– Raed, tu es Palestinien, tu vis dans les Territoires Occupés près d’Hébron, tu es mécanicien et nous nous trouvons dans ton atelier. Nous t’avons rencontré car tu es marié à une femme de Jérusalem, avec laquelle vous avez trois enfants.
En 1967, Israël a envahi la Palestine, territoire défini par les conventions internationales et comprenant Gaza, La Cisjordanie et Jérusalem-Est.
Israël a laissé la nationalité palestinienne aux habitants de Gaza et de Cisjordanie, mais pas aux habitants palestiniens de Jérusalem à qui ils ont donné la nationalité Jordanienne. Pourquoi donner la nationalité Jordanienne aux palestiniens de Jérusale-Est ?
– Raed : "Israël depuis sa création cherche à faire de son pays un état juif sur l’ensemble de la Palestine. Si le gouvernement israélien maintient la nationalité palestinienne pour les habitants de Gaza et de Cisjordanie, il judéise ces territoires en expropriant les Palestiniens au profit de l’érection d’une multitude de colonies juives et routes interdites aux Palestiniens et la création de zones militaires israéliennes.
De plus Israël cherche à faire de Jérusalem sa capitale et se refuse à partager la ville en deux avec la Palestine comme le voudraient les traités internationaux. Il fallait alors trouver une solution afin qu’il n’y ait plus de Palestiniens, officiellement, dans Jérusalem. Or à cette époque et jusqu’en 1985, la Jordanie avait des prétentions sur les Territoires Palestiniens. C’est pourquoi le gouvernement israélien par un tour de passe-passe, transforme les Palestiniens de Jérusalem en Jordaniens. En donnant la nationalité Jordanienne aux Palestiniens jérusalémites, Israël donne un statut précaire à ces habitants, les considère comme des étrangers en instance de départ, ne leur donne pas les mêmes droits qu’aux citoyens israéliens, tente de les chasser vers la Jordanie et ainsi assoit son emprise sur la ville de Jérusalem."
– Combien y a t il de statuts différents à Jérusalem ?
– Raed : "Il y a d’abord les juifs qui ont la nationalité israélienne, beaucoup sont des colons qui vivent dans Jérusalem-Est (dans l’illégalité au regard du droit international). Ensuite, il faut compter aussi la minorité de Palestiniens de 1948 qui a obtenu à cette époque la nationalité israélienne, on les appelle les Arabes Israéliens. Enfin, la grosse majorité des habitants de Jérusalem-Est est palestinienne avec la nationalité jordanienne."
– Chacune de ces populations de Jérusalem a-t-elle les même droits ?
– Raed : "Non, les Arabes israéliens de 1948 souffrent de leur confession et souffrent du racisme face aux juifs israéliens. Mais les Jérusalémites-jordaniens, bien qu’autorisés à circuler sur le territoire israélien et à y travailler sont eux considérés comme citoyens de troisième zone. Par exemple, à compétence égale, leurs salaires sont toujours inférieurs à celui d’un Israélien et leur droit à la sécurité sociale différent. Bien sûr, ils n’ont pas le droit de vote ni en Israël ni en Palestine puisqu’ils sont « Jordaniens »."
– Quand t’es tu marié avec ta femme habitante de Jérusalem ?
– Raed : "En 1996, nous avons décidé de nous marier, et pour que ma femme ne perde pas son statut jérusalémite nous avons décidé de vivre ensemble à Jérusalem. Tu sais c’est important pour les Palestiniens de pouvoir conserver leurs terres, de pouvoir continuer à vivre sur leur territoire, c’est pour cela que nous avons fait le choix politique de ne pas abandonner Jérusalem aux seuls Israéliens. Il faut, c’est là notre résistance, que les palestiniens restent à Jérusalem. Le droit international, la déclaration 242 des Nations Unies rappelle que tous les territoires occupés, Cisjordanie, Gaza ET Jérusalem-Est, sont des territoires alloués aux Palestiniens."
– Les Palestiniens de Cisjordanie ou de Gaza obtiennent-ils le statut jérusalémite-jordanien lorsqu’ils se marient avec un habitant jérusalémite ?
