Récemment, les experts en droits humains, dont ceux des Nations Unies, des organisations palestiniennes, israéliennes et internationales, ont reconnu que le comportement d’Israël à l’égard des Palestiniens – que ce soit dans les territoires palestiniens occupés, ceux qui vivent comme réfugiés ou ceux définis comme « citoyens d’Israël » – constituait un crime d’apartheid, ce qui est un crime contre l’humanité. Ce régime d’apartheid israélien contre les Palestiniens est particulièrement extrême à Jérusalem. Il est systématique et multiforme, s’impose dans tous les domaines avec un impact humanitaire considérable dans la vie des Palestiniens de Jérusalem qui sont soumis quotidiennement à la cruauté de ce régime.
À la suite de la guerre de 1967 (connue sous le nom de Naksa, ou revers), Israël a occupé la Cisjordanie et la bande de Gaza, et a annexé unilatéralement en 1980 la partie orientale de Jérusalem, sur une superficie de 70,5 km. Israël a déclaré sa souveraineté en étendant les limites de la municipalité de Jérusalem et en y appliquant les lois israéliennes et sa juridiction sur la zone illégalement annexée, en violation flagrante du droit international.
Depuis lors, les gouvernements israéliens successifs ont fixé deux objectifs principaux en ce qui concerne Jérusalem : premièrement, veiller à ce que la partie orientale de la ville reste en permanence sous souveraineté et contrôle israéliens ; deuxièmement, assurer une solide majorité juive au sein de la population globale de Jérusalem. Ces deux objectifs sont mis en œuvre par les lois, politiques et pratiques d’Israël, y compris le régime discriminatoire de zonage et de planification, par une pénurie extrême d’infrastructures et de services municipaux, ainsi qu’un sous-financement chronique, par l’appropriation de terres, des punitions collectives et plus encore. Ces mesures sont toutes gravement préjudiciables aux Palestiniens de la ville et entraînent souvent leur transfert forcé. Ce transfert peut avoir lieu soit directement (par exemple, lorsque les Palestiniens sont expulsés de leurs logements), soit à la suite d’un environnement coercitif plus large qui les force à partir, ce qui constitue un crime de guerre en vertu de l’article 8 du Statut de Rome. Ces politiques et mesures coercitives sont mises en oeuvre afin de maintenir une majorité juive dans la ville occupée et, par conséquent, d’assurer une domination permanente sur la population palestinienne occupée.
L’une des manifestations de l’apartheid israélien à Jérusalem est la distinction entre les statuts civils des Palestiniens et des Israéliens, qui institutionnalise la discrimination systématique contre les Palestiniens de Jérusalem et les place dans une position subordonnée, qui a des conséquences dévastatrices sur leurs droits et la possibilité de rester vivre à Jérusalem.
Bien qu’il ait annexé le territoire de la partie orientale de Jérusalem, Israël n’a pas « annexé » la population palestinienne qui y réside. Par contre, il a procédé à un recensement de la population, maison par maison, et n’a enregistré que les Palestiniens qui étaient physiquement présents. Ceux qui étaient absents ont perdu leur droit de vivre dans leur ville occupée et illégalement annexée. Le recensement de la population n’a pas été exhaustif, les agents n’allant pas dans les lieux éloignés qu’ils considéraient comme difficiles d’accès. En outre, 27 % des ménages qui ont étés recensés avaient des enfants à l’étranger, qui ont perdu leur droit de vivre légalement à Jérusalem en raison de leur absence temporaire au moment du recensement. Finalement, Israël a décidé d’accorder aux Palestiniens présents et inscrits lors du recensement un état civil qui est généralement accordé aux ressortissants étrangers – la résidence permanente.
La citoyenneté, au contraire, est le lien juridique d’une personne avec un État. Elle ouvre la voie à l’exercice d’autres droits que l’on appelle donc « le droit d’avoir des droits ». Par rapport à la citoyenneté, la résidence permanente est un état civil inférieur et précaire qui laisse son titulaire dans un état d’incertitude particulière et qui peut être facilement révoqué suite à un certain nombre de motifs discriminatoires. Les détenteurs de la résidence permanente sont apatrides et n’ont pas de passeport israélien. Ils ont le droit de voter aux élections municipales, mais ils n’ont pas le droit de voter pour le parlement israélien, ce qui signifie qu’ils ne peuvent pas peser sur de nombreuses décisions qui concernent leur vie quotidienne. En outre, les résidents permanents ne peuvent pas se présenter aux élections municipales de Jérusalem et ne peuvent pas siéger en tant que membre du conseil d’administration ou membre exécutif de l’Autorité de développement de Jérusalem, organe qui a compétence en matière de planification et de développement dans la partie orientale de Jérusalem, puisque ce poste est réservé uniquement à un citoyen israélien. Il convient d’ajouter que, bien qu’ils aient le droit de voter aux élections municipales, l’écrasante majorité des Palestiniens de Jérusalem n’y participe pas, car ils ne reconnaissent pas la légitimité de la municipalité israélienne qu’ils perçoivent comme une manifestation de l’occupation.
