Photo : Malgré la guerre interminable d’Israël et les conditions terrifiantes, l’atmosphère du Ramadan persiste à Rafah © Quds News Network
Dès qu’arrive le mois sacré de Ramadan, Diab al-Zaza, 77 ans, et sa famille ont l’habitude de décorer les rues de leur quartier. Avec ses dix enfants, il se promène dans les rues en distribuant des lanternes traditionnelles et des bonbons aux voisins.
Le mois sacré est généralement très attendu à Gaza, car il offre aux musulmans un moment de réflexion et de pratiques cultelles, et plus de temps à passer avec leur famille et leurs proches.
Mais cette année, après plus de cinq mois de guerre dans l’enclave assiégée, le Ramadan, qui commence ce lundi, rend de nombreux Palestiniens très anxieux.
Depuis le début de la guerre le 7 octobre, au moins 31 112 Palestiniens ont été tués à Gaza, tandis que plus de 72 000 ont été blessés, selon les autorités locales.
L’ONU a annoncé samedi que 80 % de Gaza était désormais inhabitable, tandis que 100 % des Palestiniens sont exposés à la faim.
« J’ai traversé de nombreuses épreuves, mais de toute ma vie, je n’ai jamais vécu de jours aussi difficiles, à cause de la faim, de la soif, de la mort et de la séparation », témoigne Diab al-Zaza à Middle East Eye.
Les bombardements israéliens l’ont séparé de sa famille. Sa femme a refusé de déménager vers le sud avec leurs fils et filles. Aujourd’hui, il ne peut plus voir ses dix enfants et cinquante petits-enfants.
« Nous vivons maintenant dans des conditions pires que la Nakba », constate-t-il en référence à la période où les Palestiniens ont été tués ou chassés de leurs foyers lors de la création de l’État d’Israël.
« À l’époque de la Nakba, il y avait moins de gens et le pays était ouvert, mais maintenant, nous sommes assiégés de tous les côtés. »
Cette année, Diab al-Zaza confie qu’il ne décorera pas les rues pour le Ramadan, car trop de personnes, y compris ses amis, parents et voisins, ont été tués, et sa famille a été déplacée.
« J’ai perdu douze kilos depuis le début de la guerre »
« Le Ramadan cette année sera triste parce que la guerre ne nous a rien laissé. Ils [l’armée israélienne] ont détruit les mosquées, ils ont même détruit la mosquée al-Omari, qui avait plus de 1 400 ans. Maintenant, nous n’avons plus où aller pour les prières de tarawih [prières nocturnes du Ramadan] », ajoute-t-il.
Pour lui, les sons de joie habituels qui résonnent durant cette période de l’année ont été remplacés par des larmes.
L’ONU et plusieurs agences d’aide ont répété à plusieurs reprises que Gaza était au bord de la famine, appelant Israël à permettre immédiatement l’entrée de l’aide.
Au moins 25 personnes sont mortes de malnutrition et de déshydratation depuis le début de la guerre, y compris un enfant de 10 ans atteint de paralysie cérébrale.
« Nous jeûnons presque contre notre volonté depuis trois mois à cause de la faim car il n’y a pas de nourriture disponible », explique le septuagénaire. « J’ai perdu douze kilos depuis le début de la guerre. Plusieurs fois, quand je marchais avec ma femme, j’ai eu des vertiges. »
Dans ces conditions, il ne sait pas s’il sera capable de jeûner cette année. Il a également déjà souffert d’un AVC, tandis que sa femme est diabétique et a été forcée de diviser son injection d’insuline habituelle par trois en raison de la pénurie de médicaments.
Israël a coupé à Gaza tout approvisionnement en carburant, nourriture, eau, aide et électricité le 9 octobre, poussant progressivement le système médical et hospitalier à l’effondrement. Les boulangeries, supermarchés et pharmacies ont été bombardés, limitant considérablement la quantité de nourriture disponible.
Khalil Atallah, 42 ans, père de six enfants, avait lui aussi l’habitude de décorer la rue Yarmouk avant le Ramadan. Il espère qu’un cessez-le-feu offrira un répit face à la mort et à la destruction.
« Chaque année, je suis habitué à voir les marchés ouvrir avant le Ramadan, et à voir les plus belles lanternes, décorations, et les quartiers peints. Il y a certaines traditions, coutumes et rituels religieux qui répandent la joie dans le cœur de tout le monde, mais cette année, le quartier de Tal al-Hawa a été détruit », explique-t-il à MEE.
Khalil Atallah et sa famille ont été déplacés plusieurs fois depuis le début de la guerre, et maintenant, dit-il, ils vivent une « guerre de la faim ».
« Chaque foyer envisage la journée avec morosité. J’ai perdu plus de 50 membres de ma famille dans les bombardements. Ce Ramadan sera différent de tous les autres à cause de l’oppression », confie-t-il.
