F Vincent, 20 minutes : Redoutez-vous un exode des chrétiens du Proche-Orient depuis la victoire du Hamas aux législatives en janvier ?
Mgr Sabbah :
Non. L’exode est lié à l’instabilité politique. Il a commencé lors de la deuxième Intifada. La construction du Mur a par exemple encerclé une vingtaine de familles, qui sont parties ou songent à le faire car leurs maisons sont devenues inhabitables. Puis l’exode a diminué avec le retour de la stabilité. Mais le Hamas n’accentue ni ne diminue ce mouvement.
Redoutez-vous une islamisation de la société ?
Pas encore. Pas pour aujourd’hui, pas pour demain, mais peut-être pour après-demain, si le mouvement islamiste religieux Hamas perdure. Pour l’instant, c’est un parti politique qui a des confrontations politiques à faire. Avec Israël, avec l’Autorité Palestinienne et avec la communauté internationale. Le Hamas n’a pas intérêt à avoir une confrontation religieuse entre musulmans et chrétiens.
Vous avez déclaré ne pas considérer le Hamas comme un mouvement terroriste ...
En effet. Le Hamas est un organe de résistance palestinienne contre l’occupation militaire israëlienne.
Il a eu recours à des moyens terroristes, ce que je condamne. Mais sa résistance contre l’occupation, c’est le droit de tout peuple à réclamer sa liberté. Israël, avec toute son armée, n’a pas réussi à assurer sa sécurité. Il ne l’obtiendra qu’en négociant avec le Hamas, en le considérant non plus comme un simple parti politique, mais comme le peuple palestinien tout entier. Idem pour la communauté internationale. Elle doit être cohérente et cesser le boycott du Hamas, arrivé au pouvoir par des élections dont elle a fixé les règles.
Vous discutez avec le Hamas. Que vous dîtes-vous ?
Ce sont des rencontres informelles. Nous leur disons qu’il faut travailler avec le peuple, suivre « la feuille de route »... Ils sont d’accord. Mais nous n’avons pas de discussion politique.
Le Hamas peut-il, selon vous, infléchir ses positions et reconnaître Israël ?
La reconnaissance d’Israël est une formalité requise inutilement. A quoi bon ? Yasser Arafat l’a fait, il n’a rien obtenu. Mahmoud Abbas l’a fait, il n’a rien obtenu. Cette reconnaissance doit être la fin du processus, pas le début.
Le Hamas est-il prêt lui-même à négocier avec Israël ?
Je n’en sais rien, ce n’est pas mon problème .
Etes-vous satisfait de la décision de l’Europe de reverser l’aide aux Palestiniens sans transiter par le Hamas ?
Ce qui compte, c’est que le boycott cesse et que les Palestiniens soient aidés.
Les Palestiniens regrettent-ils leur choix électoral ?
Non, personne n’en parle.
Déjà le 17 mai Monseigneur Sabbah [1] déclarait au Figaro :
P Saint -Paul : L’arrivée au pouvoir du Hamas vous inquiète-t-elle ?
Michel SABBAH. - Tout d’abord, je tiens à dire que la suspension de l’aide internationale aux Palestiniens n’est pas une bonne mesure.
Ce peuple est opprimé depuis des dizaines d’années. Il ne faut pas augmenter l’oppression, mais l’écarter.
Les Palestiniens ont élu un gouvernement de façon démocratique, selon les critères de la communauté internationale. Il n’est pas légitime qu’il soit puni pour cela.
Le Hamas a eu recours à des actes terroristes. Ces actes sont à condamner.
D’un autre côté, Israël, en temps que gouvernement et Etat organisé, a aussi commis des actes terroristes. Il a tué des enfants, des femmes, des civils, qui n’ont rien à voir avec les combats.
Le Hamas est un parti à base religieuse. Mais son message principal est de réclamer la liberté pour le peuple palestinien. Pour le moment, le Hamas ne mélange pas politique et religion. Le mouvement s’est rapproché des chrétiens. Il affirme qu’il existe une égalité entre tous les citoyens, qui ont les mêmes devoirs et les mêmes droits. Il n’y a donc pas de problème d’ordre religieux, pour l’instant.
La situation est spécifique en Palestine : chrétiens et musulmans sont un seul peuple. Cette conviction existe chez tous les responsables palestiniens, y compris au Hamas.
L’arrivée au pouvoir du Hamas a-t-elle poussé les chrétiens à quitter les territoires palestiniens ?
Non. L’émigration résulte plutôt de l’instabilité politique. C’est cela qui fait souffrir les gens. Ils ont de plus en plus de mal à trouver leur pain quotidien. Les Palestiniens vivent dans des prisons qui rendent leur vie insupportable. Qu’il y ait un gouvernement islamiste ou non, cela peut influencer la sensibilité des gens. Mais ce n’est pas cela qui les pousse à partir. A Jérusalem, le mur israélien coupe un quartier en deux ! Cela complique l’accès aux hôpitaux, aux écoles et aux commerces. A Bethléem, le mur étrangle tout simplement la population.
Il enferme deux peuples dans un ghetto : Israéliens et Palestiniens. L’émigration est un phénomène naturel, qui touche tous les chrétiens d’Orient. Ils cherchent une vie meilleure ailleurs, fuient les déséquilibres politiques et sociaux. L’équilibre final entre les communautés chrétienne et musulmane reste à trouver dans cette région.
En Irak, en Syrie, en Palestine et ailleurs au Moyen-Orient, chrétiens et musulmans partagent une histoire commune, parfois des souffrances communes face à l’oppression ou à l’occupation. Mais ils ne sont pas encore parvenus à trouver une harmonie entre leurs différences culturelles.
Les pèlerins reviennent-ils en Terre sainte ?
Ils ont écouté nos appels. Leur présence est très positive. Non seulement elle donne un nouveau souffle aux communautés chrétiennes elles-mêmes, mais elle délivre un message de paix pour tout le pays, chrétiens, musulmans et juifs confondus. Ce sont des personnes qui viennent dans les lieux saints pour prier. Or, les lieux saints sont aussi la cause principale du conflit : les juifs veulent leurs lieux saints et les musulmans aussi. S’il n’y avait pas de lieux saints, il n’y aurait pas la guerre ici.
Croyez-vous encore à la paix entre Israéliens et Palestiniens ?
La guerre se fait à deux. Deux peuples se haïssent et se combattent. La paix ne peut se faire qu’à deux. Si vous séparez les gens, la haine reste dans les coeurs. Pour avoir la paix, il faut une réconciliation. Il faut avoir le courage et la sagesse de s’asseoir face à l’adversaire. C’est possible. Cela exige un respect mutuel.