La résidence permanente des Palestiniens à Jérusalem est régie par la loi de 1952 sur l’entrée en Israël et le règlement ultérieur de 1974 sur l’entrée en Israël. En vertu de l’article 1 de la loi, la résidence en Israël et les visas d’entrée sont accordés aux personnes souhaitant entrer et/ou résider en Israël. Mais les Palestiniens de Jérusalem ne sont pas entrés en Israël. Par contre Israël est entré dans leur vie et leur a imposé la désignation de résidence. Selon la Haute Cour de Justice israélienne les résident(e)s de la partie orientale de Jérusalem sont considérés comme ayant reçu un droit de résidence basée sur la reconnaissance de ceux qui ont été recensés. Le comité prévoit que l’admissibilité à la résidence est le « critère du centre de la vie ». Critère selon lequel si un(e) Palestinien(n)e de Jérusalem ne peut prouver qu’il ou elle vit réellement à Jérusalem, en fournissant une preuve qui comprend accession à la propriété, contrat de location, factures de services publics et inscription scolaire des enfants, il ou elle serait susceptible de perdre son statut de résident(e) et donc de rester sans statut légal. Par conséquent, apatride, mais aussi sans Sécurité sociale.
En vertu du Règlement sur l’entrée en Israël de 1974, une résidence permanente expire d’elle-même si son titulaire quitte Israël et s’installe dans un autre pays. L’établissement dans un autre pays est expliqué en vertu de l’alinéa 11(a) du Règlement comme le fait d’avoir vécu pendant plus de sept ans dans un autre pays ou d’avoir obtenu le statut de résident permanent dans un pays étranger ou d’être devenu citoyen d’un pays étranger. Le terme « pays étranger » désigne également la Cisjordanie et la bande de Gaza. Ainsi, la résidence permanente des Palestiniens à Jérusalem s’accompagne de nombreuses conditions qui mettent automatiquement fin à la résidence palestinienne. Cela en fait un instrument privilégié pour le transfert forcé des Palestiniens hors de leur ville occupée.
Quartier d’Al-Issawiya bouclé sur la droite, au fond, le camp Shu’fat, entre un camp Bédouin et la future zone infrastructure israélienne, route coloniale vers Maale Adumin.
Comme si cela ne suffisait pas, en 1995, la révocation de la résidence permanente des Palestiniens de Jérusalem a été élargie par la Haute Cour de justice israélienne. Dans l’affaire Sheqaqi,le tribunal a statué qu’un Jérusalémite peut perdre sa résidence même si aucune des trois catégories mentionnées dans l’article 11(a) ne s’applique. Selon la décision du tribunal, le fait de résider dans un État en dehors d’Israël peut être déterminé sans se fier exclusivement à la définition suggérée par le règlement sur l’entrée en Israël, ce qui signifie que même avant sept années, la résidence permanente peut être révoquée. Le tribunal a statué : « L’apparition d’une nouvelle réalité à l’étranger, qui remplace la réalité de la résidence en Israël, pourrait être clairement indiquée par des circonstances autres que celles mentionnées dans l’article 11(a) du Règlement sur l’entrée en Israël », armant ainsi l’apartheid israélien d’un champ plus large de motifs admissibles de révocation des résidences permanentes.
Entre 1991 et 2021, Israël a ainsi exclu 14 727 Palestiniens de Jérusalem, les privant de leur droit de vivre dans leur ville occupée. En plus du critère du « centre de vie », en 2018, le parlement israélien a adopté un amendement à la loi sur l’entrée en Israël, permettant au ministre israélien de l’Intérieur de révoquer la résidence des Palestiniens de manière punitive sur la base de la « violation de l’allégeance à l’État d’Israël » (N.D.L.R. : dont le dernier exemple est Salah Hamouri). Cet amendement viole le droit international, puisque l’exigence d’allégeance de la population occupée envers la puissance occupante est catégoriquement interdite par l’article 45 du Règlement de La Haye. Bien qu’il ait été peu appliqué depuis son adoption, le terme général de « violation de l’allégeance » a été défini dans l’amendement comme le fait de commettre, de participer ou d’inciter à commettre un acte terroriste, ou d’appartenir à une organisation terroriste, ainsi que de commettre des actes de trahison en vertu des articles 97, 98 et 99 du Code pénal israélien. Dans la pratique, cet amendement n’est appliqué que contre les Palestiniens, et la définition large qu’il suggère de la violation de l’allégeance peut facilement inclure tout Palestinien résidant
à Jérusalem-Est.
