La spirale d’escalade de la violence dans laquelle sont enfermés Israël et les activistes de Gaza traduit non seulement l’échec de la dissuasion, mais le fait que son efficacité est liée à des valeurs morales fondamentales.
Certains stratèges en matière de sécurité et des théoriciens de la guerre juste estiment que la dissuasion n’est peut-être pas moralement condamnable si la vie et le bien-être des populations civiles ne s’en trouvent pas directement affectés. La menace de représailles sur laquelle repose la dissuasion reste implicite et hypothétique. Néanmoins, quand la dissuasion devient punition collective – interdite en droit international par l’article 33 de la quatrième convention de Genève –, elle a peu de chances de se révéler efficace.
Israël, qui s’est retiré unilatéralement en périphérie de Gaza en septembre 2005, cherche à empêcher les combattants de la résistance palestinienne de lancer des roquettes sur son territoire. Peu après son redéploiement aux frontières de Gaza, Israël a considérablement limité les déplacements entre Gaza et la Cisjordanie, ainsi que les mouvements de marchandises à l’entrée et à la sortie de Gaza.
Quand, en janvier 2006, un Parlement dominé par le Hamas a été élu à l’issue d’élections libres et équitables, les USA et Israël ont mené une campagne pour que les banques, y compris les banques arabes et islamiques, ne traitent pas avec le nouveau gouvernement. Israël a systématiquement refusé les offres répétées d’un accord de cessez-le-feu du Hamas en échange de la levée de l’état de siège de Gaza. Selon un sondage de la société Dialog publié par le quotidien israélien Haaretz, 64 % des Israéliens sont favorables à un dialogue officiel avec le Hamas. Mais le gouvernement et l’armée israélienne s’y refusent et traitent le Hamas d’organisation « terroriste » de manière à lui enlever toute légitimité. Pourtant au Liban-Sud, ils sont parvenus à un arrangement avec le Hezbollah qu’ils qualifient également d’organisation « terroriste ».
Les Israéliens semblent persuadés que leur seule option est de resserrer leur étau sur Gaza. Au nom de la dissuasion. Malgré cela, la résistance palestinienne a réagi par plus d’attaques à la roquette. La campagne israélienne d’assassinats de certains activistes a simplement renforcé l’escalade du côté palestinien. Chaque fois qu’Israël constate que les mesures de dissuasion échouent, il renforce encore plus le siège dans l’espoir d’infliger un coup final.
Le résultat est une punition collective infligée aux civils dans une zone où la densité de population est l’une des plus élevée de la planète (3 823 habitants par kilomètre carré). Lors de sa visite à Gaza, John Dugard, le rapporteur spécial de l’ONU sur les droits de l’homme, a déclaré que « Gaza est une prison dont Israël a jeté la clé. » En janvier par exemple, les Israéliens ont commencé à utiliser leur monopole sur l’approvisionnement en carburant pour punir les Palestiniens, une décision condamnée en février par l’ONG Human Rights Watch. Joe Stork, le directeur pour le Moyen-Orient de l’organisation, a rejeté l’explication donnée par Israël comme quoi l’embargo sur l’essence est un moyen de contraindre les groupes armés palestiniens à arrêter les attaques de roquettes et les attentats-suicides. Selon Storks, « l’embargo touche gravement la population civile qui n’a rien à faire avec les groupes armés et viole un principe fondamental des lois de la guerre ».
De la même manière, après les frappes aériennes d’Israël sur Gaza début mars qui se sont soldées par la mort de plus de 100 Palestiniens, le secrétaire général de l’ONU Ban Ki-moon a condamné « l’usage disproportionné et excessif de la force qui a fait beaucoup de morts et de blessés parmi les civils, notamment des enfants ». Malgré la déclaration du secrétaire général de l’ONU, Israël a prétendu agir en légitime défense, du fait que les frappes aériennes ont suivi une attaque à la roquette partie de Gaza qui a tué un civil israélien dans la ville frontière de Sderot. Pourtant, dans son livre intitulé Crimes of War (Crimes de guerre), Michael Byers, un professeur de droit de l’université de Duke (USA), indique que l’usage de la force en cas de légitime défense « ne doit être ni déraisonnable ni excessif », et utilisée à titre préventif, sa nécessité doit être « instantanée, inévitable, ne laissant ni le choix des moyens ni un temps pour la réflexion ».
En utilisant la punition collective pour parvenir à ses fins, Israël fait constamment l’amalgame entre légitime défense et dissuasion. Sa conception de la dissuasion a échoué au Liban en 2006, car Israël a dû accepter un accord de cessez-le-feu sous les auspices de l’ONU et il va sans doute en être de même à Gaza. Les sondages réalisés à Gaza montrent que la popularité du Hamas est à la hausse après chaque pas supplémentaire dans l’escalade par Israël. La communauté internationale doit agir rapidement pour contraindre Israël à abandonner sa stratégie de dissuasion au profit de la recherche d’un accord qui déboucherait sur l’arrêt des violences de part et d’autre. Seul un tel accord permettrait un travail de terrain en vue d’une solution politique qui mettrait fin de manière permanente au siège de Gaza et à l’occupation des terres palestiniennes.