– Raed : "Non, pas le statut mais une carte de séjour leur permettant de vivre avec leur femme ou mari à Jérusalem. Le problème c’est que cette carte de séjour n’est pas attribuée automatiquement, les lois israéliennes concernant les Palestiniens changent sans arrêt, il y a chaque jour de nouvelles lois pour restreindre les libertés des Palestiniens.
Aujourd’hui la Knesset a voté une loi interdisant de donner une carte de séjour de Jérusalem aux Palestiniens, pour les empêcher de venir travailler ou de voir leurs familles. À l’époque c’était la police secrète israélienne, le Shin Bet, qui donnait ou non son accord. Et pour moi cela a été refusé, car j’ai été incarcéré plusieurs fois dans les geôles israéliennes lors de la première Intifada à cause de mon militantisme. À l’époque tous les communistes palestiniens ont été incarcérés, nous étions des prisonniers politiques en détention administrative cela veut dire sans jugement."
– Tu n’as jamais connu les charges qui pesaient contre toi ?
– Raed : "Non, simplement parce que j’étais (et je suis toujours) militant communiste. Si les Israéliens m’avaient suspecté de faire de la résistance armée ou d’avoir des armes j’aurais été jugé, mais ce n’était pas les cas, la détention administrative c’est l’arbitraire."
– Donc tu te maries, le gouvernement Israélien te refuse le droit de voir ta femme à Jérusalem ou en Israël, mais ta femme peut-elle aller te rendre visite en Palestine ?
– Raed : "Non, les habitants de Jérusalem peuvent aller librement en Israël, mais pour circuler en Palestine, ils doivent demander l’autorisation au gouvernement israélien qui l’interdit sauf pour raisons exceptionnelles. Par exemple, ma femme suit des études à l’université de Bethléem (en Palestine NDLR) elle a donc un visa du gouvernement israélien lui permettant de s’y rendre, mais elle n’a pas l’autorisation de se rendre à Hébron (autre ville en Palestine NDLR) où j’habite. Ma femme a été contrôlée par l’armée Israélienne à Hébron, les militaires lui ont expliqué qu’ils étaient bien gentils de la laisser filer, mais que normalement ils devaient lui mettre une amende. Ma femme est hors la loi lorsqu’elle vient me rendre visite. Ma femme et mes enfants n’ont jamais l’autorisation du gouvernement d’Israël pour venir me voir et même s’ils l’avaient, ils ne pourraient rester plus de trois jours sans risque de perdre leur nationalité, et moi je n’ai pas le droit de passer ne serait ce qu’une heure à Jérusalem.
– Ce n’est donc pas l’Autorité Palestinienne qui autorise ou non les étrangers à se rendre sur son territoire, qui donne des visas ?
– Raed : " Non, les Territoires Palestiniens sont contrôlés par Israël, d’un point de vue administratif, policier et militaire même les quelques villes palestiniennes dites autonomes."
– Mais cela revient à dire que les Palestiniens mariés à des Jérusalémites ne peuvent aller à Jérusalem et qu’inversement ces Jérusalémites ne peuvent aller dans les territoires occupés en Palestine ?!!
– Raed : " Oui, bien sûr, c’est une loi qui est faite pour décourager les mariages entre les Palestiniens des Territoires Occuppés et les habitants d’Israël. Israël ne peut pas interdire ces mariages, cela serait trop gros pour la communauté internationale. Le problème vient du fait qu’on a le droit de se marier mais pas de vivre ensemble. C’est-à-dire que si ma femme vient vivre en Palestine elle perd sa carte de nationalité jordanienne mais puisque c’est l’occupant qui donne les cartes de nationalité elle n’aura pas non plus la nationalité palestinienne. Elle se retrouverait sans papier, elle n’aurait plus le droit de travailler à Jérusalem et elle n’aurait pas non plus le droit de travailler en Palestine. Elle n’aurait d’autre choix que de faire du travail au noir avec tous les risques que cela comporte comme les sans papiers en France.
– Comment pouviez-vous avoir une vie de couple ?
– Raed : "Au début de notre mariage, en 1996, il n’y avait quasiment pas de contrôles de police israéliens dans Jérusalem, c’était assez simple d’entrer dans la ville.
