Photo : Des Palestiniens inspectent les ruines de maisons visées par une attaque aérienne israélienne à Beit Lahiya, nord de Gaza, 9 octobre 2023 - Crédit : Mohammed Zaanoun
Depuis des décennies, les Palestiniens et leurs partisans affirment que les grands médias occidentaux sont largement biaisés en faveur d’Israël.
L’attaque surprise du Hamas contre Israël et l’assaut militaire israélien contre Gaza qui s’en est suivi ont relancé le débat.
De nombreux analystes des médias, s’appuyant sur des données et des éléments empiriques, s’accordent à dire qu’il y a un parti pris, même dans des médias réputés comme la BBC, malgré les améliorations récentes et l’espace accru accordé aux voix reflétant le point de vue palestinien.
Dimanche, la journaliste de Channel 4 News, Cathy Newman, a parlé à l’ambassadeur palestinien au Royaume-Uni, Husam Zomlot, immédiatement après avoir interviewé un homme politique israélien du Likoud. La toute première question que Mme Newman a posée à M. Zomlot était de savoir s’il condamnait les actions du Hamas. Le représentant du Fatah a refusé de répondre à la question, expliquant :
« L’obsession de toujours blâmer la victime, l’occupé, le colonisé, l’assiégé, alors qu’en fait je ne vous ai pas vu lui demander [au politicien du Likoud] de condamner [...] dès votre première question le meurtre d’une famille entière [à Gaza] que votre journaliste vient de mentionner ».
La question posée par Mme Newman est souvent posée aux Palestiniens par les médias occidentaux. Dans le passé, alors que des centaines de Palestiniens ont été tués par des frappes aériennes israéliennes, les médias occidentaux se sont concentrés sur les roquettes du Hamas, même lorsqu’elles n’avaient tué personne.
On demande aux Palestiniens, même à ceux qui ne sont pas affiliés au Hamas, de condamner les crimes présumés commis par d’autres Palestiniens, alors qu’on ne demande pas à un homme politique membre du parti au pouvoir en Israël de condamner les crimes présumés commis par Israël.
Péchés d’omission
Une autre accusation portée contre les médias occidentaux sur Israël et la Palestine est qu’ils omettent le contexte qui est vital pour comprendre le conflit. George Orwell, parlant de la propagande en termes généraux, l’a comparée à une horloge qui démarre et s’arrête.
Pour de nombreux médias occidentaux, c’est au moment où le Hamas frappe que l’horloge démarre, pour ainsi dire - ou, comme le dit le présentateur, il s’agit simplement d’une « attaque non provoquée » du Hamas surgie de nulle part.
Les critiques disent que cela devient le seul centre d’attention des médias, présentant le Hamas en termes simples comme le seul opposant, sans aucun contexte politique plus large et immédiat.
Comme l’ont souligné les analystes, une myriade de facteurs sont intervenus avant que les médias ne « déclenchent l’horloge ».
Une fois la situation résolue, comme par le passé lorsque Israël a cessé de bombarder Gaza, l’horloge est à nouveau arrêtée par les médias et l’attention se porte ailleurs.
Cela crée une chronologie des événements qui commence par la provocation palestinienne et se termine par les représailles israéliennes.
Dans l’interview de M. Zomlot par Channel 4 News, les omissions de la présentatrice ont donné une image biaisée de la situation. Le contexte d’Israël, superpuissance régionale dotée de l’arme nucléaire et soutenue par les États-Unis, qui occupe illégalement, assiège et commet quotidiennement des crimes documentés contre les Palestiniens en Cisjordanie et à Gaza, est complètement effacé.
M. Zomlot dénonce ce récit dépolitisé lorsque le présentateur continue d’insister pour qu’il dénonce le Hamas et se concentre sur la prise d’otages.
« Savez-vous, Cathy, qu’Israël a pris en otage 2 millions de personnes [en référence au siège de Gaza] pendant 16 ans... et pourtant il n’y a pas de tollé... assez ironiquement, ce sont des otages qui prennent des otages », répond-il.
