Jéricho (Cisjordanie),
Né en 1953, dans une famille chassée du village de Deir Tarif, près de la ville d’Al-Ramleh, entièrement vidée de sa population palestinienne, Ahmed Saadat est devenu secrétaire général du Front populaire pour la libération de la Palestine (FPLP) après l’assassinat par les Israéliens, en août 2001, d’Abu Ali Mustapha. En riposte, le FPLP assassine l’année suivante Rehavam Zeevi, ministre israélien qui prônait la déportation des Palestiniens.
C’est de la prison de Jéricho, où il se trouvait alors (emprisonné depuis près de quatre ans et sous la garde de 18 surveillants américains et britanniques), qu’Ahmed Saadat nous a accordé cette interview. C’était le 25 janvier, alors que se tenaient les élections législatives palestiniennes.
Depuis, les troupes israéliennes ont fait le siège de la prison et ont appréhendé Saadat et cinq de ses compagnons, au mépris des accords passés avec l’Autorité palestinienne et la communauté internationale.
L’Humanité :
Pourquoi le FPLP a-t-il décidé de participer aux récentes élections palestiniennes, ce qui n’était pas le cas en 1996 ?
Ahmed Saadat :
Les élections en 1996 découlaient des accords d’Oslo dont nous dénoncions les conséquences pour le peuple palestinien. Oslo ne permettait pas clairement de réaliser les droits du peuple palestinien, notamment d’accéder à l’indépendance et à la création d’un État souverain.
En 2006, l’enjeu des élections législatives était de participer à un mouvement électoral afin de rénover l’OLP dans une perspective démocratique.
Depuis des années, la société palestinienne vit une crise politique. Nous devions donc participer à ces élections, afin de changer le système politique de manière démocratique et civilisée. Mais j’ai demandé au Parlement s’il était acceptable que demeurent des prisonniers politiques dans une prison palestinienne.
Pourquoi avoir fait cavalier seul et ne pas être entré dans l’alliance électorale des autres partis de gauche, constituée par le FDLP, le PPP et le FIDA, comme cela vous avait été proposé ?
Ahmed Saadat :
À la différence des autres partis de la gauche palestinienne, nous proposons un programme national clairement de gauche. Nous avons discuté avec ces autres partis du fait que si l’on veut construire une union pour une troisième voie démocratique il est indispensable de présenter un programme clair.
Certains de ces partis, étant au gouvernement avec le Fatah, n’ont pas réussi à mener notre lutte nationale sur une voie démocratique. Nous considérons que la « feuille de route » se situe dans le même cadre que le projet politique des accords d’Oslo, c’est pourquoi, si nous voulons permettre à notre peuple d’accéder à ses droits, nous devons rejeter la « feuille de route ». En effet, le propos de la « feuille de route » est de négocier les résolutions internationales et non de contraindre Israël à les respecter.
Il est impératif de sortir du cadre défini par Oslo et de nous situer dans celui des résolutions des Nations unies en organisant une conférence internationale sous l’égide de l’ONU et ainsi de parvenir à la réalisation de nos droits : un État indépendant, la libération de nos terres sous occupation et le droit au retour des réfugiés palestiniens.
Que pensez-vous de la situation de Marwan Barghouti ?
Ahmed Saadat :
C’est mon ami, c’est quelqu’un de bien au sein du Fatah, j’ai confiance en lui. Je serais heureux si nous luttions encore ensemble. Marwan est dans une prison israélienne. Le gouvernement israélien doit respecter ses droits et ceux de l’ensemble des prisonniers palestiniens en les libérant.
Nous devons Marwan, moi-même et l’ensemble des prisonniers politiques lutter contre l’occupation et réaliser notre devoir en regroupant au sein d’un front national l’ensemble des partis politiques et des mouvements sociaux, incluant également les islamistes.
Comment envisagez-vous la place de la gauche et notamment du FPLP dans le nouveau paysage politique palestinien ?
Ahmed Saadat :
Nous nous voyons entre le Fatah et le Hamas pour créer un équilibre afin de sauver l’unité nationale palestinienne au Parlement et ensuite au sein de l’OLP. Nous devons lutter pour construire cette union afin de poursuivre notre résistance contre l’occupation. Pour y parvenir, il est nécessaire d’établir un large front démocratique et national, de sorte que notre peuple soit uni et plus fort pour l’obtention de ses droits.
Quelle est votre appréciation de la situation actuelle ?
Ahmed Saadat :
Le projet politique du gouvernement israélien, maintenant et après les élections israéliennes, est de contraindre notre peuple à accepter ce qu’il veut : Jérusalem, amener notre territoire à une partition et poursuivre le mur de l’apartheid, ainsi que développer les colonies.
Face à cette situation que pouvons nous faire ? De manière objective, la réponse est que nous sommes contraints de poursuivre notre résistance nationale et la communauté internationale doit sauver notre peuple.
Nous proposons de placer les territoires occupés sous autorité internationale pendant quelques mois, afin de permettre à notre peuple de bâtir un État indépendant sur les frontières de 1967 (la Cisjordanie, Gaza et Jérusalem comme capitale).
Ou alors il faut organiser une conférence internationale aux Nations unies pour poursuivre les négociations et faire respecter les résolutions internationales.
Pour mettre un terme à nos problèmes avec les Israéliens, notre vision est d’arriver à l’établissement d’un seul pays pour deux peuples, ce qui n’est pas une stratégie de guerre, mais un plan de paix.
Cette solution a été possible en Afrique, particulièrement en Afrique du Sud, pourquoi ne le serait-ce pas ici, alors que les conditions sont les mêmes ? Comme ici, il y a eu en Afrique la colonisation et deux populations pour une seule terre.
L’État palestinien devra être laïque, nous voulons un véritable État démocratique et non pas religieux. Nous pouvons construire cela ensemble, Palestiniens et Israéliens.
Deux entreprises françaises (Connex et Alstom) ont signé un contrat de construction et d’exploitation d’un tramway à Jérusalem. Ceci contrevient au droit international, puisque ce tramway israélien reliera des colonies de Cisjordanie (établies autour et dans la partie palestinienne de Jérusalem) à la partie israélienne de la ville3.
Quel est votre sentiment face à l’attitude de la France ?
Ahmed Saadat :
Nous respectons le peuple français, il est notre ami et nous aide dans notre lutte. Nous pensons que le gouvernement français et l’Union européenne doivent s’affranchir de l’hégémonie américaine.
Les États-Unis rabaissent les Nations unies, les lois internationales, et nous, avec les autres nations pauvres, devons mener la lutte ensemble pour en préserver le respect, ainsi que des résolutions qui stipulent que l’occupation israélienne de nos terres, dont Jérusalem Est, est illégale, de même que le sont les colonies ou encore le mur de l’apartheid.
Le gouvernement français devrait pour sa part mettre tout en oeuvre pour contraindre Israël à les respecter s’il veut sauver la plus importante organisation internationale, les Nations unies.
Entretien réalisé par Jean Berry
VOIR aussi l’article sur le site, entretien d’Ahmad Saaadat avec Chris den Hond et Mireille Court à Jéricho
http://www.france-palestine.org/article2277.html