Bien sûr, il y avait des check point pour contrôler les voitures et les passagers, mais pas tout le temps et pas partout, il était facile de les contourner par les petites routes. Aujourd’hui, c’est différent. Depuis 2000, avec la deuxième Intifada, l’armée israélienne bloque les villages, ferme les routes et opère avec la police israélienne des contrôles incessants. C’est beaucoup plus dur de passer, et avec la construction du mur qui entoure Jérusalem-Est, cela devient un cauchemar. Mais comme ils continuent de me refuser la carte de séjour pour visiter ma femme et mes trois enfants, j’arrive encore à passer en fraude.
– Concrètement, aujourd’hui comment t’organises-tu ?
– Raed : "J’essaie de voir ma femme et mes enfants, à Jérusalem, tous les week-ends. Je pars de chez moi le jeudi après midi (le vendredi est jour de repos pour les musulmans, le samedi pour les juifs, le dimanche pour les chrétiens, mais les week-end ne font pas trois jours ! NDLR) pour passer de jour. Je contourne les check-points, je marche 3 ou 4 kilomètres depuis Bethléem, dans les champs et les vergers, pour rejoindre la banlieue de Jérusalem. Mais, avec le Mur que les Israéliens construisent autours de Jérusalem, ça devient chaque fois plus difficile et dangereux.
Lors des vacances scolaires, ce sont les enfants et ma femme qui viennent chez loi en Palestine et ils évitent de sortir trop de ma maison pour ne pas se faire contrôler par l’armée israélienne. Ma femme et mes enfants n’ont pas le droit de vivre dans ma maison que j’ai héritée de mon père près d’Hébron et moi je n’ai pas le droit de vivre auprès d’eux à Jérusalem, cela devient une vie très difficile, surtout pour les enfants, où nous devons nous cacher sans arrêt pour nous rencontrer."
– Tu t’es déjà fait contrôler par les Israéliens en essayant de te rendre à Jérusalem ?
– Raed : "Oui, plusieurs fois mais jusqu’ici, ils me demandaient simplement de faire demi-tour et je réessayais par une autre route. J’ai eu un problème en mai 2005, j’avais réussi à entrer dans Jérusalem et un de mes enfants est tombé gravement malade. Ma femme étant absente, j’ai décidé, conduit par mon beau-frère jérusalémite, d’emmener mon enfant à l’hôpital. La police m’a contrôlé et j’ai été convoqué au tribunal israélien de Jérusalem ainsi que mon beau-frère considéré comme complice puisque je n’avais pas d’autorisation."
– Es-tu allé au tribunal ?
– Raed : "Non, je voulais me défendre seul je n’ai pas les moyens de payer un avocat, mais la police israélienne m’a refusé le droit d’aller au tribunal de Jérusalem. Le procès a été reporté, grâce aussi au soutien par courrier et par fax qui est arrivé auprès du juge. Aujourd’hui grâce au soutien des militants de France-Palestine-Solidarité, j’ai pu payer un avocat israélien qui va me défendre et essayer de m’obtenir un droit de visite permanent auprès de ma femme et de mes enfants, mais les chances de succès restent minimes, je risque une forte amende (3 000€ pour un salaire mensuel moyen de 160€) et peut être une peine de prison.
– Cette loi sur les restrictions de visite entre les couples palestiniens et jérusalémite- jordaniens ou palestiniens et arabes israéliens est une loi clairement raciste et d’apartheid qui vise à exclure d’Israël tous les gens d’origine palestinienne, combien de couples est- ce que cela concerne ?
– Raed : "On considère que cela touche environ 20 000 couples aujourd’hui dont 14 000 de Jérusalem. C’est une loi raciste car un Israélien ne perdra pas sa nationalité en suivant son conjoint en France tandis qu’une « Jordanienne » de Jérusalem perd automatiquement sa nationalité si elle sort d’Israël plus de 3 ans. Et si toi, Français tu te maries avec une Israélienne, tu auras automatiquement une carte de séjour pour vivre en Israël.
Pour participer à la défense de Raed, vous pouvez envoyer un chèque à France-Palestine-Solidarité Rennes, 10 rue Jean Boucher, 35000 Rennes, en précisant au dos du chèque : « Raed »