Photo : un homme a perdu tous ces enfants le 13 décembre 2023 à Gaza. Source : Eye on Palestine.
Pendant trois jours, Moemen Raed al-Khaldi est resté blessé et immobile entre les cadavres des membres de sa famille tués, faisant semblant d’être mort pour se protéger des tirs des soldats israéliens.
Le 21 décembre, des soldats israéliens ont fait irruption dans la maison où la famille Khaldi s’était réfugiée dans le nord de Gaza et, en quelques minutes, ils ont abattu toutes les personnes présentes.
Les soldats ont quitté la maison en pensant les avoir tous tués, mais seul Moemen est resté en vie, saignant pendant des jours avant que les voisins ne le trouvent et l’emmènent à l’hôpital.
Depuis son lit d’hôpital dans le complexe médical al-Shifa à Gaza, il a raconté à Middle East Eye ce qui s’est passé le 21 décembre.
Khaldi et sa famille s’étaient rendus chez leurs proches dans le quartier de Sheikh Radwan, au nord de la ville de Gaza, après avoir été contraints d’évacuer leur propre maison.
"J’ai fait semblant d’être mort"
En ce jour fatidique, après le coucher du soleil, la famille avait terminé ses prières et était allongée sur le sol, couverte de couvertures, lorsque les soldats israéliens ont soudainement fait sauter la porte d’entrée et pris d’assaut la maison.
"Toutes les personnes qui se trouvaient à proximité ont été immédiatement blessées, y compris deux femmes, ma grand-mère et une autre femme enceinte" a déclaré Khaldi.
S’adressant à la famille en hébreu, l’armée israélienne a demandé à tout le monde d’évacuer la maison. Cependant, comme personne ne parlait hébreu, les membres de la famille n’ont pas compris les ordres.
"Les soldats ne parlaient pas arabe. Personne ne parlait hébreu et nous ne comprenions pas ce qu’ils disaient. Mon grand-père a donc essayé de traduire. Il n’a dit que quelques mots : Écoutez ce que les soldats vous disent et sortez" raconte Khaldi.
"Les soldats se sont retournés et ont cru que c’était mon père qui avait parlé. Ils lui ont tiré une balle, et il a été immédiatement tué".
Les soldats ont ensuite tiré sur toutes les autres personnes présentes dans la pièce, y compris Khaldi.
"Mon grand-père est ensuite devenu un martyre, suivi de mon oncle, puis de deux autres hommes qui s’étaient également réfugiés avec nous, puis de l’un des propriétaires de la maison. Ensuite, ma grand-mère et la femme enceinte sont devenues martyre".
Après avoir été blessé aux jambes, Khaldi est resté immobile sur le sol, feignant la mort pour éviter que les soldats ne tirent d’autres coups de feu.
"Je me protégeais en restant entre le dos de mon oncle et le mur. Je protégeais ma tête dans cette position. Je suis restée ainsi pendant trois jours en faisant semblant de ne pas être en vie. Pendant ce temps, l’armée est entrée et sortie de la maison, détruisant l’endroit, mais j’ai fait semblant d’être [mort]", se souvient-il.
"Trois jours plus tard, des gens m’ont transféré à l’hôpital avec les membres de ma famille devenues martyres.
"Ils ont abattu maman, puis papa"
Le 27 octobre, l’armée israélienne a lancé une invasion terrestre dans les zones urbaines, les rues et les quartiers densément peuplés de la bande de Gaza.
Quelques jours avant l’invasion, l’armée israélienne a commencé à ordonner aux habitants de la ville de Gaza et du reste du nord de la bande de Gaza d’évacuer leurs maisons et de se réinstaller dans les zones du sud de la vallée de Gaza.
L’armée a déclaré qu’elle considérait les Palestiniens qui ne se conformaient pas aux ordres d’évacuation comme des "terroristes", et ses forces ont depuis lors fait usage de la force meurtrière contre les personnes qui ont choisi de rester.
Le 22 décembre, dans le même quartier où la famille de Khaldi a été exécutée, Faisal Ahmed al-Khaldi, un membre de sa famille âgé de six ans, a survécu à un incident similaire après que des soldats israéliens ont abattu ses parents devant lui, dans la maison de son oncle.
"Nous étions à la maison et le char d’assaut était stationné près de la porte du bâtiment. Une nuit, ils ont défoncé la porte et sont entrés en trombe. La porte de l’appartement de mon oncle Mohammed était fermée à clé, ils l’ont forcée et sont entrés. Ils ont tiré sur tout le monde dans la chambre d’amis " a expliqué Faisal à MEE.
"Nous dormions, j’ai entendu leur [bruit], alors j’ai demandé à ma mère : Quel est ce bruit ? Elle m’a répondu : Ce sont des Israéliens. À peine avait-elle dit cela qu’ils lui ont tiré dessus, puis ils ont tiré sur mon père. "
Les soldats israéliens ont ensuite ordonné aux autres membres de la famille de Faisal de se rassembler dans une pièce, laissant les enfants les observer depuis le couloir.
Faisal a été touché par des éclats d’obus provenant des balles qui ont tué ses parents, mais le choc l’a empêché de sentir sa blessure sur le moment.
