Monsieur le Président-directeur général,
Journaliste amateur depuis 1967 et professionnel depuis 1973, j’ai passé -entre autres- quatre ans à la direction du Centre de formation et de perfectionnement des journalistes (CFPJ). A ce titre, je faisais souvent partie des jurys chargé de choisir la « promotion » de l’année de l’école de journalisme proprement dite, le CFJ, parmi les candidats déjà reçus à l’écrit et aux épreuves pratiques de l’oral.
Je ne connais pas la consœur qui signe la dépêche ci-dessous, mais, si elle avait été candidate au CFJ à l’époque, je lui aurais attribué un zéro pointé et elle n’aurait pas pu intégrer celui-ci.
Pour des raisons de principe professionnelles et éthiques :
– Il suffit de lire ce texte pour voir que son rédacteur a interrogé longuement les responsables et partisans de l’interdiction de la conférence-débat à laquelle Stephane Hessel devait prendre part mardi 18 à l’ENS de la rue d’Ulm, mais nettement moins les personnes qui l’avaient organisée, celles qui devaient y intervenir ainsi que les personnalités, associations, partis et syndicats ayant protesté contre cet acte de censure -à la seule exception de Florian Alix.
Où sont les réactions du principal intéressé, Stéphane Hessel, pourtant facilement joignable par téléphone et par mel ?
Pourquoi Jean-Claude Lefort, le président de l’Association France Palestine Solidarité (AFPS), Isabelle Avran et moi-même n’avons-nous pas été interviewés, alors que nous qui avons pris, début octobre 2010, l’initiative de l’Appel de solidarité avec Stéphane Hessel et toutes les victimes de la répressionet coordonné depuis, avec le groupe des associations organisatrices, la diffusion dudit Appel -lequel vient de franchir le cap des 10.000 signatures, dont celles de nombreuses personnalités qui n’avaient jamais signé un texte sur ce sujet et qui, pour nombre d’entre elles, sont opposées au boycott des produits israéliens ?
Pourquoi ne pas avoir contacté Leila Shahid, dont les coordonnées à Bruxelles, où elle représente la Palestine, sont connues de tous ? Et Benoit Hurel, secrétaire général adjoint du Syndicat de la Magistrature ? Et les enseignants comme les étudiants de l’ENS, premières victimes de cette censure ?
– Ce mépris pour les règles déontologiques de la profession, vitales en particulier pour les journalistes d’agence, qui fournissent à leurs confrères la base même de leurs informations, a fortiori dans ce service public qu’est l’AFP, se double d’une erreur de débutant. Une dépêche d’agence se doit de commencer par l’actualité et de revenir ensuite, par « tranches successives », sur les événements précédents. S’agissant de l’événement qui nous occupe, l’actualité, ce lundi 17 janvier 2010, ce n’était pas l’interdiction de la conférence-débat à l’ENS (qui date du 12 janvier), ni même l’éditorial dans lequel, sur le site du Crif, Richard Prasquier, son président, s’attribuait le mérite de l’interdiction (13 janvier). Non, l’actualité, c’était l’annonce par les associations organisatrices de la tenue du meeting interdit le même jour et à la même heure sur le parvis du Panthéon : elle ne mentionne ce qui aurait dû être son lead qu’à la fin. A ce rappel général des règles « oubliées » par cet article, permettez-moi d’ajouter, Monsieur le Président-directeur général, une critique synthétique des innombrables erreurs factuelles commises par l’auteur :
Normale Sup annule un colloque d’Hessel décrié par des associations juives
Trois erreurs :
– il ne s’agit que de la confirmation d’une annulation intervenue le 12 janvier ;
– l’interdiction ne vise pas un « colloque d’Hessel » (en français, on écrira plutôt « de Hessel »), mais une « conférence-débat » à laquelle Stéphane Hessel devait participer ainsi que nombre d’autres personnalités françaises, israéliennes et palestiniennes ;
– ce ne sont pas des« associations juives », mais le Conseil représentatif des institutions juives (CRIF) qui a, non pas « décrié » l’initiative, mais en a exigé l’interdiction.
PARIS - Un colloque prévu mardi et qui devait être animé à l’Ecole normale supérieure (ENS) de Paris par l’auteur du best-seller "Indignez-vous !", Stéphane Hessel, a été annulé, au grand dam de ses organisateurs pro-palestiniens.
