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Hébron
Par M. C.
Nous arrivons à Hébron, après des heures de trajet, entre routes de contournement et attentes aux checks-points. C’est la fin de journée...
Derrière les vitres poussiéreuses du taxi collectif, les visages se bousculent sur les trottoirs, les marchands commencent à ranger leurs étals de fruits, de légumes, d’épices, de tissus... Les femmes ont les traits fatigués, elles remportent avec elles l’ invendu, d’ énormes sacs de feuilles de vigne, de courgettes et de menthe. Le vent vient fouetter leurs étoffes et leurs magnifiques broderies, et transporte avec lui des odeurs d’ épices, de café, de friture, de jasmin, et de charogne. Sous mes pieds, les vieilles pierres blanches, lisses, usées se souviennent de chaque charrette et de chaque pas et témoignent de cette profonde citadinité de la culture arabe, la même forgée à Damas, au Caire, à Jérusalem.
A mesure que nous avançons dans la vieille ville, les portes vert pâle des commerces se ferment et un silence étrange s’ installe. La lumière baisse, le marché désert est complètement métamorphosé. A présent, les murs de la vieille ville que l’ on compte parmi les plus vieux du monde, datés d’ au moins huit cent ans, portent des impacts de balles, des griffures ; les pierres comme des larmes se détachent des maisons, visages d’ une histoire meurtrie, cachées derrière d’épaisses barrières en acier et que seuls des grillages tremblants font résister.
Shehab, un étudiant, nous montre sa maison. Une voix traduit ses mots : « A L’endroit où vous êtes sur ces pierres, un jour un enfant courait avec, entre les mains, le drapeau palestinien, les soldats israéliens l’ ont abattu, et traîné sur plusieurs mètres, sa tête a explosée à force de chocs sur le sol. » Mes yeux se perdent sur les pavés, ce n’ est pas la première fois que nous entendons ces récits abominables et nous avons vu quantités de choses effrayantes mais à cet instant une angoisse me saisit au plus profond de mon ventre. Je sens dans cette rue étroite et vide, une violence insoutenable et immense et je ne co]mprends plus comment elle peut tenir dans un si petit espace. Je cherche à respirer de nouveau, et lève instinctivement les yeux vers le ciel pour trouver un espace de liberté possible.
Et à un mètre de mon visage, là où je ne pensais voir que les étoiles, se dressent d’ immenses grilles sur lesquelles jonchent quantité d’ ordures, des pavés énormes et toutes sortes d’ objets, et à travers des fenêtres et des balcons où triomphe le drapeau israélien. Les colons vivent au-dessus dans les étages supérieurs des maisons, et jettent dans la rue sur la population, ces amas de mépris. Les Palestiniens ont eux-même dressé ces cages pour s’ en protéger. Aujourd’ hui les grilles ne suffisent plus, à la place des déchets les colons jettent de l’ huile bouillante et de l’ eau sale sur femmes, enfants, jeunes et vieillards.
Je ne peux plus m’ empêcher de penser à ces tortures barbares que l’ on utilisait au Moyen-âge pour anéantir l’ ennemi qui assiégeait le château fort. Mais qui assiège qui ? Qui est l’ ennemi ? Ennemi et ennemi vivent ensembles dans une même maison. Le mur mitoyen qui est le propre de l’ humanité, celui qui protège, qui est l’abri, le foyer a été forcé, détruit, explosé, pour accéder aux toits et à ce qui est devenu leurs maisons, colons et militaires israéliens passent par les foyers palestiniens.
L’ occupation va jusqu’à s’octroyer le contrôle du ciel. L’occupation va jusqu’à s’octroyer l’intimité d’une chambre d’enfant. La frontière existe de façon obsessionnelle, elle est une grille qui sépare l’humiliation de la folie. Elle est la « cristallisation » d’un racisme violent, cruel et d’une peur viscérale.
Nous avançons les yeux d’ un ami sont devenus pour moi le seul espace de liberté possible et la seule protection contre une révolte profonde. Au milieu de la rue un check-point est dressé, je ne vois plus la sortie, mon regard est barré par des barbelés, d’ énormes tourniquets en acier. Je m’ enveloppe, malgré moi, dans ma dignité d’occidentale pour chasser un sentiment de vulnérabilité, qui me fait déjà tenir mon passeport fort dans la main, sans que je m’en sois rendue compte. Je passe le premier tourniquet qui se referme automatiquement derrière moi, je suis à présent enfermée dans une cage avec un scanner qui se trouve dans une rue elle-même cloisonnée, dans une ville elle-même contrôlée, barricadée, dans un territoire lui-même étouffé, contrôlé, occupé, enfermé, écrasé.
Cette mise en abîme terrifiante me fait reculer, un soldat me hurle d’avancer, je ne le vois pas, il est caché dans une cabane camouflée. J’ avance donc et pose mon sac sur le tapis roulant du scanner, je passe ensuite une porte de contrôle des métaux, je n’ai rien de métallique mais la machine sonne quand même : un prétexte pour fouiller, un prétexte pour humilier. Je suis française, j’échappe à la fouille, on me laisse passer le deuxième tourniquet. Trois soldats contrôlent mon passeport tout en tenant fermement leur M16. Derrière moi trois des étudiants palestiniens qui nous accompagnaient sont détenus immédiatement sur le côté. Je me retourne, cherche leur regard, on me hurle encore d’avancer.
Devant nous un second check point barre la route qui conduit à la mosquée, je n’y crois plus. Juste à côté dans une grande cour décorée de lampions et de drapeaux israéliens, petits et grands, derrière des hauts murs, une centaine de colons font une grande fête. La musique et les éclats de rire sont très forts et les lumières, les kippas dansent, comme pour recouvrir le bruit sourd du bulldozer et le cri étouffé de l’injustice.
La grille au-dessus de nous a disparu, à la place sur les toits des soldats sont postés derrière des blocs de béton recouverts de tissu camouflage. Malgré l’interdiction je décide de les prendre en photo, déterminée à prouver cette scène ultérieurement. Je demande à mes amis de prendre la pose devant moi mais oriente l’appareil en leur direction légèrement au-dessus, en zoomant je vois distinctement le fusil et le visage du soldat, il a l’œil dans le viseur, à peine 18 ans et nous met en joue. Je baisse mon appareil, prend la photo, range mon appareil mais continue de l’observer, son M16 nous suivait à mesure que nous nous déplacions. Il y avait à ce moment là douze soldats autour de nous... douze soldats...
L’ armée israélienne est une machine d’ humiliation, une machine d’ expulsion, une machine à disparition, une machine d’ oppression, une machine d’ occupation. On élimine un peuple pour qu’un autre s’étale.
Le lendemain nous apprîmes d’une ONG américaine qu’ actuellement à Hébron, existent six colonies. Dans ce que l’on appelle la route des martyrs vivaient avant 800 familles palestiniennes, aujourd’hui il n’en reste plus que cinquante, à la place vivent 400 colons et 1200 militaires, chargés d’ assurer leur sécurité.