"Nous nous sommes cachés dans la chambre de mon cousin Layan. Je ne pouvais pas marcher, je tombais sans cesse, alors mon oncle, Mohammed, m’a porté. Lorsqu’il l’a fait, les soldats lui ont ordonné, ainsi qu’au grand-père de Layan, de se déshabiller", a-t-il raconté.
"Ils leur ont ordonné de s’asseoir et nous sommes tous allés nous asseoir dans le couloir."
Après que les soldats ont quitté la maison, la famille est allée se réfugier dans une école, et ce n’est qu’à ce moment-là que Faisal a ressenti une douleur à l’abdomen.
Ce n’est qu’à ce moment-là que Faisal a ressenti une douleur à l’abdomen. "Ils ont enlevé mes vêtements, ont découvert que j’étais blessé et m’ont emmené à l’hôpital", a-t-il déclaré.
Exécuté devant ses enfants handicapés
Une semaine plus tard, à quelques kilomètres de là, des soldats israéliens ont exécuté Kamel Mohammed Nofal, 65 ans, employé retraité de l’Office de secours et de travaux des Nations unies, sous les yeux de sa femme et de ses enfants adultes handicapés, alors qu’"il essayait de leur expliquer que ses enfants ne pouvaient pas comprendre les instructions " a déclaré à MEE Jamal Naim, un de ses proches.
"Les forces israéliennes sont arrivées dans l’immeuble où Kamel et sa famille vivaient et ont ordonné à tout le monde d’évacuer le bâtiment. Ils sont tous descendus et se sont rassemblés dans la rue devant l’immeuble", a-t-il déclaré.
"Il y avait 24 résidents, dont Kamel, sa femme de 63 ans, Fatima Jamil Timraz, et leurs quatre enfants, leurs épouses et leurs enfants. Parmi eux, il y avait au moins neuf enfants, dont le plus jeune avait quatre mois.
Selon Naim, trois des enfants de Nofal sont sourds et muets, et le quatrième est malvoyant.
"Les soldats israéliens donnaient au groupe des instructions sur l’endroit où aller et ce qu’il fallait faire, mais les enfants de Kamel ne pouvaient pas comprendre car ils n’étaient pas en mesure d’entendre, de voir ou de communiquer correctement avec les forces, et les soldats ont donc commencé à les détenir" a-t-il déclaré.
"Kamel s’est exprimé en hébreu et a dit aux soldats que ses fils Hussam, 40 ans, Ahmed, 36 ans, et Mahmoud, 32 ans, ainsi que sa fille Wafaa, 31 ans, étaient handicapés. Les soldats l’ont immédiatement abattu. Il a été tué devant ses enfants et devant tout le monde".
Naim a indiqué que les soldats israéliens avaient ensuite arrêté les enfants de Nofal et le reste des membres de sa famille. On ne sait toujours pas où ils se trouvent.
"Ils ont exécuté tout le monde"
Lorsque l’armée israélienne a atteint le quartier d’al-Rimal, dans le centre de la ville de Gaza, elle a pris pour cible plusieurs bâtiments commerciaux et résidentiels. Les habitants n’ont toutefois pas été autorisés à évacuer les lieux.
Le journaliste Ahmed Dawoud, 38 ans, se trouvait encore chez lui, près du carrefour de la Palestine, lorsqu’un char israélien a pris pour cible l’appartement de son voisin et qu’il a été contraint de fuir.
"J’ai quitté ma maison après que l’appartement voisin a été incendié. Nous avons quitté l’immeuble avec une trentaine de personnes, dont la fille de mon ami journaliste. Nous essayions de fuir, mais en arrivant au carrefour, deux filles ont été tuées" a-t-il raconté.
"L’une [des filles] avait huit ans, c’était la fille de mon ami journaliste, et l’autre avait 15 ans. Ils les ont exécutées sous nos yeux. Si nous n’avions pas trouvé refuge, nous aurions également fait partie des martyrs.
Lorsque les soldats ont ouvert le feu sur les habitants, certains se sont repliés dans le bâtiment, d’autres ont décidé de marcher vers un endroit plus sûr.
"Le corps de la fille de mon ami est resté dans la rue. Nous sommes entrés dans une maison au hasard et, pendant quatre ou cinq jours, nous n’avons fait que regarder [par la fenêtre], en essayant de récupérer le corps. Nous étions encerclés par des soldats israéliens qui exécutaient tous les habitants de la région" a-t-il déclaré.
"Cinq jours plus tard, nous sommes descendus et avons récupéré le corps sous les quadcopters (drônes) [israéliens]"
Lorsqu’il a fui l’immeuble, certains de ses voisins sont restés dans leur appartement. Lorsque les soldats israéliens sont entrés dans l’immeuble et les ont trouvés, ils ont exécuté toute la famille, avant de mettre le feu à la maison.
"Ils les ont tous exécutés, tout le groupe... Ils ont exécuté tout le monde dans la région, ils n’ont laissé personne".
– Mohammed Qreiqe, à Gaza, a contribué à ce rapport.
Traduction : AFPS