Combien de Palestiniens, bouleversés d’émotions, ont pu écouter par la radio - la BBC - à l’époque il n’y avait pas Al-Jazeera - le discours du docteur Haydar Abd el-Shafi - président du Croissant Rouge palestinien à Gaza, sympathisant communiste, personnalité indépendante la plus populaire de Palestine.
Il faut se souvenir du contexte : fin 1991 une nouvelle année désastreuse pour le Moyen-Orient se terminait. La première guerre du Golfe avait eu des conséquences terribles, non seulement pour les Irakiens écrasés par les bombes américaines, mais aussi pour les Palestiniens : ceux-ci par centaines de milliers avaient été chassés du Koweit, d’Arabie Saoudite et des Etats du Golf en raison du soutien partiel que Yasser Arafat avait apporté à Sadam Hussein. L’OLP en était sortie isolée. S’il y eut la conférence de Madrid, c’est aussi parce que Georges Bush père, soucieux de consolider son alliance avec des Etats arabes - eux-mêmes inquiets de l’impact de l’Intifada dans leur propre pays - voulut leur faire cette concession. Yitzhak Shamir, premier ministre israélien, fut contraint par les Etats Unis - moyennant la menace de suppression d’un énorme prêt - de l’accepter, mais il réussit quand même à empêcher la participation de la direction de l’OLP réfugiée à Tunis.
Ce fut finalement Haydar Abd el-Shafi, appuyé par un appel de la « société civile » palestinienne, composée en l’occurence surtout de maires, de médecins, d’enseignants, etc, de Cisjordanie et de Gaza, à qui fut confié la responsabilité et l’honneur d’être le chef de la délégation palestinienne et de s’exprimer au nom du peuple palestinien, de son mouvement national. Son discours marquera toute une génération de Palestiniens et au-delà.
« Au nom du peuple palestinien, nous souhaitons nous adresser directement au peuple israélien avec lequel nous avons trop longtemps partagé des souffrances : partageons plutôt l’espoir. Nous sommes prêts à vivre côte à côte sur la terre et avec la promesse de l’avenir. Mais le partage nécessite deux partenaires ayant la volonté de partager entre égaux. L’esprit d’égalité et de réciprocité doit remplacer la domination et l’hostilité, en préalable à une réconciliation et une coexistence authentiques dans le cadre de la légalité internationale. Votre sécurité et la nôtre sont mutuellement dépendantes, aussi entrelacées que les peurs et les cauchemars de nos enfants. »
Venant après le discours de Yasser Arafat à l’ONU, en 1974, celui d’ Haydar Abd el-Shafi marquera l’histoire du mouvement national palestinien.
Il faut ajouter que lorsqu’Arafat fut amené à signer les accords d’Oslo en 1993, Haydar Abd el-Shafi ne fut pas associé à cette négociation. Il en ressentit une forte amertume. Pendant le processus qui s’en suivi, il demanda à Yasser Ararfat d’interrompre les négociations tant qu’Israël n’aura pas arrêté la colonisation. Il ne fut pas écouté. On connaît la suite. Il se présenta aux élections pour le Conseil législatif. Il fut le candidat qui eut le plus de voix. Cinq ans après, constatant le peu de cas que l’on faisait des décisions du Conseil législatif, il présenta sa démission. Aux dernières élections présidentielles, il soutint la candidature de Mustapha Bargouthi.
Lire aujourd’hui son discours de 1991 permet de rappeler aux mémoires défaillantes ce qu’a été - et reste - l’idéal palestinien qui aura mobilisé des millions de gens à travers le monde. Merci Haydar. [1]
Discours d’Haydar Abd el-Shafi, chef de la délégation palestinienne, à la conférence de Madrid le 31 octobre 1991
Madrid 31 octobre 1991
Monsieur le secrétaire Baker,
Monsieur le ministre Pankine,
Excellences,
Mesdames et Messieurs,
Au nom de la délégation palestinienne, j’aimerais exprimer notre reconnaissance la plus chaleureuse à notre hôte, le gouvernement espagnol, pour son hospitalité bienveillante, ainsi qu’au roi Juan Carlos et au Premier ministre Gonzalez. Nous remercions les co-parrains de cette conférence pour la paix au Moyen-Orient pour les efforts infatigables qu’ils ont déployés afin de la réunir. Notre délégation doit des remerciements spéciaux aux Nations unies ainsi qu’aux nations d’Europe et de Scandinavie pour leur soutien de principe constant aux droits du peuple palestinien.
