La ville de Gaza se trouve sur le rivage de la Méditerranée. Comme dans beaucoup de villes côtières, certains habitants de Gaza s’intéressent à la voile, comme sport et comme loisir. Mais mettre ces intérêts-là en pratique est beaucoup plus compliqué à Gaza que dans la plupart de ces autres villes côtières.
En 2006 le Qatar a offert 10 petits voiliers au tout nouveau club de voile et de surf de Gaza mais il a fallu attendre septembre 2012 pour que les inspecteurs militaires israéliens se décident à conclure qu’il n’y avait pas de menace sécuritaire à les laisser entrer à Gaza.
L’arrivée des bateaux à Gaza fut une occasion rare d’avoir de bonnes nouvelles, comme les déclarations enthousiastes de Darin Kabariti, 12 ans, sur la sensation de totale liberté qu’elle ressent en lançant son bateau sur l’eau sur la plage de Gaza.
Peu de temps après la joyeuse arrivée des bateaux à Gaza, Fahmi Abu Rayash, un pêcheur de 22 ans, a été blessé par balle près de Beit Lahiya, touché à l’ abdomen et au pied. Ses blessures ont d’abord été jugées peu dangereuses mais il est mort au bout de 2 jours à l’hôpital.
Que s’est-il passé ? Selon le communiqué de l’armée israélienne, il s’était trop approché d’une zone interdite, provoquant le soupçon qu’il allait mener une attaque armée. Selon les Palestiniens, il n’avait l’intention de rien faire de mal à quiconque -hormis les poissons, en tout cas. Il n’y a pas eu d’enquête impartiale et il ne semble pas qu’il y en aura. Sa mort n’a pas été rapportée par les médias israéliens et occidentaux, et pas beaucoup dans la presse palestinienne non plus. C’est une nouvelle trop habituelle. Et maintenant les responsables israéliens ont une réponse toute prête quand on leur pose trop de questions sur de tels actes : "Des choses plus horribles se produisent tous les jours en Syrie". Ce qui repose sur des faits documentés, indéniables.
Les navires de guerre qui sont la fierté et la joie de la Marine israélienne continuent à patrouiller jour et nuit au large de Gaza, chargés -et ce depuis plus de 10 ans- de rendre le blocus de Gaza imperméable, si l’on peut dire. C’est leur tâche quotidienne d’empêcher les bateaux de pêche ou les voiliers gazaouis, ou toute autre embarcation, de s’aventurer « trop loin » en pleine mer. Et aussi d’empêcher tout navire venu de n’importe où ailleurs de s’approcher du rivage de Gaza.
Or il se trouve que, venant de l’Ouest, un tel bateau approche de Gaza assiégée. Pas subrepticement, non, son arrivée est annoncée et rendue publique depuis des mois.
Achetée par l’association suédoise ’Un bateau pour Gaza’, l’ Estelle a quitté la Finlande en mai dernier, empruntant un itinéraire compliqué avec des escales en Suède, en Norvège, () en France et en Espagne.
Les 17 militants à bord -des Suédois et Norvégiens pour la plupart, avec des dissidents israéliens- ont vécu des expériences intéressantes en route. Des rassemblements et des événements artistiques se sont tenus dans chaque port, ils ont été présents à un festival du cinéma en Bretagne tandis qu’à Barcelone, Manu Chao, artiste bien connu, a pris part au concert de solidarité. Tout comme Adeila Guevara, la fille du légendaire Che Guevara. Ils sont maintenant à Naples [1], participant à un programme très fourni avec concert, messe catholique sur les quais, visite organisée du navire pour les écoliers napolitains, visite également du maire de Naples Luigi de Magistris, qui s’est déclaré protecteur de l’Estelle durant tout son séjour à Naples. Pendant ce temps, Avigdor Lieberman, ministre des Affaires étrangères de Netanyahou, exerce une pression considérable sur les Italiens pour empêcher le navire de partir mais, contrairement à ce qui s’est passé pour la Flottille de la Liberté bloquée à Athènes l’an dernier, il ne semble pas arriver à grand chose.
Alors l’ Estelle va bientôt partir, pour la dernière partie de son voyage [2]. Il n’y a pas loin de Naples à Gaza en termes de miles nautiques. Les navires de guerre israéliens sont équipés de radars sophistiqués et il n’est pas difficile de détecter un bateau qui n’essaie pas de se cacher – bien au contraire. Aussi le dénouement plus tard ce mois-ci est-il assez prévisible.
Le plus probable c’est que l’Estelle n’atteindra pas la côte de Gaza. Par le passé les navires de guerre israéliens se sont enfoncés allègrement en Méditerranée pour intercepter des bateaux en route pour Gaza, parfois jusqu’à 65 km des côtes (indubitablement en eaux internationales, mais les avocats du Ministère des affaires étrangères à Jérusalem ont présenté un point de vue juridique validant l’action, avec des précédents basés sur des actes vigoureux de la marine britannique à la lointaine époque glorieuse de l’Empire...) [3].
L’Estelle recevra l’injonction de se dérouter, les militants à bord ignoreront toutes les mises en garde et les super commandos de la marine monteront à bord. Le navire sera remorqué jusqu’au port d’ Ashdod, les Suédois et Norvégiens seront arrêtés et accusés d’ « entrée illégale en Israël ». Ils affirmeront qu’ils n’avaient aucune intention d’entrer en Israël et que Gaza n’est pas Israël, mais les juges éminents ne les écouteront pas. Quant aux Israéliens à bord, ils seront accusés de...bah, il y a bien des esprits créatifs parmi les membres du Ministère public israélien, ils trouveront bien quelque chose.
Est-ce que cela mettra fin au blocus de Gaza ? Sûrement pas. Mais pendant quelques jours au moins, cela rappellera à ceux qui ne veulent pas s’en souvenir que Gaza est toujours sous blocus, loin des yeux et de l’esprit de tous, que ce blocus entraîne des souffrances quotidiennes considérables pour un million six cent mille personnes, pour la plupart des enfants. Même s’il est vrai qu’en ce moment, il y a pire souffrance en Syrie.