Les bombes ont certes cessé d’« illuminer » le ciel de Gaza, il n’en demeure pas moins que les Palestiniens auront à subir encore pour longtemps les conséquences de ces trois semaines d’hostilités. Car la reconstruction s’annonce d’ores et déjà difficile. Tout d’abord, c’est le blocus de Gaza, qui se poursuit toujours, qui est le principal obstacle à la reconstruction. Pour réparer les dommages de guerre, les responsables palestiniens estiment qu’il faudrait 1,9 milliard de dollars. Mais les travaux ne peuvent commencer aussi longtemps que les points de passage ne sont pas ouverts pour permettre l’acheminement de matériaux de construction dans la bande de Gaza. Pour le moment, Israël les a maintenus fermés, sauf pour des produits de première nécessité, expliquant que les Palestiniens ne peuvent espérer une coopération que si le Hamas ne contrôle pas la reconstruction.
Or, comment espérer une reconstruction rapide dans de telles conditions ? Et comment ne pas craindre une reprise des violences si les Palestiniens continuent de subir autant d’injustice ? Ahmed Al-Kurd, ministre des Affaires sociales du Hamas, chargé de superviser la reconstruction, l’a d’ailleurs affirmé : « s’ils (les Israéliens) n’ouvrent pas les points de passage, cela sera le blocus ou la guerre, car le blocus c’est la mort lente ».
De son côté, le coordinateur humanitaire de l’Onu, John Holmes, a réitéré qu’il fallait « que les points de passage soient ouverts totalement, nous devons pouvoir faire notre travail ». Une demande réclamée aussi par le nouveau président américain, Barak Obama.
Et il ne s’agit là que des difficultés concrètes vécues sur place. Le plus important reste en effet les fonds nécessaires à la reconstruction. L’Onu a évalué à des « centaines de millions de dollars » les besoins les plus urgents de Gaza. John Holmes a annoncé que l’organisation internationale lancerait, début février, un appel à des fonds internationaux pour répondre aux besoins humanitaires les plus urgents pour les neufs mois à venir. La Commission européenne a elle aussi détaillé lundi un plan de financement de 58 millions d’euros pour les populations palestiniennes et a demandé à Israël de faciliter l’accès des équipes humanitaires à Gaza, où la situation humanitaire est, selon elle, « très sérieuse et désespérée ». « Le financement sera utilisé pour fournir une aide de première nécessité comme l’approvisionnement en nourriture et en eau, l’assainissement, la reconstruction des abris, (…), la santé et les soutiens psychologiques », a précisé la commission.
Des besoins énormes, et des difficultés encore plus importantes. Car, comme l’a dit le directeur des opérations à Gaza de l’Agence des Nations-Unies pour les réfugiés palestiniens (Unrwa), John Ging, Israël a détruit « les infrastructures de l’Etat palestinien plutôt que les infrastructures de la terreur ».
Israël s’inquiète d’éventuelles poursuites judiciaires
Pendant que la communauté internationale et les différents organismes s’attellent à cette lourde tâche, Israël, de son côté, continue à faire la sourde oreille et refuse l’ouverture des points de passage, plus préoccupé par les conséquences des accusations lancées à son encontre d’avoir utilisé des armes prohibées. En effet, Tel-Aviv semble prendre au sérieux le risque de poursuite pour crimes de guerre. Ainsi, Ehud Olmert a promis dimanche aux hauts gradés de l’armée l’assistance juridique de l’Etat face aux risques de poursuites qu’ils encourent à l’étranger. Olmert a chargé son ministre de la Justice, Daniel Freidman, de la défense de l’Etat face à des accusations de crimes de guerre. M. Friedman a été désigné pour diriger une équipe interministérielle qui coordonnera la défense juridique de responsables civils et militaires contre d’éventuelles poursuites, notamment auprès d’instances internationales. Mais à Bruxelles, le ministre des Affaires étrangères de l’Autorité palestinienne, Riad Al-Maliki, a estimé que cette promesse ne pouvait empêcher l’ouverture de poursuites. « Il n’y a pas d’immunité contre des actions judiciaires » concernant les bombardements à Gaza, « on verra davantage d’initiatives de ce type dans un proche avenir », a-t-il estimé.
La censure militaire israélienne a interdit, la semaine dernière, aux organes de presse locaux et étrangers en Israël de publier les noms, des photos ou des vidéos des officiers qui se sont battus dans la bande de Gaza, de crainte qu’ils ne soient identifiés et poursuivis lors de déplacement à l’étranger. Selon la presse israélienne, l’armée israélienne aurait conseillé à ses officiers supérieurs d’y réfléchir à deux fois avant de se déplacer en Europe.
Ces mises en garde interviennent alors que de plus en plus des voix s’élèvent contre Israël, l’accusant d’avoir utilisé des armes interdites dont les effets sanitaires sur la population civile ont été désastreux. En effet, Amnesty International a estimé que l’usage « illégal, sans discernement et répété » de munitions au phosphore blanc dans des zones densément peuplées de Gaza constituait un « crime de guerre ». Plusieurs responsables des Nations-Unies ont réclamé à ce sujet une enquête indépendante pour établir si l’Etat juif s’était rendu coupable de crimes de guerre. Or, les faits sont clairs, à l’instar du bombardement d’écoles de l’Unrwa ou encore d’hôpitaux bondés de réfugiés civils. D’ailleurs, le rapporteur spécial de l’Onu pour les territoires palestiniens, Richard Falk, a déclaré jeudi dernier que les opérations militaires israéliennes dans la bande de Gaza ont eu un « caractère sans aucun doute inhumain » qui évoque « le spectre de crimes de guerre systématiques », précisant que « des cibles illégales ont été sélectionnées », et parlant d’« intention criminelle ». M. Falk a dénoncé le confinement « dans la zone de guerre active » de la population, empêchée de s’enfuir et d’accéder ainsi à la protection du statut de réfugié. « C’est sans précédent », a-t-il assuré. « Aucun enfant, aucune femme, aucun malade ou handicapé de la population de Gaza n’a été autorisé à quitter la zone de guerre », s’est-il indigné.
Mais les cadres légaux internationaux pour poursuivre Israël semblent manquer. La Cour pénale internationale n’est pas compétente, la bande de Gaza n’étant pas un Etat constitué. Et Israël n’est pas signataire du traité de Rome qui a mis sur pied la CPI. Or, pour poursuivre l’Etat juif devant la CPI, il faudrait une résolution du Conseil de sécurité des Nations-Unies, et les Etats-Unis y opposeraient à coup sûr leur veto.
Certains Etats européens se sont dotés de lois dites de compétence universelle permettant de poursuivre sur leur territoire des crimes de guerre commis à l’étranger, après plainte de victimes concernées, mais aucun procès de ce type n’a encore fait jurisprudence. Israël sera-t-il donc éternellement protégé par une impunité sans précédent ?