D’autres problèmes sont liés aux permis de résidence détenus par les Palestiniens de Jérusalem, qui entrent dans le cadre du régime d’apartheid israélien. En 2003, le gouvernement israélien a promulgué la loi sur la citoyenneté et l’entrée en Israël (ordonnance temporaire), qui interdit aux couples palestiniens, lorsque l’un des époux vient de Cisjordanie ou de la bande de Gaza et que l’autre conjoint vient de territoires sous souveraineté israélienne revendiquée, de vivre en Israël, y compris en leur interdisant de vivre dans la partie orientale illégalement annexée de Jérusalem. En vertu du droit international, Jérusalem-Est est défini comme faisant partie des territoires palestiniens occupés depuis 1967, et la présence d’Israël dans ces territoires n’est que provisoire. Ainsi, l’interdiction du regroupement familial prive les Palestiniens de leur droit de fonder une famille, de se déplacer librement et de résider où ils le souhaitent.
sur leur territoire. Cette interdiction s’applique exclusivement aux Palestiniens, tandis que les colons israéliens juifs résidant illégalement en Cisjordanie ou dans la partie orientale de Jérusalem peuvent vivre de n’importe quel côté de la ligne verte qu’ils souhaitent. Depuis 2003, Israël a défendu l’interdiction du regroupement familial en s’appuyant sur des arguments de sécurité sans fondement, et le parlement israélien en renouvelle l’ordre temporaire chaque année. Une exception a eu lieu en juillet 2021, lorsque la rivalité politique entre la coalition israélienne et l’opposition au parlement israélien a empêché l’adoption du projet de loi. En mars 2022, cependant, le parlement israélien a relancé l’interdiction, l’appliquant même rétroactivement à la période pendant laquelle elle ne s’appliquait pas.
Dans le renouvellement de l’interdiction en 2022, la loi affirme explicitement que l’objectif est démographique – maintenir la majorité juive en Israël, les motifs de sécurité étant supprimés de la justification. Les auteurs de l’interdiction n’ont pas caché qu’ils craignaient que le droit au retour des réfugiés palestiniens ne soit détourné par le regroupement familial, il est donc essentiel d’interdire à ces couples de résider en Israël afin de maintenir l’identité juive d’Israël.
L’interdiction du regroupement familial prévoit des exceptions pour les Palestiniens de Cisjordanie qui dépendent principalement du pouvoir du ministre israélien de l’Intérieur et sont soumises à des contrôles de sécurité rigoureux, de nombreuses demandes ayant été rejetées sur cette base.
Même lorsqu’ils réussissent à obtenir un permis de séjour à Jérusalem, le risque d’expulsion plane toujours au-dessus de ces Palestiniens. Récemment, le ministre israélien de l’Intérieur a révoqué les demandes de regroupement familial des Palestiniens qui résident à Jérusalem au motif qu’un membre de la famille élargie avait commis une attaque contre des soldats israéliens (décision approuvée par le tribunal israélien). La raison d’être de cette révocation était de dissuader de futurs agresseurs potentiels de commettre des actes similaires. Cela signifie effectivement qu’Israël applique une punition collective contre des Palestiniens innocents pour quelque chose qu’ils n’ont pas fait.
Dans le cas où ces couples réussissent à obtenir un permis de vivre ensemble à Jérusalem, un autre problème se pose s’ils ont des enfants. L’enregistrement des enfants pour les couples mixtes est un processus bureaucratique long et rigoureux qui nécessite souvent des conseils juridiques, coûteux et parfois impossible pour les 72 % des familles palestiniennes de Jérusalem- Est qui vivent sous le seuil de pauvreté. L’enregistrement des enfants est limité dans le temps, ce qui signifie que si ces couples n’enregistrent pas leurs enfants avant leurs 14 ans, ils ne seront pas éligibles à une résidence permanente et ne seraient autorisés à vivre qu’avec des permis d’entrée, ce qui les prive de nombreux droits de sécurité sociale.
Les règlements de résidence et leurs répercussions ne sont qu’un instrument utilisé par Israël pour maintenir son système de domination raciale contre les Palestiniens qui résident à Jérusalem. Un tel système repose sur la « supériorité raciale » et l’hégémonie et fonctionne dans le climat d’impunité qui lui permet de poursuivre sans relâche ses violations du droit international et ses crimes de guerre. La communauté internationale doit immédiatement assumer ses responsabilités et respecter ses obligations en vertu du droit international, mettre fin à la politique de « deux poids, deux mesures » qu’elle applique contre les Palestiniens et faire pression sur Israël pour qu’il démantèle son régime d’apartheid et mette fin à cette période atroce de l’histoire humaine.
Mounir Marjieh,
Coordinateur de l’unité de plaidoyer et responsable du plaidoyer international au Centre d’action communautaire / Université Al-Quds
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