Mesdames et Messieurs, Nous nous rencontrons à Madrid, une ville qui possède la riche contexture de l’histoire, pour tresser ensemble les mailles qui rattacheront notre passé au futur, pour réaffirrner l’intégralité d’une vision qui a produit autrefois une renaissance de la civilisation et un ordre mondial fondé sur l’harmonie dans la diversité.
Une fois de plus, chrétiens, musulmans et juifs sont mis au défi d’annoncer l’avènement d’une ère nouvelle, inscrite dans les valeurs universelles de la démocratie, des droits de l’homme, de la liberté, de la justice et de la sécurité. C’est à Madrid que nous entreprenons cette quête de la paix, une quête qui tend à placer le caractère sacré de la vie humaine au centre de notre univers, et à réorienter nos énergies et nos ressources de la recherche de la destruction mutuelle vers la recherche d’une prospérité, d’un progrès et d’un bonheur partagés.
Nous, peuple de Palestine, nous tenons devant vous avec toute notre douleur, notre fierté et notre attente, car nous portons depuis longtemps un vif désir de paix et un rêve de justice et de liberté. Depuis trop longtemps, le peuple palestinien est ignoré, réduit au silence et notre identité niée pour des raisons d’opportunité politique, notre lutte légitime contre l’injustice calomniée et notre existence subsumée par la tragédie passée d’un autre peuple.
Excellences, Mesdames et Messieurs,
Pendant la plus grande part de ce siècle, nous avons été les victimes du mythe d’« une terre sans peuple », nous avons été impunément décrits comme les « invisibles Palestiniens ». Devant un tel aveuglement délibéré, nous avons refusé de disparaître ou d’accepter une identité altérée. Notre Intifada témoigne de la persévérance et du ressort qui nous animent dans notre juste combat pour recouvrer nos droits.
Le temps est venu pour nous de narrer notre propre histoire et de témoigner pour la défense d’une vérité trop longtemps enfouie dans la conscience du monde. Nous ne nous présentons pas devant vous comme des quémandeurs, mais comme les porteurs d’une flamme qui savent que, dans le monde d’aujourd’hui, l’ignorance ne saurait constituer une excuse. Nous ne recherchons ni un aveu de culpabilité a posteriori, ni une vengeance pour les injustices passées, mais plutôt un acte de volonté qui ferait d’une paix juste une réalité. Nous nous exprimons, Mesdames et Messieurs, avec une pleine conviction de la justice de notre cause, de la vérité de notre histoire et de la profondeur de notre engagement. Là réside la force et du peuple palestinien aujourd’hui, car nous avons surmonté les barrières de la peur et la réticence et nous souhaitons nous exprimer avec le courage et l’intégrité que méritent notre récit et notre histoire.
Les co-parrains nous ont invités ici ce jour pour présenter notre cause et nous ouvrir à « l’autre », avec lequel nous avons dû affronter une réalité mutuellement exclusive sur la terre de Palestine. Mais, même dans l’invitation qui nous a été adressée à cette conférence de paix, notre histoire a été déformée et notre vérité seulement en partie reconnue. Le peuple palestinien est un, brassé par des siècles d’histoire en Palestine, lié par une mémoire collective fait de joies et de peines partagées, et partageant une identité de vision et d’objectif. Nos chansons et nos ballades, nos récits traditionnels et nos contes d’enfants, le dialecte dans lequel se disent nos boutades, les images de nos poèmes, ce soupçon de mélancolie qui colore même nos instants les plus heureux, nous sont aussi importants que les liens de sang qui unissent nos familles et nos clans.