Malgré les circonstances difficiles, Khalil Atallah a décidé de décorer la rue Yarmouk, où il réside, « pour prouver aux gens que nous aimons la vie, que nous avons une volonté inébranlable, et que nous méritons de vivre ».
« Nous créons une atmosphère agréable et nous essayons de décorer, mais en nous, il y a un sentiment profond de douleur et de tristesse. Il n’y a pas une maison à Gaza où un membre de la famille n’ait pas été tué ou emprisonné », insiste-t-il, en disant espérer un cessez-le-feu pour bientôt.
Travailler au lieu de prier
Pour beaucoup à Gaza, le mois sacré, habituellement réservé à davantage de prières et de bonnes actions, sera consacré à travailler de longues heures pour gagner de l’argent afin d’acheter de la nourriture. Depuis le début de la guerre, la rareté des denrées alimentaires a fait flamber les prix des biens de première nécessité.
Fatima Madoukh, 38 ans, mère de six enfants, avoue ne pas se sentir prête pour le Ramadan.
« Bien que ce soit un mois de bonté et de bénédictions, ma famille et moi sommes tous affamés. Je n’avais jamais eu à travailler avant la guerre, mais maintenant, tous mes enfants et moi travaillons à cause de cette situation. »
Fatima s’est retrouvée obligée de mélanger de la farine avec de l’orge, du blé, du maïs et de la nourriture pour oiseaux ou tout ce qu’elle peut trouver pour nourrir ses enfants, dont l’un a des problèmes cardiaques.
« Mon mari est malade et ne peut pas travailler. Je travaille tous les jours de 4 h du matin à 17 h pour offrir à ma famille le minimum. Nous mangeons seulement une fois », témoigne-t-elle. Souvent, elle ne peut pas dormir à cause des douleurs provoquées par la faim.
Abu Fayek Daban, un pâtissier de 50 ans, raconte que son travail a été privé de toute joie.
« Il n’y a pas d’esprit joyeux », relève-t-il. « Tout est difficile à obtenir, la plupart de mes préparations dépendent de la farine, de la semoule, du sucre, des noix, de l’eau de rose, du gaz de cuisson. Toutes ces choses aujourd’hui sont difficiles à obtenir ou sont disponibles seulement à des prix très élevés. »
Selon lui, un sac de farine, avant la guerre, coûtait 30 shekels (7,60 euros), alors que maintenant, il coûte plus de 1 000 shekels.
Le Ramadan était la période de l’année où il réalisait ses meilleures ventes, les clients venant s’approvisionner chez lui en friandises après leur iftar (repas de rupture du jeûne). Alors que la guerre ne montre aucun signe d’apaisement, il s’inquiète de la façon dont il continuera à maintenir son gagne-pain.
Abu Fayek Daban explique qu’en ce moment, beaucoup viennent chez lui acheter des awamas (beignets frits en forme de boules), qui peuvent être mangés au petit-déjeuner, au déjeuner ou au dîner, car ils sont copieux.
« Dès 7 h du matin, lorsque j’ouvre, beaucoup de gens viennent me voir et attendent que je leur prépare toutes sortes de friandises, afin de pouvoir en acheter de petites quantités pour satisfaire leur faim. Un kilo d’awamas coûtait 12 shekels [3 euros]. Je le vends maintenant pour 40 [10 euros] parce que le prix de la farine est très élevé. » Dès que possible, il voudrait faire baisser les prix.
« Nous ne méritons pas toutes ces souffrances auxquelles nous sommes confrontés. Nous sommes en paix et nous voulons vivre dans la tranquillité », explique-t-il, en exhortant le monde à prendre conscience des souffrances des Palestiniens.
Dans certaines parties du nord de Gaza, des familles ont peint à la bombe les vœux du Ramadan sur les murs de maisons qui restent encore debout, même partiellement.
Dans d’autres régions, des enfants vendent des lanternes du Ramadan sur des étals de fortune dans l’espoir de répandre un peu de joie tout en gagnant quelques pièces.
Samar Atallah, une enfant du nord de Gaza, rapporte à MEE qu’elle aurait souhaité passer le Ramadan comme le reste des musulmans du monde entier.
« Chaque mosquée est détruite à Gaza et, dans chaque maison, il y a quelqu’un qui a été tué ou blessé. Comment sommes-nous censés vivre ? Nous essayons juste de compenser la perte en répandant un tout petit peu de joie. J’ai envie de pleurer à cause de tout ce qui s’est passé. C’est fatigant, tout est détruit. Avant la guerre, nous entendions l’adhan [appel à la prière] des mosquées. Maintenant, nous n’avons plus rien. Nous continuerons à prier dans nos maisons détruites, mais nous voulions faire les belles prières de tarawih dans les mosquées. »
À quelques mètres d’où elle se trouve, sur un mur, est écrit en arabe : « Malgré la guerre et la faim, bon Ramadan ».