Le langage dynamique : le « droit d’Israël à se défendre » contre le « terrorisme » palestinien
Le langage utilisé par les médias en tient également compte. À la suite de l’attentat, The Guardian a publié un éditorial faisant référence au « déchaînement meurtrier perpétré par le Hamas ». De même, The Economist a parlé de « l’attaque sanguinaire du Hamas ».
Si ce langage peut être ou non approprié, le fait est qu’il ne serait jamais utilisé par les médias occidentaux pour décrire des crimes israéliens d’une ampleur similaire, voire pire. Ces médias ne décriraient jamais Israël tuant des milliers de civils à Gaza comme un « déchaînement israélien meurtrier » ou une « attaque israélienne sanguinaire ».
La dynamique biaisée décrite par les médias occidentaux est que lorsque Israël bombarde des maisons, des hôpitaux et des écoles à Gaza, il a le « droit de se défendre », mais que tout acte de violence de la part d’un Palestinien relève du « terrorisme ».
Le mot « terroriste » est exclusivement utilisé par les médias et les politiciens pour désigner le Hamas parce qu’il prend pour cible des civils, mais il ne serait jamais appliqué à Israël lorsqu’il s’avère qu’il a délibérément pris pour cible des civils à Gaza. Ou lorsqu’il punit collectivement les Palestiniens, comme il le fait depuis 16 ans à Gaza par son siège asphyxiant. Les critiques soutiennent qu’il s’agit d’actes de terreur d’État et qu’ils doivent être décrits comme tels, et que nombre d’entre eux constituent clairement des crimes de guerre, même selon la description qu’en font les Nations unies.
Mais pourquoi ce parti pris ?
De nombreux analystes affirment que la raison de ce parti pris réside précisément dans le déséquilibre massif des relations de pouvoir entre les Palestiniens et Israël.
Israël est un État reconnu qui entretient d’étroites relations commerciales, militaires et diplomatiques avec l’Occident. Il est souvent considéré comme une démocratie occidentale au milieu des autocraties « orientales » du monde arabo-islamique, bien qu’il soit une puissance occupante et qu’il maintienne des millions de Palestiniens dans un état qualifié d’« apartheid » par les groupes de défense des droits humains non partisans, les Nations unies et même les détracteurs d’Israël. Souvent, les Palestiniens n’ont même pas de droits fondamentaux, sans parler des droits individuels avancés associés à la démocratie libérale occidentale.
D’autre part, les Palestiniens n’ont pas d’État et doivent opérer dans les limites de l’occupation israélienne. Israël peut fournir une propagande d’État sophistiquée et des briefings politiquement influents et peut donc mieux contrôler et façonner le récit, tandis que les Palestiniens sont embourbés dans les conditions des opprimés - pauvreté, division et manque de représentation viable.
Pour ces raisons, les partis pris pro-israéliens des médias occidentaux sont considérés comme le reflet de l’association politique plus large d’Israël avec les gouvernements occidentaux et sont donc endémiques. Bien qu’il soit impossible de calculer les effets de ces prétendus partis pris, leurs détracteurs affirment qu’ils aident, volontairement ou involontairement, Israël à s’en tirer avec des crimes qui ne sont même pas reconnus comme tels.
Dans ce cycle de violence, certaines voix palestiniennes sont représentées dans les médias occidentaux. Le New York Times, connu pour sa position ouvertement pro-israélienne, a par exemple montré les photos et publié les noms de 67 enfants palestiniens tués par Israël lors des frappes aériennes israéliennes sur Gaza en 2021.
Au cours du week-end, le secrétaire général de l’Initiative nationale palestinienne, Mustafa Barghouti, a eu le temps, sur CNN, de présenter le point de vue des Palestiniens et d’établir le contexte politique des récentes violences sans être interrompu ou coupé.
Mais le parti pris pro-israélien reste systématique, c’est une caractéristique et non un bug des grands médias occidentaux.
Traduit par : AFPS