Pourtant, l’invitation à parler de paix, la paix que nous désirons tous et dont nous avons tous besoin, n’est adressée qu’à une partie de notre peuple. Elle ne tient pas compte de notre unité nationale, historique, organique. Nous sommes venus ici, arrachés de nos frères et sœurs en exil, pour comparaître devant vous comme les Palestiniens sous occupation, bien que nous maintenions que chacun d’entre nous représente les droits et l’intérêt de tous. Nous nous sommes vu dénier le droit de reconnaître publiquement la loyauté que nous portons à notre direction et à notre système de gouvernement, mais l’allégeance ni la loyauté ne peuvent être censurées ou amputées. Notre direction reconnue représente davantage qu’une direction démocratiquement élue de l’ensemble du peuple palestinien ; elle est le symbole de notre unité et de notre identité nationales, le gardien de notre passé, le protecteur de notre présent et l’espoir de notre avenir. Notre peuple a décidé de lui confier son histoire et la préservation de son précieux héritage. Cette direction a été reconnue clairement et sans équivoque par la communauté des nations, à la rare exception de quelques pays qui ont opté, pendant tant d’années, pour l’ombre au lieu de la substance.
Malgré la nature et les conditions de notre oppression, qu’il s’agisse de la dépossession et de la dispersion dans l’exil ou de la brutalité et de la répression sous l’occupation, les Palestiniens ne peuvent être fragmentés. Ils restent unis, comme une nation, où qu’ils soient et où qu’ils soient obligés d’être.
Et Jérusalem, Mesdames et Messieurs, cette ville qui représente non seulement l’âme de la Palestine, mais aussi le berceau des trois religions universelles, est bien tangible, même dans sa prétendue absence de nos rangs à ce stade. Son exclusion apparente, et bien qu’artificielle, est une négation de son droit à rechercher la paix et la rédemption, car elle aussi a souffert de la guerre et de l’occupation. Jérusalem, la cité de la paix, a été refoulée d’une conférence de paix, et niée dans sa vocation. La Jérusalem palestinienne, capitale de notre patrie et de notre futur Etat, définit l’existence palestinienne passée, présente et future mais elle-même s’est vu refuser une voix et une identité. Jérusalem brave la possessivité exclusive et l’asservissement. L’annexion israélienne de Jérusalem demeure clairement illégale aux yeux de la communauté internationale et reste un affront à la paix que mérite cette ville.
Nous venons à vous d’une terre torturée et d’un peuple fier, bien que captif, en ayant été appelés à négocier avec nos occupants, mais en laissant derrière nous un peuple sous occupation et sous couvre-feu, qui nous a enjoint de ne pas capituler et de ne pas oublier. A l’instant où nous parlons, des milliers de nos frères et sœurs se morfondent dans les prisons et les camps de détention israéliens, la plupart détenus sans preuves, ni inculpations, ni procès, cruellement maltraités et torturés pour nombre d’entre eux au cours des interrogatoires, mais uniquement coupables de rechercher la liberté ou d’oser défier l’occupation. Nous parlons en leur nom et nous disons : libérez-les.
A l’instant où nous parlons, les dizaines de milliers qui ont été blessés ou handicapés à vie sont dans la souffrance : laissez la paix panser leurs plaies. A l’instant où nous parlons, les yeux de milliers de réfugiés, de déportés palestiniens, de personnes déplacées depuis 1967, nous hantent, car l’exil est un destin cruel : ramenez-les chez eux. Ils ont le droit de revenir. A l’instant où nous parlons, le silence des demeures détruites répercute son écho dans notre esprit : nous devons pouvoir reconstruire nos maisons dans notre Etat libre.
