soldat israélien qui lui a tiré une balle dans la tête, Nabi Saleh, 6 juin 2023 - Crédit : Oren Ziv (Active Stills)
Un soldat israélien qui a tiré mortellement sur un jeune enfant palestinien le mois dernier ne fera l’objet d’aucune mesure disciplinaire. Les soldats israéliens impliqués dans la mort d’un Américain d’origine palestinienne âgé de 80 ans l’année dernière ne feront l’objet d’aucune poursuite pénale.
Les conclusions de ces enquêtes ne sont pas surprenantes, affirme les associations de défense des droits humains, puisque l’impunité est la norme dans le dispositif judiciaire militaire israélien.
Selon les informations recueillies par Yesh Din - organisation israélienne de défense des droits humains -, entre 2017 et 2021, la probabilité qu’une plainte débouche sur une inculpation d’un soldat ayant blessé un Palestinien est inférieure à 1 % et seuls 4,4 % des dossiers ouverts ont abouti à une condamnation.
« Le système judiciaire militaire a prouvé, à maintes reprises, que son rôle n’est pas de mettre les soldats face à leur responsabilité dans leurs crimes contre les Palestiniens, mais plutôt d’être la façade derrière laquelle ces crimes sont cachés » a déclaré à The New Arab Dan Owen, chercheur à Yesh Din
Un système biaisé
Les organisations de défense des droits humains constatent depuis longtemps que le système juridique militaire israélien sert à blanchir les soldats et leur permet d’échapper à leurs responsabilités.
Selon un rapport de 2016 de l’organisation israélienne de défense des droits humains B’Tselem, le système judiciaire de l’armée israélienne, dans son essence, ne fonctionne pas comme un véritable dispositif de justice.
Il n’enquête que sur les incidents dans lesquels des soldats sont soupçonnés d’avoir agi contre des ordres donnés, au lieu d’enquêter sur les ordres eux-mêmes, et ne vise donc que les officiers de rang inférieur.
« Ces enquêtes ne se penchent pas sur la responsabilité des échelons les plus élevés de la hiérarchie militaire, au niveau des donneurs d’ordre qui font un usage illégal de la force et approuvent la construction de colonies. Ce sont des crimes de guerre. » a déclaré à The New Arab Omar Shakir, le directeur du département Israël / Palestine de l’organisation Human Rights Watch.
« Il n’y a pas d’enquête sérieuse sur les politiques et les pratiques qui entérinent cette illégalité ».
En outre, les enquêteurs cherchent rarement à recueillir des preuves externes, se contentant de témoignages.
« Lors des auditions de témoins, les enquêteurs fonctionnent davantage comme des sténographes qui prennent la dictée que comme des agents chargés de découvrir la vérité », a écrit B’Tselem dans son rapport.
En définitive, la plupart des enquêtes sont closes pour « absence de culpabilité » ou « absence de preuves », alors que dans d’autres cas, aucune enquête n’est ouverte pour cause d’« absence de culpabilité » ou au motif que les morts palestiniennes se sont produites dans des « situations de combat ».
M. Owen de Yesh Din a déclaré que le fait de mener des enquêtes - même erronées - permet à Israël « de dire au monde qu’il ne reste pas passif face à cette situation ».
D’une certaine manière, Israël réussit à donner l’apparence de la responsabilité, bien qu’aucune responsabilité réelle n’existe.
La loi israélienne protège Israël
Haitham al-Tamimi a décrit l’enquête israélienne sur l’assassinat de son fils comme « un autre niveau du crime ».
« Avec cette enquête préliminaire, nous considérons qu’Israël s’est moqué de nous », a déclaré M. al-Tamimi à The New Arab. Pourtant, lui et sa famille s’attendaient à ce résultat.
« La loi [israélienne] va protéger le soldat », a déclaré M. al-Tamimi. « Nous le savons parce que des crimes similaires ont déjà été commis dans le pays ».
Souvent, les Palestiniens ne portent pas plainte en raison de cette impunité, ne souhaitant pas prendre part au système de leurs oppresseurs, ou par peur des représailles. Et souvent, le dépôt de plainte leur est rendu inaccessible.
Les Palestiniens ne peuvent pas porter plainte directement auprès de l’unité d’enquête de la police militaire, et ce sont les organisations de défense des droits humains ou les avocats qui doivent le faire pour eux.
Les victimes peuvent porter plainte par l’intermédiaire d’un bureau de coordination et de liaison de district en Cisjordanie occupée, mais ces plaintes accusent souvent des retards importants lorsqu’elles sont transmises aux autorités chargées de l’enquête.
« Les Palestiniens ont été témoins de décennies d’impunité, ce qui alimente une profonde méfiance à l’égard du système de justice militaire », a déclaré M. Shakir.
Puisque s’en remettre au système judiciaire israélien est vu comme inutile, les experts en droits humains suggèrent de se tourner vers les tribunaux internationaux.
Pourtant, les Palestiniens se sentent abandonnés même au niveau international, surtout parce que la demande d’Al Jazeera auprès de la Cour Pénale Internationale (CPI) pour l’ouverture d’une enquête sur la mort de la journaliste palestinienne Shireen Abu Akleh est dans l’impasse.
Cette situation, ajoutée au fait que l’enquête actuelle de la CPI sur la « situation en Palestine » s’essouffle alors que son implication dans l’invasion de l’Ukraine par la Russie gagne du terrain, a donné le sentiment à de nombreux Palestiniens que le monde les négligeait.
« Nous sommes déçus par le système judiciaire international et les organisations internationales, mais nous allons essayer de continuer, ne serait-ce que dans les médias, parce que nous pensons que [notre fils est] la victime d’une occupation barbare », a déclaré M. al-Tamimi.
« Nous ne renoncerons pas à nous battre pour ses droits. »
Jessica Buxbaum est une journaliste basée à Jérusalem qui couvre la Palestine et Israël. Son travail a été publié dans Middle East Eye, The National et Gulf News.
Traduit par : AFPS