La plus grande confusion entoure toujours le statut exact de la bande de Gaza, les Israéliens assurant que leur retrait, qui devrait être achevé lundi, mettait fin à l’occupation pendant que les Palestiniens dénonçaient une "prison" à ciel ouvert.
"Nous allons déclarer la fin de l’administration militaire à Gaza", a déclaré le ministre de la Défense Shaul Mofaz à la télévision palestinienne, à quelques heures du départ de Tsahal après 38 ans d’occupation. "Nous n’avons plus la moindre responsabilité concernant Gaza".
Certains responsables palestiniens estiment à l’inverse que l’évacuation des 21 colonies juives de cette étroite bande de terre met fin à la "colonisation" mais pas à "l’occupation", Israël refusant de céder le contrôle des frontières et des voies aériennes et maritimes.
L’Etat juif justifie ces mesures en invoquant la nécessité de lutter contre le trafic d’armes.
Mais les factions radicales palestiniennes ont menacé de rompre avec "l’accalmie" observée depuis huit mois si elles restaient privées de leur liberté de mouvement.
L’émissaire des Nations unies, Alvaro Soro, a jugé que le retrait de Gaza était "un pas dans la bonne direction" mais qu’il était trop tôt pour déterminer le statut du territoire : "Nous devons observer (...) l’effet sur le terrain".
La première norme internationale susceptible de trancher la question est la Convention IV de La Haye adoptée en 1907, selon laquelle un territoire "est considéré comme occupé lorsqu’il est de fait placé sous l’autorité d’une armée ennemie".
Signée en 1949, la quatrième Convention de Genève énumère de son côté les obligations de la puissance occupante, qui doit fournir aux populations occupées des services de base et permettre aux organisations internationales d’accéder librement au territoire.
Les gouvernements israéliens successifs ont toujours fait valoir que la Convention de Genève concernait des relations entre Etats, et donc ne s’appliquait pas au cas des territoires palestiniens. Gaza et la Cisjordanie "font l’objet d’un conflit" mais ne sont pas "occupés", affirme l’Etat juif.
Les Palestiniens répondent que Gaza et la Cisjordanie ne forment qu’une seule entité géographique, selon les accords d’Oslo de 1993, et donc qu’on ne peut "libérer" l’un en occupant l’autre.
Ils craignent par ailleurs que le retrait de Gaza ne soit qu’un prélude au renforcement de la colonisation en Cisjordanie. L’extension des colonies de Maale Adumim et Ariel s’y intensifie, tout comme la construction du Mur d’annexion.
Les autorités israéliennes ont aussi fermé pour 6 mois la frontière avec l’Egypte dont elles entendent conserver la télé surveillance sécuritaire.
Mais pour aujourd’hui, à Gaza, la foule palestinienne, euphorique, attend.
De temps à autre, les soldats israéliens montant la garde jusqu’au retrait complet, lundi, tirent des coups de feu en l’air pour tenir à l’écart la foule des Palestiniens qui se presse contre la clôture séparant l’ancienne colonie de Gush Katif de la ville palestinienne de Khan Younès.
"Faites ce que vous voulez ! Tirez autant que vous voulez ! On s’en moque, c’est votre dernier jour ici !", leur hurle un adolescent palestinien à travers les fils barbelés. Trois jeunes lanceurs de pierres ont d’ailleurs été blessés par des soldats de Tsahal qui ont tiré dans leur direction.
Des militants palestiniens en armes se sont rassemblés dans les rues de Khan Younès, prêts à fondre sur Gaza pour célébrer leur "victoire".
Des habitants se sont hissés sur les toits du quartier des réfugiés afin d’avoir une vision d’ensemble des colonies évacuées : les terrains rasés par les bulldozers israéliens et, dans le lointain, le scintillement de la mer Méditerrannée, qui sera bientôt enfin accessible.
Là-bas, une colonne de fumée s’élève de l’ancienne enclave de Neve Dekamil, où l’armée dynamite les dernières infrastructures militaires.
Cependant le tout récent revirement israélien concernant les synagogues est porteur de difficultés et de violence, les Palestiniens se retrouvant chargés de les assumer. Leur destruction pourra être un prétexte à bien des accusations, voire des provocations.
"Nous sommes remplis de joie et d’impatience à l’idée de voir les Israéliens quitter notre territoire pour de bon. Cela va être notre jour le plus heureux depuis des dizaines d’années", se réjouit Sami Abou-Akar, 35 ans."Nous n’allons pas dormir cette nuit. Nous allons les observer jusqu’au moment de leur départ et puis nous entrerons tous."
Il n’y a pas si longtemps, cette bande de sable et de gravats où se tient la foule était une zone dangereuse pour les Palestiniens. N’importe lequel d’entre eux pouvait se faire abattre à vue par une armée israélienne toujours en alerte pour contrer les attentats.
Mais depuis l’évacuation des 8.500 colons israéliens et la destruction de leurs maisons par l’armée, les Palestiniens osent à nouveau s’aventurer dans la zone-tampon.
Leur nombre a considérablement augmenté à l’approche de la fin du compte à rebours, et leur impatience aussi. La semaine dernière, des soldats israéliens ont tué deux Palestiniens qui avaient essayé de franchir les clôtures.
Les forces de sécurité palestiniennes admettent qu’il sera très difficile d’éviter la ruée dans les territoires évacués après le départ de l’armée israélienne. Mais l’inquiétude n’est pas le sentiment dominant.
"Mes hommes se sentent très bien. Je vois déjà des larmes de joie dans leurs yeux. C’est notre grand jour, le jour de tous les Palestiniens", déclare Maher Zeyara, un commandant des forces de sécurité.
"A partir de demain, quand ils seront partis, nous aurons de meilleurs emplois", explique Charif Assadik, 27 ans, qui se tient dans la foule bouillonnante. "Il n’y aura plus de barrages routiers et on pourra traverser les frontières plus librement."
"Nous avons subi leur présence et leur occupation pendant si longtemps, il est maintenant temps que nous nous sentions bien chez nous."