Et que dire aux êtres chers, à ceux qui ont été tués par les balles de l’armée ? Comment répondre aux questions et à la peur dans les yeux de nos enfants ? Car un enfant palestinien sur trois vivant sous occupation a été tué, blessé ou détenu au cours des quatre dernières années. Comment expliquer à nos enfants que l’éducation leur est refusée parce que nos écoles sont trop souvent fermées par décret militaire ? Ou pourquoi leur vie est en danger pour un drapeau brandi sur une terre où même les enfants sont tués et emprisonnés ? Quel requiem peut-on entonner pour les arbres déracinés par les bulldozers de l’armée ? Et, par-dessus tout, qui peut expliquer le message de la paix à ceux dont les terres ont été confisquées et l’eau volée ? Retirez les barbelés, restituez la terre et son eau vivifiante. Les implantations doivent être immédiatement stoppées. La paix ne peut pas s’installer tant que la terre palestinienne continue à être confisquée d’innombrables façons et que chaque jour les bulldozers et les fils barbelés israéliens décident du statut des territoires occupés. Ceci n’est pas simplement une prise de position ; c’est une réalité irréfutable. La formule des territoires en échange de la paix est une moquerie quand la politique et la pratique officielles israéliennes sont de vouer les territoires à la colonisation illégale. Les implantations doivent être immédiatement stoppées.
Au nom du peuple palestinien, nous souhaitons nous adresser directement au peuple israélien avec lequel nous avons trop longtemps partagé des souffrances : partageons plutôt l’espoir. Nous sommes prêts à vivre côte à côte sur la terre et avec la promesse de l’avenir. Mais le partage nécessite deux partenaires ayant la volonté de partager entre égaux. L’esprit d’égalité et de réciprocité doit remplacer la domination et l’hostilité, en préalable à une réconciliation et une coexistence authentiques dans le cadre de la légalité internationale. Votre sécurité et la nôtre sont mutuellement dépendantes, aussi entrelacées que les peurs et les cauchemars de nos enfants.
Nous avons vu certains de vous avec ce que vous avez de meilleur et de pire, car l’occupant ne peut rien cacher à celui qui subit l’occupation, et nous sommes témoins du tribut que l’occupation vous a fait payer, vous et les vôtres. Nous avons vu votre angoisse quand vous regardez vos fils et vos filles se transformer en instruments d’une occupation aveugle et violente, et nous sommes certains que vous n’aviez jamais envisagé un tel rôle pour les enfants qui, à vos yeux, devaient forger votre avenir. Nous vous avons vus vous retourner, dans la plus grande tristesse, vers la tragédie de votre passé, et regarder, avec horreur, la transformation de la victime en oppresseur. Ce n’est pas de cela que vous avez nourri vos espoirs, vos rêves, vos enfants.
C’est pour cela que nous avons répondu avec une solennelle reconnaissance à ceux d’entre vous qui sont venus consoler nos familles endeuillées, proposer un soutien à ceux dont les demeures avaient été démolies et apporter encouragement et conseil à ceux qui étaient détenus derrière les barreaux et les fils barbelés. Nous avons marché ensemble, et souvent étouffé ensemble sous les gaz lacrymogènes, qui ne font pas de discrimination, ou gémi de concert quand les matraques s’abattaient sur nous, Palestiniens et Israéliens confondus. Car la douleur ne connaît pas de frontières nationales, et personne ne peut revendiquer un monopole de la souffrance.
Une fois, nous avons formé une chaîne humaine autour de Jérusalem, joignant nos mains et réclamant la paix. Formons aujourd’hui une chaîne morale autour de Madrid et poursuivons ce noble effort en faveur de la paix et d’une promesse de liberté pour nos fils et nos filles. Brisez les barrières de la méfiance et des peurs manipulées. Regardons devant nous avec magnanimité et espoir.