Deux nouvelles erreurs :
– Stéphane Hessel ne devait pas animer cette conférence-débat, mais y participer ;
– nombre d’organisateurs ne se considèrent pas comme « pro-palestiniens ». C’est mon cas : je me définis comme « pro-droit international ». A vrai dire, les vrais « anti-israéliens », ne sont-ce pas Netanyahou et consorts, ainsi que leurs inconditionnels français, car, selon une majorité d’observateurs de cette région, leur intransigeance entraîne leur Etat, en même temps que les Palestiniens, dans une impasse dangereuse. Dans un communiqué lundi, l’ENS de la rue d’Ulm défend cette décision en arguant que "la réservation (de la salle) n’avait pas été faite en mentionnant la nature exacte de la réunion (réunion publique)" et qu’il était par ailleurs "impossible à l’ENS d’assurer la sécurité des personnes présentes et la protection de ses locaux pour ce type de réunion".
Ces explications n’ont pas empêché une polémique autour du sujet de cette conférence : présentée comme un débat sur la liberté d’expression, elle a été dénoncée par des associations juives, dont le Crif, comme un acte de soutien à la campagne de boycott de produits israéliens BDS (Boycott, Désinvestissement, Sanctions), qui a reçu l’appui de M. Hessel, ancien résistant et ex-ambassadeur âgé de 93 ans.
Indépendamment du caractère discutable des raisons invoquées pour justifier l’interdiction, encore deux erreurs :
– un journaliste soucieux d’objectivité aurait contrebalancé l’affirmation du Crif (selon qui la conférence constituerait un soutien à la campagne de boycott de produits israéliens) par le texte même de l’Appel à la solidarité avec Stéphane Hessel et toutes les victimes de la répression, qui écrit en toutes lettres : « Certains d’entre nous appellent au boycott de tous les produits israéliens ; d’autres « ciblent » les seuls produits des colonies israéliennes ; d’autres encore choisissent des formes d’action différentes. Mais nous sommes tous unis pour refuser catégoriquement que les militant-e-s de la campagne internationale Boycott-Désinvestissement-Sanctions (BDS) soient accusés et jugés pour « provocation publique à la discrimination » alors qu’au contraire ils combattent contre toute forme de discrimination, pour le droit de tous les peuples à l’autodétermination, pour l’application à tous les États du droit international et des sanctions prévues lorsqu’ils le bafouent. Tous ensemble, nous exigeons, à la fois au nom du droit international et des libertés : le retrait immédiat des directives envoyées par la ministre de la Justice et son administration aux Parquets et la relaxe immédiate de ces innocents » ;
– Pour Stéphane Hessel également, il ne s’agit pas d’appuyer la campagne BDS, mais de lutter contre sa criminalisation. Notre ami, personnellement, s’est toujours prononcé contre le boycott des produits israéliens.
"Le colloque s’inscrivait dans le prolongement de l’appel de M. Hessel en octobre dernier, qui visait non pas à défendre le boycott, mais à demander qu’il ne soit pas criminalisé" et que les militants ne soient pas condamnés, a déclaré à l’AFP un membre du comité d’organisation, Florian Alix.
A la suite de plaintes du Bureau national de vigilance contre l’antisémitisme (BNVCA), quelque 80 personnes sont poursuivies en France pour avoir appelé à boycotter des produits israéliens.
Si votre journaliste avait été curieuse, elle se serait renseigné sur la réalité de ce Bureau et sur la personnalité de son président, Sammy Ghozlan, pour lequel même le Crif n’est pas venu témoigner au procès de Pontoise. Il est vrai que, ci-dessous, notre consœur, informée des verdicts de Bordeaux et Créteil, semble ignorer celui de Pontoise : la relaxe de la sénatrice Alima Boumediene-Thiery et d’Omar Slaouti.
Deux militants ont été récemment condamnés à des amendes de 1.000 euros, à Bordeaux puis à Créteil.
"Dans cette conférence, il ne s’agissait pas de soutenir ce boycott mais de débattre de la liberté d’expression, en particulier autour de la question israélo-palestinienne", s’est défendu M. Alix, en soulignant que les invités n’étaient "pas nécessairement partisans du boycott".
Une version des faits fermement contestée par le BNVCA, auteur d’une plainte contre M. Hessel, et par le Crif, qui ont demandé l’interdiction de cette conférence.
