On ne peut plus considérer le
Hamas et le Fatah comme des
opposants politiques. Il existe
dans une telle dénomination une rivalité
saine, une relation entre deux groupes
dissemblables politiquement et idéologiquement
qui s’accordent à n’être pas
d’accord sur un objectif politique commun.
Aujourd’hui il n’y a qu’un mot pour
nommer ces deux géants de la scène politique
palestinienne : « ennemis jurés », et
les mots furieux qui sortent de la bouche
de leurs dirigeants en sont la preuve.
Comme nous le savons tous, l’inimitié
entre le Hamas et le Fatah a grandi et
s’est régulièrement développée depuis
que le Hamas a formé son gouvernement
en mars 2006. Il a fallu des mois de négociations,
l’intervention saoudienne et des
dizaines de cadavres avant que les deux
groupes acceptent de former un gouvernement
d’union nationale.
Celui ci n’a bien sûr pas duré longtemps
puisque les questions qui sous-tendaient
leurs différences n’avaient pas trouvé de
solution. La tension a continué à monter
jusqu’à éclater en une éruption volcanique
de rage et de sang qui a fait cent
morts rien que dans la bande de Gaza
chez les partisans des deux camps.
Maintenant, avec le Hamas qui contrôle
Gaza et un gouvernement d’urgence
controversé en Cisjordanie, la guerre des
mots entre le Hamas et le Fatah a atteint
des niveaux lamentables. Et pourtant,
comme pour tout en politique, il nous
faut toujours nous demander si d’autres plans d’envergure ne menacent pas en
coulisses.
Considérons les derniers événements.
Alors que les combats de rue ont diminué
à Gaza et en Cisjordanie, la bataille
verbale est en plein essor, les deux côtés
se rejetant la responsabilité de la crise
interne. On l’a assez entendu : le Fatah
affirme que le Hamas a mené « un coup
d’état contre la légitimité palestinienne »,
traitant ses dirigeants de « mutins » et
refusant de négocier avec eux tant que
la situation à Gaza n’est pas revenue à
son « état légitime ». Le Hamas de son côté
a porté son lot d’accusations contre le
Fatah, surnommant le gouvernement
d’urgence « gouvernement de Dayton »
et accusant les dirigeants du Fatah de
conspirer avec les Etats-Unis et Israël.
Néanmoins, c’est à un niveau totalement
nouveau que le Président Abbas a élevé
cette guerre des mots, en accusant le
Hamas d’être l’hôte d’al-Qaïda dans la
bande de Gaza. Dans un entretien avec
une télévision italienne, le président
palestinien a, en solo, évoqué le pire
ennemi de l’Occident, et en une phrase
l’a entraîné dans le conflit :
« Grâce au soutien du Hamas, al-Qaïda
est en train de pénétrer à Gaza. »
Le Hamas, à n’en pas douter, en était
blême. Depuis les attaques du 11 septembre,
le Hamas s’est délibérément dissocié
d’al-Qaïda, affirmant qu’il existe
entre les deux mouvements des différences
idéologiques qui les divisent,
même si tous deux épousent les doctrines
islamiques. Ismaïl Haniyeh, le Premier
ministre Hamas limogé, n’a pas
tardé à répondre, en insistant sur l’absence
de liens avec al-Qaïda, que ce soit au
niveau politique ou au niveau stratégique.
« Le Hamas combat l’occupation
israélienne et seulement à l’intérieur du
territoire palestinien occupé. Il n’a jamais
mené d’opérations à l’extérieur de ces
frontières » a-t-il déclaré.
Qu’il y ait ou non des éléments dans la
bande de Gaza qui soient des émules
d’al-Qaïda, on ne peut que faire la comparaison
entre les déclarations d’Abbas
et les affirmations israéliennes de cette
nature, souvent répétées. Qu’espérait
donc Abbas en portant cette accusation
meurtrière, dans une atmosthère déjà hostile
entre son mouvement et le Hamas ?
Des bons points de la communauté internationale ? Ou alors, cette affirmation
est-elle liée à sa demande qu’il y ait une
force internationale dans la bande de
Gaza ? C’est que, si al-Qaïda est vraiment
embusqué à tous
les coins de rue de
Gaza, alors une présence
internationale
aiderait peut-être à circonscrire
ce « danger
grandissant ».
Le Hamas a déjà dit
clairement qu’il
n’accepterait pas de
troupes étrangères dans
Gaza, affirmant qu’il
traiterait ces troupes comme n’importe
quelle force d’occupation sur la terre
palestinienne. Alors qu’il est fort probable
qu’Abbas va essayer d’obtenir
davantage de soutien à son gouvernement,
qui doit être ratifié dans quelques
jours par le Conseil législatif quasi moribond,
une attitude aussi implacable pourrait
bien se retourner contre lui.
En Occident, al-Qaïda est synonyme du
diable et en faire mention dans la bande
de Gaza pourrait bien produire un effet
de ricochet susceptible de créer des ondes
de choc dans toute la région. Aussi, si
Abbas pensait utiliser cela comme un
stratagème pour gagner de la popularité
auprès de ses alliés occidentaux tout en
cassant encore davantage l’image du
Hamas à leurs yeux, ce qu’il n’a peut-être
pas prévu c’est qu’Israël utilisera tous
les prétextes pour écraser la résistance en
Palestine, qu’elle soit portée par le Hamas,
le Fatah ou d’autres groupes.
Ni le Hamas ni le Fatah ne sont innocents
de l’attisement des flammes dans ce combat
verbal empoisonné. Le Hamas affirme
haut et clair qu’il ne renoncera pas
à sa mainmise sur la bande de Gaza,
affirmant qu’il y a restauré l’ordre
et la loi qui n’existaient pas sous
Abbas. De son côté, le président est
absolument déterminé à consolider
son autorité et à exclure pour de bon
le Hamas du pouvoir. Sans aucun
doute, c’est lui qui a le dessus, ne
serait ce que pour la simple raison
que les puissances militaires et financières
mondiales l’encouragent.
Abbas peut bien obtenir de l’argent
pour payer ses fonctionnaires et il
peut se retrouver, avec ses ministres récemment
nommés, sous les projecteurs bienveillants
de la communauté inrternationale,
mais à quoi cela lui servira-t-il s’il continue
à salir et diffamer une partie importante
de son propre peuple ?
Si les Palestiniens sont
appelés à des élections
anticipées, Abbas conservera-
t-il son siège ou lui
sera-t-il arraché par ceux
qui pensent qu’il les a vendus
pour quinze petites
minutes de gloire ?
Il est possible que des élections
anticipées soient la
seule solution pour sortir de cette crise
et il faudrait donner au Palestinien moyen
une tribune où s’exprimer, là où souvent
les armes et les menaces font taire les
voix de la raison. Mais, si le Fatah, le
Hamas ou tout autre parti palestinien -
et il y en a bien d’autres- veulent se montrer
sous leur meilleur jour, ils doivent
tous agir de manière plus propre. Il y a
une limite aux accusations et aux coups
de poignards dans le dos. Il est temps
que nos dirigeants se montrent à la hauteur
et responsables de l’avènement de
l’union nationale, pas de sa mort. Si ce
n’est pas le cas, ces accusations sans fin
vont nous aspirer vers le fond comme
des sables mouvants et cela laissera le terrain
libre à nos ennemis véritables pour
qu’ils s’y engouffrent.