A nos frères et sœurs arabes, dont la plupart sont représentés ici en cette occasion historique, nous exprimons notre loyauté et notre gratitude pour leur soutien de toujours et pour leur solidarité. Nous sommes ici ensemble pour rechercher une paix juste et durable dont la pierre angulaire est la liberté pour la Palestine, la justice pour les Palestiniens, et une fin à l’occupation de toute terre palestinienne et arabe. C’est alors seulement que nous pourrons vraiment jouir des fruits de la paix : la prospérité, la sécurité, la dignité humaine et la liberté. Nous nous adressons en particulier à nos collègues jordaniens au sein de notre délégation commune. Nos deux peuples ont entre eux une relation historique et géographique très spécifique. Ensemble, nous nous efforçons de parvenir à la paix. Nous continuerons d’œuvrer en vue d’obtenir notre souveraineté, tout en nous appliquant, librement et volontairement, à préparer le terrain à une confédération entre les Etats de Palestine et de Jordanie, qui pourra être la pierre angulaire de notre sécurité et de notre prospérité. A la communauté des nations de notre fragile planète, aux nations d’Afrique et d’Asie, au monde musulman et tout particulièrement à l’Europe, dont la rive méridionale voisine nous accueille aujourd’hui : du fond de notre lutte collective pour la paix, nous vous saluons, et nous vous disons notre gratitude pour votre soutien et votre reconnaissance. Vous avez reconnu nos droits et notre gouvernement, et vous nous avez donné un soutien et une protection réels. Vous avez percé les voiles déformants du racisme, des stéréotypes et de l’ignorance et vous avez résolu de voir « l’invisible » et d’entendre ceux qui sont réduits au silence. Les Palestiniens, sous occupation et en exil, sont devenus une réalité à vos yeux ; avec courage et détermination, vous avez admis la vérité de notre histoire. Vous avez adopté et notre cause, et nous vous avons accueillis en notre cœur. Nous vous remercions de votre attention et de votre audace à connaître la vérité - cette vérité qui doit tous nous libérer. Aux co-parrains et aux participants à cet événement solennel et crucial, nous affirmons que nous sommes engagés par les principes de justice, de paix et de réconciliation, fondées sur la légitimité internationale et sur les normes universelles. Nous persisterons, dans notre : quête de paix, à vous présenter la substance et la détermination de notre peuple, souvent pris pour victime mais jamais vaincu. Nous revendiquerons le droit de notre peuple à l’autodétermination jusqu’à l’allégresse de la liberté, jusqu’au jour où nous pourrons jouir de la chaleur du soleil, comme une nation parmi les nations.
C’est le moment de vérité, vous devez avoir le courage de le reconnaître, et la volonté de l’appliquer, car notre vérité ne peut être enfouie plus longtemps dans les sombres recoins de l’inattention ou de la négligence. Le peuple palestinien vous regarde droit dans les yeux, en cherchant à toucher votre cœur, car vous avez osé susciter des espoirs qui ne peuvent plus être abandonnés. Vous ne pouvez plus nous laisser à notre sort, car nous avons été fidèles aux valeurs que vous embrassez, et nous sommes restés loyaux à notre cause. Nous, le peuple palestinien, avons fait le saut inventif qui nous incombait au cours du Conseil national palestinien de novembre 1988, quand l’Organisation de libération de la Palestine a lancé son initiative de paix fondée sur les résolutions 242 et 338 du Conseil de sécurité, et nous avons proclamé l’indépendance de la Palestine, sur la base de la résolution 181 des Nations unies qui a donné naissance à deux Etats : Israël et Palestine. En décembre 1988, un discours historique devant les Nations unies à Genève eut pour résultat direct le début du dialogue américano-palestinien. Depuis lors, notre peuple a répondu favorablement à toute initiative de paix sérieuse, et il a fait tout ce qui était en son pouvoir pour assurer le succès de ce processus. Israël, par contre, a dressé de nombreux obstacles en travers du chemin de la paix, pour contester la justesse même du processus. Son activité frénétique et illégale en matière de colonisation est la preuve irréfutable de son attitude de refus. La dernière en date des colonies a été construite il y a seulement deux jours.
Ces décisions historiques du Conseil national palestinien ont détourné le cours de l’histoire : la confrontation et le conflit sont inévitables sur le chemin de la paix et de la reconnaissance mutuelle. De nos propres mains, et par un acte de pure volonté, nous avons façonné l’avenir de notre peuple. Notre Parlement a exprimé le message d’un peuple, avec le courage de dire « oui » au défi de l’histoire, tout comme il a donné sa caution dans ses résolutions du mois dernier à Alger, ainsi que dans la réunion du Conseil central ce mois-ci à Tunis, pour aller résolument à cette conférence historique. On ne peut nous faire supporter la charge du « non » d’un autre peuple. Nous devons avoir une réciprocité. Nous devons avoir la paix.
