Photo : Pêcheurs palestiniens au large des côtes de Gaza @ UN Photo/Shareef Sarhan
Tous les matins, à l’aube, Mahmoud Hamada pousse son bateau à l’eau, conscient du risque de ne jamais rentrer.
« On peut pêcher à l’aube, mais on sait à coup sûr qu’on nous tirera dessus dès qu’il sera bientôt midi », a-t-il déclaré à Middle East Eye le mois dernier sur la plage de Deir al-Balah, dans le centre de la bande de Gaza.
Les 4 000 pêcheurs de Gaza constituent l’épine dorsale de la société de l’enclave palestinienne sous blocus, l’approvisionnant en poisson frais malgré les restrictions sévères imposées par Israël sur la pêche dans les eaux de Gaza.
Depuis la guerre qui a commencé le 7 octobre, ces restrictions n’ont fait que se renforcer et le danger encouru pour fournir de la nourriture à 2,2 millions de Palestiniens affamés s’est accru de manière exponentielle.
« On dispose d’un espace limité dans lequel on peut pêcher en toute sécurité. Si on va au-delà, un navire israélien s’approchera et nous tuera », expliquait Mahmoud Hamada.
« Je travaille depuis plus de vingt ans comme pêcheur, mais je n’ai jamais vécu une telle situation. Je souhaite que cette guerre se termine au plus vite, car cela fait cinq mois que nous saignons et nous n’en pouvons plus. »
Deux semaines plus tard, Mahmoud Hamada a été abattu alors qu’il tentait de sauver un enfant de neuf ans des tirs israéliens.
Mohammed, 15 ans, le fils de Hamada, a assisté à l’exécution de son père. « Le tireur d’élite a tiré deux fois dans le cou de l’enfant et sa tête s’est détachée de son corps », raconte-t-il à MEE.
« Mon père a essayé de récupérer son corps, c’était le moins qu’il puisse faire. Malheureusement, un char d’assaut lui a tiré une balle dans la tête, pulvérisant son crâne. »
Ce père de huit enfants avait auparavant un atelier près de sa maison dans le camp de réfugiés d’al-Shati, dans la ville de Gaza, rempli d’outils qu’il avait rassemblés au cours de deux décennies de travail. Sa maison et son atelier ont été complètement détruits par les bombardements israéliens. Mahmoud Hamada et sa famille vivaient dans une tente à Deir al-Balah lorsqu’il a été tué.
« Nous nous battons littéralement pour notre existence, qui se réduit peu à peu », a déclaré Mahmoud Hamada à MEE avant sa mort.
Risques et restrictions
La mort de Mahmoud Hamada est la preuve que les Palestiniens de la bande de Gaza ne sont à l’abri de rien.
Pourtant, alors qu’Israël n’autorise l’entrée de pratiquement aucune aide dans l’enclave déchirée par la guerre, ce qui a entraîné la mort d’au moins dix-sept personnes des suites de la malnutrition, et que des ONG et un expert des Nations unies ont mis en garde contre une famine imminente, le métier de pêcheur, particulièrement périlleux, n’a jamais été aussi crucial.
Imad al-Aqra, un pêcheur de Deir al-Balah, indique avoir été la cible d’une vingtaine de coups de feu au cours des derniers mois.
« À chaque fois, j’ai été attaqué directement par la marine israélienne. Je sais que ma vie est en danger, mais comment puis-je vivre si je ne gagne pas ma vie grâce à mon métier de pêcheur ? », confie-t-il à MEE.
Imad al-Aqra et ses collègues pêchent à bord de simples petites embarcations en bois ou en plastique. Leurs rames sont de fabrication artisanale. « Parfois, nous utilisons nos mains à la place », explique-t-il.
« Une fois que nous sommes en mer, le navire militaire s’approche et commence à nous tirer dessus. Mais pourquoi ? Nous ne sommes que des pêcheurs. »
Avant l’attaque du Hamas contre Israël le 7 octobre, les pêcheurs palestiniens étaient autorisés à pêcher à six miles (environ 9,65 kilomètres) de la côte de Gaza.
Bien que cela limite la taille et la variété des poissons que les Palestiniens peuvent pêcher, les pêcheurs étaient néanmoins en mesure d’approvisionner les tables des habitants de Gaza en sardines, crevettes, thon, poulpe et bien plus encore.
Aujourd’hui, les eaux côtières sont beaucoup moins accessibles et les prises sont donc plus maigres. Imad al-Aqra explique qu’il ne pêche plus que deux ou trois kilos de poisson par jour, soit environ un quart de ce qu’il pêchait avant la guerre.
« La distance maximale que nous pouvons atteindre est d’environ 400 mètres. Chaque jour est un défi différent. Vous pouvez être attaqué à 10 mètres, 50 mètres, 200 mètres ou 400 mètres, mais il est impossible d’aller plus loin », explique-t-il.
« Une fois qu’on est repéré, on peut entendre l’écho des balles qui frappent le bateau. La plupart du temps, on doit quitter nos embarcations et nager pour survivre. C’est terrifiant. »
Le mois dernier, un proche d’Imad al-Aqra a été tué par des tirs israéliens alors qu’il était parti pêcher, touché deux fois au cou. L’homme qui l’accompagnait est toujours en soins intensifs.
Et il n’y a aucune certitude que tous ces risques aboutissent à une bonne pêche. « La plupart du temps, nous ne pêchons rien », déplore Imad al-Aqra. « Que dire à sa famille affamée quand on revient les mains vides ? C’est tellement douloureux. »
La guerre d’Israël à Gaza a tué plus de 30 000 Palestiniens et provoqué une catastrophe humanitaire.
Vendredi 1er mars, l’agence des Nations unies pour les réfugiés palestiniens, l’UNRWA, a déclaré qu’environ 97 camions d’aide entraient à Gaza par jour le mois dernier, contre 150 en janvier. L’agence affirme que 500 camions d’aide sont nécessaires chaque jour pour répondre aux besoins urgents des Palestiniens.
À mesure que les denrées alimentaires se font plus rares, leurs prix augmentent.
Hussain al-Ramlawi, père de quatre enfants, originaire du quartier al-Tuffah de la ville de Gaza et actuellement déplacé à Deir al-Balah, affirme qu’il est difficile de trouver du poisson au marché.
« Ce qu’on trouve est tellement limité », dit-il à MEE. « Le poisson est très cher. Par exemple, on peut acheter un kilo de crevettes pour 45 dollars, mais c’est tout simplement inabordable. »