"Il s’agissait de défendre le collectif BDS et ses membres, autrement dit les partisans du boycott anti-israélien, ce qui est illégal", a affirmé à l’AFP le président du Conseil représentatif des institutions juives de France (Crif), Richard Prasquier, qui dit l’avoir "signalé aux autorités"
La répétition d’un mensonge -qui contredit le texte même de l’Appel Hessel- n’en fait pas une vérité. Par ailleurs, votre rédactrice aurait dû préciser à ses lecteurs que le boycott des produits des colonies est non seulement légal, mais conforme au droit international, européen et français : la Cour de justice de l’Union européenne a rappelé, dans son « arrêt Brita » de février dernier, que les 27 Etats membres de l’UN ne devaient pas importer des productions des colonies.
L’ENS a toutefois assuré que l’annulation de cette conférence avait "été décidée indépendamment des démarches entreprises par le président du Crif auprès de plusieurs personnalités"
Pourquoi la dépêche ne cite-t-elle pas, sur ce point, ce qu’a écrit le président du Crif lui-même le 13 janvier ? Richard Prasquier commence, certes, son éditorial par cette phrase : « Il y a des dans ce pays des hommes et des femmes intellectuellement courageux. Mme Monique Canto-Sperber, directrice de l’Ecole normale supérieure en est un exemple. Elle a annulé mercredi 12 janvier 2011 après-midi un scandaleux colloque-débat. » Mais il conclut : « Valérie Pécresse, Ministre des Universités (l’auteur se trompe : elle est ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche), ainsi que le rectorat de l’Université de Paris que nous avons contactés en urgence ont réagi sans ambiguïté : je leur rends hommage, ainsi qu’à Claude Cohen Tanoudij, Prix Nobel de Physique, Bernard Henri Lévy et Alain Finkielkraut, tous anciens élèves de l’Ecole normale supérieure. » D’où l’on déduit que la ministre et ces trois intellectuels sont intervenus pour faire changer d’avis Mme Canto-Sperber -elle avait bel et bien autorisé la conférence-débat. Voilà qui aurait conduit un journaliste consciencieux à demander des explications à Mme Canto-Sperber et à M. Prasquier.
M. Hessel, lui, n’était pas immédiatement joignable.
Je l’ai personnellement joint à plusieurs reprises ces derniers jours.
Le comité d’organisation de la conférence, composé de plusieurs associations pro-palestiniennes, dénonce désormais la "censure" dont il ferait l’objet et appelle à participer mardi à Paris à un rassemblement "pour soutenir la liberté d’expression".
Le groupe PCF/Parti de Gauche au Conseil de Paris et un groupe d’étudiants "normaliens du groupe Palestine de l’ENS" se sont associés à leurs protestations et ont annoncé qu’ils participeraient à la manifestation, programmée à 18H30 place du Panthéon.
Liste très partielle. Pour ajouter d’autres partis, syndicats et associations scandalisés par la censure de notre conférence-débat, il aurait suffi à la rédactrice de cette dépêche de joindre un des organisateurs -abusivement présentés comme « pro-palestiniens », je le répète, tant il est vrai, comme l’estime la grande majorité des spécialistes du Proche-Orient, que l’avenir même d’Israël passe par un accord de paix avec ses voisins. Nous nous battons pour un tel accord, fondé sur les résolutions des Nations unies, tandis que Benjamin Netanyanou, Avigdor Liebermann et Ehoud Barak multiplient les provocations afin de faire échouer la reprise des négociations...
Parmi les participants au colloque devaient notamment figurer le secrétaire général adjoint du Syndicat de la magistrature Benoist Hurel, la déléguée générale de Palestine auprès de l’Union européenne Leïla Shahid et une députée arabe israélienne Haneen Zoabi.
Monsieur le Président-directeur général,
Je serais heureux d’avoir votre point de vue sur cet étonnant festival d’erreurs. Si étonnant que des esprits taquins pourraient se poser cette question : l’AFP a-t-elle subi, elle aussi, des pressions de Richard Prasquier, d’un ou d’une ministre et de quelque intellectuel médiatique ? A moins qu’à l’instar de Mme Canto-Sperber, vous n’ayez nul besoin de telles interventions pour aller à la rencontre des attentes du Crif ? Et cette étrange dépêche refléterait-elle, par le plus grand des hasards, la mission qui vous a été confiée en haut lieu ?
Dans l’attente de votre réponse, je vous prie de croire à l’assurance de ma foi dans l’éthique du journalisme.
Bien à vous,
Dominique Vidal.
PS : Merci de faire passer à la journaliste, pour sa documentation, cet article du Christian Science Monitor : France finds a hero in former Nazi prisoner turned bestselling author