« Le peuple est la base humaine de l’État, le territoire en est sa base matérielle. De ces deux fondements, c’est le premier, l’humain, qui est le plus important » (Theodor Herzl, L’État des Juifs)
La Déclaration sur la création de l’État d’Israël a spécifiquement désigné la nouvelle entité comme un « État juif dans le pays d’Israël » Peu importait le territoire qui était encore inconnu à Herzl, la base humaine de l’État des Juifs à venir étant le peuple juif du monde entier.
Parmi les onze lois fondamentales qui tiennent lieu de Constitution à l’État hébreu figure une loi essentielle, la loi du retour de 1950, qui confère à tous les Juifs du monde, et seulement aux Juifs, le droit de s’établir en Israël et d’y jouir immédiatement de tous les droits légaux et politiques. Plus tard, la loi sur la citoyenneté israélienne de 1952 va établir la différence entre la citoyenneté israélienne – ezrahut – (qui confère droit de vote et passeport) et la nationalité juive – le’um – (qui seule confère la « pleine citoyenneté »).
Israël a dès sa création, créé une distinction inhabituelle entre « citoyenneté » et « nationalité ». Cela constitue une incongruité en droit international, Israël étant une des rares entités où État et nation ne coïncident pas.
Il n’y a, dès lors, pas de nationalité israélienne mais une nationalité juive (concernant les Juifs du monde entier) et une multitude d’autres nationalités (le ministère de l’Intérieur en reconnaît plus de 130). Les Palestiniens ont la nationalité… « arabe » ou « druze ». Un citoyen israélien non juif et non palestinien, mais parent ou conjoint d’un citoyen juif, est enregistré selon sa nationalité d’origine assyrienne, tatare, circassienne ou même… catalane comme le grand-père de Shlomo Sand.
En 1972, la Cour suprême d’Israël a rejeté la requête d’un citoyen juif, Georges Tamarin, demandant que lui soit reconnue la nationalité israélienne au motif qu’« il n’existe pas de nation israélienne distincte du peuple juif » et que, dès lors, la reconnaissance d’une nationalité israélienne serait contraire à la définition de l’État d’Israël comme l’État-nation du peuple juif.
Même si tous les habitants du territoire nommé « Israël » sont qualifiés « citoyens d’Israël », l’État, lui, est défini comme représentant la « nation juive », c’est-à-dire non seulement les 5,6 millions de Juifs israéliens (en 2010) mais encore plus de 7 millions de Juifs de la diaspora [1].
Cette distinction est longtemps restée dissimulée, ne figurant que sur le registre de la population du ministère de l’Intérieur et sur les papiers d’identité. Elle n’en était pas moins fondamentale pour justifier les discriminations subies par les Palestiniens de 48, jusqu’à ce que cet État soit assuré de son impunité et puisse tomber le masque dans le début des années 2000.
Certes, en 2002, la mention de la nationalité a disparu des cartes d’identité (mais non du registre de la population !). Elles restent cependant autrement différenciées et identifiables.
Vingt-et-un citoyens israéliens (Juifs et Arabes) ont demandé à être recensés comme Israéliens sur le registre de la population israélienne. Ils ont fait valoir que l’État d’Israël n’est pas démocratique parce qu’il est juif et qu’une nationalité israélienne partagée pourrait mettre fin aux discriminations existantes.
Par arrêt du 4 octobre 2013, la Cour Suprême a rejeté leur requête au motif que cela aurait des « implications lourdes » sur l’État d’Israël et pourrait mettre en danger son principe fondateur : « Un État juif pour le peuple juif ». Arrêt commenté par Alain Gresh (Blog Monde Diplo - Nouvelles d’Orient) en ces termes : « La Cour suprême confirme : tous les citoyens d’Israël sont égaux, mais les Juifs sont plus égaux que les autres » [2] (2) …
Ayant franchi toutes les lignes rouges en toute impunité, une loi fondamentale sur l’État-Nation du peuple juif a consacré ces principes le 19 juillet 2018, où il est notamment rappelé qu’« Israël est la patrie historique du peuple juif, dans laquelle l’État d’Israël a été établi – que l’État d’Israël est le foyer national du peuple juif dans lequel il satisfait son droit naturel, culturel, religieux et historique à l’autodétermination – et que le droit à exercer l’autodétermination nationale dans l’État d’Israël est propre au peuple juif ».
Il n’y a pas de nationalité israélienne et cette absence demeure un pilier essentiel de l’apartheid. Il y a donc lieu de cesser de confondre citoyenneté et nationalité.
Geneviève Coudrais