Mesdames et Messieurs,
Au Moyen-Orient, il n’existe pas de peuple superflu, hors du temps et de l’espace, mais plutôt un Etat qui fait amèrement défaut dans le temps et dans l’espace : l’Etat de Palestine. il faut qu’il voie le jour sur la terre de Palestine afin de racheter l’injustice que fut la destruction de sa réalité historique et de libérer le peuple palestinien des fers qui en ont fait une victime. Notre patrie n’a jamais cessé d’exister dans notre esprit et dans notre cœur, mais il faut qu’elle existe en tant qu’Etat, sur tous les territoires occupés par Israël pendant la guerre de 1967, avec Jérusalem pour capitale, et compte tenu du statut particulier de la ville et de son caractère non exclus.
Cet Etat, qui est en train d’émerger, est depuis trop longtemps en attente. Il doit être installé aujourd’hui plutôt que demain. Toutefois, nous sommes prêts à accepter la proposition d’une période de transition, à condition que les dispositions intérimaires ne soient pas transformées en un statut permanent. Les délais doivent être réduits pour répondre au besoin urgent d’un sanctuaire qu’ont les Palestiniens dépossédés et au droit des Palestiniens sous occupation à être soulagés de l’oppression et à obtenir la reconnaissance de leur volonté authentique. Durant cette phase, une protection internationale de notre peuple est instamment requise, et l’application de jure de la quatrième convention de Genève est une condition nécessaire. Les étapes ne doivent pas porter préjudice au résultat-, elles requièrent plutôt une dynamique interne qui doit mener de manière séquentielle à la souveraineté. Les négociations bilatérales sur le retrait des forces israéliennes, le démantèlement de l’administration israélienne et le transfert d’autorité au peuple palestinien ne peuvent être conduits sous la coercition ou la menace comme dans la situation actuelle d’asymétrie du pouvoir. Israël doit démontrer sa volonté de négocier en toute bonne foi en interrompant la colonisation et la confiscation des terres, et en mettant en application des mesures substantielles de nature à créer la confiance. Sans progrès réel, sans modifications constructives tangibles, et sans accords équitables au cours des discussions bilatérales, les négociations multilatérales seraient dénuées de sens. La stabilité régionale, la sécurité et le développement représentent la conclusion logique d’une solution équitable et juste de la question palestinienne, qui demeure la clé du règlement des conflits et des questions plus larges.
Dans cette confrontation des volontés entre la légitimité du peuple palestinien et l’illégalité de l’occupation, le message de l’Intifada a été conséquent : matérialiser l’Etat palestinien et construire ses institutions et son infrastructure. Nous demandons une reconnaissance de cette impulsion créative qui porte en son sein l’Etat potentiel naissant. Nous avons payé un lourd tribut pour avoir voulu donner une substance à notre authenticité et pratiquer une démocratie réellement populaire, en dépit de la cruauté de l’occupation. C’est par un pur acte de volonté que nous sommes venus ici. C’est cette même volonté qui s’est affirmée dans l’essence de l’Intifada, en tant que cri pour la liberté, acte de résistance civile et participation et pouvoir du peuple. L’Intifada est notre voie vers la construction nationale et la transformation sociale. Nous sommes ici aujourd’hui avec le soutien de notre peuple qui s’est donné le droit d’espérer et de prendre position pour la paix. Mais nous devons reconnaître qu’une partie de notre peuple reste sceptique et nourrit de sérieux doutes à l’égard de ce processus. Nous avons développé un respect pour le pluralisme et la diversité au sein de nos structures démocratiques, sociales et politiques, et nous maintiendrons le droit qu’a l’opposition de se distinguer dans les limites du respect mutuel et de l’unité nationale.
Le processus lancé ici doit nous conduire à la lumière, au bout du tunnel, et cette lumière représente la promesse d’une nouvelle Palestine libre, démocratique et respectueuse des droits de l’homme et de l’intégrité de la nature.
L’autodétermination, Mesdames et Messieurs, ne peut être ni concédée ni refusée au gré de l’intérêt politique des autres, car elle est gravée dans toutes les chartes internationales et dans la loi humaine. Nous réclamons ce droit : nous l’affirmons fermement ici, devant vous et devant le monde entier, c’est un droit sacré et inviolable que nous rechercherons sans relâche et que nous exercerons avec dévouement, confiance en nous et fierté.
Mettons fin à la fatale proximité israélo-palestinienne, dans cette situation artificielle de l’occupation qui a déjà pris trop de vies. Aucun rêve d’expansion ou de gloire ne peut justifier la disparition d’une seule vie. Libérez-nous, afin que nous puissions nous assumer dorénavant comme des voisins et comme des égaux sur notre terre sacrée.
A notre peuple en exil et sous occupation, qui nous a envoyé à ce rendez-vous, chargés de sa confiance, de son amour, de ses aspirations, nous disons que la charge est lourde et que la tâche est grande, mais que nous lui restons fidèles. Selon les paroles de notre grand poète national, Mahmoud Darwich : « Ma patrie n’est pas une valise, et je ne suis pas un voyageur. » Aux exilés et à ceux qui sont sous l’occupation nous disons : vous retournerez et vous resterez, et nous triompherons, car notre cause est juste. Nous enfilerons nos robes brodées et nos keffiehs et, devant le monde entier, nous fêterons ensemble le jour de la libération.
Les camps de réfugiés ne sont pas des demeures dignes pour des gens qui ont grandi sur la terre de Palestine, dans la chaleur du soleil et de la liberté. La pluie de bombes israéliennes qui se déverse quasi quotidiennement sur notre population civile sans défense des camps de réfugiés au Liban ne saurait remplacer les pluies apaisantes de la patrie. Pourtant, la volonté internationale avait garanti leur retour par la résolution 194 des Nations unies - une mesure délibérément ignorée et laissée sans application.
De la même façon, toutes les autres résolutions se référant à la question palestinienne, depuis la résolution 181 jusqu’à la résolution 681 du Conseil de sécurité, en passant par les résolutions 242 et 338, ont, jusqu’à présent, été cantonnées dans le débat public au lieu d’être réellement appliquées. Elles forment le corpus le plus large de la légalité qui, avec toutes les stipulations afférentes de la loi internationale, constitue le cadre dans lequel doit se dérouler tout règlement pacifique. Si la légitimité internationale et l’autorité de la loi doivent l’emporter et gouverner les relations entre nations, elles doivent être uniformément respectées et appliquées sans parti pris. En tant que Palestiniens, nous ne demandons rien de moins que la justice.
Aux Palestiniens où qu’ils se trouvent : nous tenons dans nos mains le don précieux de votre amour et de votre douleur, et nous le poserons doucement ici, devant le monde entier, en disant qu’ici se trouve un droit qui se doit d’être reconnu, le droit à l’autodétermination et à l’édification d’un Etat ; nous avons la force et dans l’air se répand le parfum de l’encens sacré. Jérusalem, le cœur de notre patrie et le berceau de l’âme, scintille derrière les barrières de l’occupation et de la tromperie. La violation délibérée de sa sainteté est aussi un acte de violence à l’encontre de la mémoire humaine collective, spirituelle et culturelle, une agression contre ses symboles pérennes de tolérance, de magnanimité et de respect de l’authenticité culturelle et religieuse. Il ne faut plus que les rues pavées de la vieille ville renvoient l’écho du rythme dissonant des bottes militaires israéliennes ; nous devons les rendre au chant du muezzin, au tintement des cloches et aux prières de tous les fidèles qui lancent leur appel pour la paix dans la ville de la paix.
De Madrid, allumons le cierge de la paix et laissons fleurir le rameau d’olivier. Célébrons les dtes de la justice et réjouissons-nous avec les hymnes de la vérité, car la crainte du moment est une promesse pour l’avenir, que tous nous devons racheter. Les Palestiniens seront libres et se tiendront droits parmi la communauté des nations, avec toute la fierté et la dignité qui appartiennent de droit à tous les peuples. Aujourd’hui, notre peuple occupé soulève haut le rameau d’olivier de la paix. Selon les paroles du président Arafat, en 1974 devant l’Assemblée générale des Nations unies : « Ne laissez pas le rameau d’olivier tomber de mes mains. » Ne laissez pas le rameau d’olivier tomber des mains du peuple palestinien.